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Philippe Prétat (DHL Express): « Je suis un faux financier »

Philippe Prétat dirige DHL Express en France, depuis avril 2018.

Philippe Prétat dirige DHL Express en France, depuis avril 2018. - Crédit photo : DHL Express

Cette période de Noël est une période chargée pour les transporteurs, comme DHL, dont les livraisons bondissent de 35% par rapport au reste de l'année. Fin septembre, nous avons rencontré Philippe Prétat, le nouveau patron du groupe en France. Financier de formation, passé par Microsoft ou Safran, il place les salariés et les clients au cœur de son action. Portrait.

« When I slow down, I go faster ». Impatient par nature, Philippe Prétat dit avoir appris à « se contrôler » pour être plus efficace. En cette matinée de fin septembre, il nous reçoit dans le confortable salon d’un palace du triangle d’or parisien. Depuis six mois, il est le PDG de la filiale française de DHL Express, la « division star » du géant allemand. La France est stratégique, puisque DHL Express y réalise 30% des parts de marché, devant Fedex-TNT et UPS.

Disert, Philippe Prétat déroule les chiffres, les résultats, les dizaines de milliers de collaborateurs, les 250 avions qui circulent dans le monde avec des colis DHL et explique comment, en pleine fashion week, un pli se retrouve de Paris à New York… Il connaît déjà bien le groupe, puisqu’il y est arrivé il y a onze ans, en tant que directeur financier.

De DowCorning (DowChemical) à DHL

Cet aixois d’origine de 56 ans, diplômé d’un DESS en finance et de l’INSEAD, a fait toute sa carrière (32 ans) dans des fonctions financières: chez Dow Corning (spécialiste du silicone, devenu DowChemical), chez Carnaud Metalbox (spécialiste de l’emballage), chez Allium-SCC (distributeur de produits informatique), chez Nestlé Water, chez Microsoft, chez Snecma Services (Safran) et chez DHL…

Il assure qu’il n’y vivrait plus, mais quand il parle, Philippe Prétat dégage quelque chose de particulier qu’ont les gens de cette région du sud de la France. Chaleureux, il raconte ses différentes expériences professionnelles, dresse la liste des hommes « top niveau », qu’il a rencontrés au fil de sa carrière : Jean-Marie Descarpentries, chez Carnaud, « ce gars incroyable! », cette « tronche », qui, « quand il n’avait pas le moral, prenait sa voiture pour aller voir tourner des machines à l’usine! », Jean-Philippe Courtois, chez Microsoft, un « mec vraiment extraordinaire, qui a débuté comme commercial », Michel Akavi, son prédécesseur chez DHL, son « mentor », dont il est fier d’avoir été « un peu, le jiminy cricket » ou encore Sir Peter Rigby, patron de SCC, « qui était alors plus riche que Mohammed al Fayed ! »

«J'ai connu mon épouse grâce à Bill Gates!»

Sans fausse pudeur, Philippe Prétat raconte comment il a pu prendre une année sabbatique grâce aux stock-options de chez Microsoft, ce qui n’était à l’époque pas très courant en France. Il se rappelle aussi que « c’est un peu grâce à Bill Gates », qu’il a rencontré sa femme: « Le 31 décembre 1999, explique-t-il, je n’ai pas eu de réveillon… J’étais scotché au bureau pour envoyer un mail à Bill Gates, à minuit cinq, pour lui dire qu’il n’y avait pas de bug de l’an 2000! Au retour à 3h du matin, j’étais seul sur l’autoroute… Un copain a organisé un réveillon le 1er janvier et c’est là que j’ai rencontré mon épouse. »

En 2002, quand Microsoft propose à Philippe Prétat de rejoindre le siège social, à Redmond, à 25 kilomètres de Seattle, sa femme n’a pas franchement envie d’aller là-bas, lui non plus, d’ailleurs: « Si j’y allais, dit-il, c’était un one-way ticket, je restais là-bas ». Alors, il décide de quitter l’entreprise et de prendre son année sabbatique. Il se consacre notamment à sa passion pour les voitures ancienne, il fait des rallyes, des voyages… À cette époque aussi, il investit sur les marchés financiers et dans le private equity.

« Qui n'avance pas, recule »

« Qui n’avance pas, recule », assure Philippe Prétat, qui aime, malgré tout, quand ça va un peu vite. S’il s’est éclaté chez Microsoft ou Nestlé, il s’est en revanche senti frustré chez Safran, « cette vieille dame », où il estime qu’il n’a pas pu faire bouger les lignes comme il aurait souhaité, du fait notamment du poids des syndicats.

Il a, dit-il, ce côté « un peu froid », qui lui a permis d’opérer des plans de cessions. Chez DHL, par exemple, il a mis en oeuvre la cession de l’activité messagerie (les camions qui faisaient le transport routier). Mais Philippe Prétat pense aussi qu’il est « un faux financier », qui est certes « très à l’aise avec les chiffres », mais qui est aussi très attiré par le business et l’opérationnel, par le produit et par le contact client.

Un de ces anciens patrons, Klaus Pfab, confirme: « Philippe a une très très grande proximité avec les employés et les clients, ce qui n’est pas souvent l’ADN des financiers. Il a cette capacité à donner aux individus la notion qu’on a besoin d’eux. (…) Et il a d’excellents contacts avec les syndicats! » Klaus Pfab raconte comment Philippe Prétat a su, d’après lui, évoluer et comment il a appris a dépasser son côté strictement financier: « Il a été très réceptif à cet aspect de la vie. Un chiffre vous dit : vous fermez la porte, et en même temps, vous pouvez ouvrir la fenêtre, et cela donne un souffle a l’entreprise. »

Même son de cloche chez Michel Akavi, son prédécesseur, son « mentor » pendant six ans. Il décrit la grande facilité de contact de Philippe Prétat, sa propension à « se faire des copains à chaque réunion » et à accompagner toutes les semaines les commerciaux sur le terrain, tout réussissant à imposer son leadership en interne. De concert, Klaus Pfab et Michel Akavi soulignent les prises d’initiatives de Philippe Prétat:, sa façon d’aller plus loin qu’eux sur le terrain « social ».

Il y a « le Family Day", mais aussi le tournoi de football, où le coursier peut discuter avec le patron Europe, ou encore L’Employé de l’année… « Je ne suis pas un grand emphatique, précise Philippe Prétat, mais chez DHL, l’un des piliers, c’est d’être employeur de choix. L’importance des collaborateurs est cruciale. (…) C’est pour cela que je suis resté onze ans! (…) Les gens restent parce qu’ils sont bien, donc ils travaillent bien. »

Rien ne sert de courir... 

Ce bien-être au travail, il tente de se l’appliquer à lui-même. « Quand on bosse depuis 32 ans, lâche-t-il, l’important, le matin, c’est de se réveiller avec la banane. » Alors, il est très organisé, ne prend pas de rendez-vous avant une certaine heure, se laisse trente minutes - incompressibles - entre chaque rendez-vous, il fait du sport régulièrement, mange sainement, et il s’échappe tous les week-end, dans la campagne normande du côté de Deauville, où sa femme, ancienne architecte d’intérieure (elle a notamment travaillé pour Bernard Arnault et le designer Andrée Putman), devenue peintre, passe désormais le plus clair de son temps.

C’est là, donc, au milieu de ses voitures de collection, qu’il ralentit pour pouvoir mieux accélérer en début de semaine. Ambitieux, il ne cache pas « avoir tout fait » pour décrocher ce poste de PDG de DHL Express France, quand Michel Akavi a annoncé son départ à la retraite: « Je voulais un poste de direction générale, alors, je suis allé au siège à Bonn, j’ai postulé. Cela n’a pas été simple, parce qu’il y avait beaucoup de concurrence en interne ». Il a reçu le soutien de Michel Akavi, qui l’a coaché et qui souligne « une énorme envie de s’améliorer, un « self-improvement » qui est aussi valable pour les autres, qu’il veut aussi aider à devenir meilleurs ».

Et après ? Philippe Prétat assure qu’il ne voit pas le coup d’après. Il entend d’abord « faire ses preuves » en France. Ses ambitions chez DHL Express, c’est « de gagner des parts de marché, d’avoir une vraie satisfaction des collaborateurs et des clients » et d’être parmi les leaders au niveau européen (la France, nous dit-il est 4ème, en Europe, avec l’Angleterre). Michel Akavi, salue « un début de parcours sans faute » dans ses nouvelles fonctions et le voit pourquoi pas, à des responsabilités européennes. Klaus Pfab, lui, se remémore qu'il lui avait promis un avenir « au-delà de son domaine de prédilection. » Il pensait, en revanche, qu’il deviendrait PDG plus tôt. « When I slow down, I go faster », nous disait Philippe Prétat. C’est aussi, en quelque sorte, la morale d’une des fables de La Fontaine: « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».