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Peut-on dépecer un homme pour récupérer ce tatouage à 130.000 euros? 

Rik Reinking, un collectionneur allemand, a conclu un curieux contrat avec Tim Steiner, un Suisse vivant en Angleterre. Un célèbre artiste belge Wim Delvoye a tatoué son dos. En échange il a accepté de se faire dépecer après son décès. Rik Reinking tient, en effet, à récupérer le tatouage qu'il a déjà payé.

Accepteriez-vous de vous faire dépecer à votre mort? La plupart des gens n'auront jamais à répondre à cette question. Pourtant, Tim Steiner, lui, a dû faire ce choix. Il y a dix ans, une drôle de proposition a été faite à ce Suisse vivant au Royaume-Uni: qu'il accepte d'accueillir sur son dos une œuvre de l'artiste tatoueur belge Wim Delvoye. Œuvre achetée par le collectionneur allemand Rik Reinking pour 130.000 euros dont un tiers revient à Tim Steiner (43.000 euros). En échange, ce dernier a accepté deux conditions.

Tout d'abord, poser régulièrement, dos nu, lors d'expositions pour montrer le travail de l'artiste. Pour les 10 ans de cette œuvre, Tim Steiner a d'ailleurs dû poser pendant un an au Museum of Old ans New Art de Hobart en Tasmanie. Une contrainte qui a pris fin il y a quelques semaines. Auparavant, il avait notamment posé au Louvre. L'autre condition est encore plus inattendue. À sa mort, Tim Steiner a dû accepter de se faire dépecer. Rik Reinking compte en effet garder la peau et le tatouage qui est dessus. Une histoire digne du film Le Tatoué, une comédie de 1968 avec Jean Gabin et Louis de Funès où ce dernier, antiquaire, veut acheter la peau du premier, un ancien légionnaire qui s'est fait tatouer un authentique Modigliani. 

Ce "deal" n'a rien d'illégal… pour l'instant! "Tant que le contrat n'est pas mis en œuvre, il n'est pas illégal. Il est seulement nul", nous explique Maître Emmanuel Pierrat, avocat et lui-même amateur de cette forme d'art. Pour être plus précis, tant que Tim Steiner n'est pas mort, il n'est pas dépecé et le contrat n'est pas appliqué. Rien d'illégal pour le moment donc. Maître Geoffroy Coulouvrat, avocat du Syndicat national des artistes tatoueurs, précise: "Ce qui est visé c'est l'obtention. Dès lors qu'on obtient la peau, on commet une infraction. Le contrat en lui-même n'est pas suffisant pour constituer le délit".

"Concernant les organes, le principe est l'altruisme"

"Si on va plus loin, on peut penser que, comme dans tout contrat relatif à l'art, une assurance a été souscrite en cas d'altération du tatouage. Ce n'est pas illégal non plus. L'assureur sera même content de recevoir les versements. En revanche, il portera surement plainte quand ça sera à lui de payer si le tatouage est abîmé", analyse Maître Pierrat. Maître Coulouvrat se pose aussi la question de la légalité du contrat de "mannequin". "Rester assis, pendant des heures, plusieurs semaines ou mois par an, dans un musée, est-ce contraire ou non à la dignité humaine?"

Ramon Prieto Suarez, administrateur de l'Unité de Bioéthique du Conseil de l'Europe, rappelle que la Convention d'Oviedo pose le principe de l'interdiction du profit dans le domaine biomédical. Et de préciser que "concernant les organes, le principe est l'altruisme, le don, pas le commerce". Pour Ramon Prieto Suarez ce cas de figure est néanmoins "spécial": "Il relève du droit civil, du droit commun des États concernés". Le Conseil de l'Europe édite simplement des directives, c'est aux États de les ratifier ou non. 

En France, principe d'indisponibilité du corps humain

Justement, quel est le droit applicable? "Peu importe de la nationalité du tatoué dans cette histoire, c'est l'endroit où il va décéder qui décidera du droit en vigueur. Et l'endroit où se trouve l'acheteur, en l'occurrence l'Allemagne, entrera également en œuvre", précise Me Pierrat. Mais quelque soit le lieu de sa mort, il y a peu de risque que Tim Steiner se fasse dépecer une fois décédé. Ses héritiers n'auront probablement pas à honorer cette dernière volonté. "Si au Royaume-Uni, le droit est plus souple, le commerce de peau y est tout de même interdit. En Allemagne aussi à ma connaissance", relève l'avocat. D'autant, souligne-t-il que "tous les pays vont vers de plus en plus de restrictions sur le commerce du corps humain".

"S'il y a 20 ans on pouvait vendre son sperme, ce n'est plus le cas aujourd'hui" observe Emmanuel Pierrat. En France, par exemple, c'est le principe d'indisponibilité du corps humain qui prévaut. Il est interdit de faire commerce de ses propres organes, seul le don est autorisé, à quatre exceptions: les cheveux, les ongles, les poils et les dents. Maître Coulouvrat rappelle que si ce principe n'est pas respecté, le coupable risque 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.

Faire parler dans les dîners en ville

Quel est donc l'intérêt pour le collectionneur d'avoir signé un tel contrat puisqu'a priori, il ne récupérera jamais la peau tatouée? "Tout simplement faire parler de lui, tout comme l'artiste qui avait déjà fait polémique il y a 20 ans en tatouant des cochons", s'amuse Me Pierrat. "L'artiste est un habitué des effets de pub, idem pour le collectionneur. C'est une composante de la collectionnite".

Un coup de pub relativement abordable. "Pour 130.000 euros, c'est une bonne opération de communication, faire parler de vous dans les dîners en ville. Plutôt qu'une esquisse ratée de Picasso, vous avez une peau. Ça fait bien plus parler". Et puis rien ne dit que l'argent ait réellement été versé.

Diane Lacaze (texte) et Marion Nompain (vidéo)