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Pilote pour le port de Marseille: un club fermé pour des missions à haut risque

"Un accident est très peu probable, mais les conséquences en seraient désastreuses", selon Jean-Philippe Salducci, président du syndicat des pilotes

"Un accident est très peu probable, mais les conséquences en seraient désastreuses", selon Jean-Philippe Salducci, président du syndicat des pilotes - BERTRAND LANGLOIS / AFP

Depuis deux siècles, les pilotes du port de Marseille font accoster les plus gros bateaux du monde au coeur de la deuxième ville de France. Un club très fermé, à la mission délicate, qui accueille deux nouvelles recrues cette année.

A 35 ans, Tangi Capitaine n'a peur ni des vagues ni des embruns. Veste de mer rouge fluo sur le dos, le pilote apprenti se hisse à bord du MSC Divina. Un monstre des flots, de 333 mètres de long --trois fois le stade Vélodrome-- et 18 ponts, qui file à dix nœuds.

Pendant quelques secondes, la vie de ce marin au nom prédestiné tient à un fil: celui de l'échelle de corde que l'équipage du paquebot de croisière fait pendre depuis une écoutille. A bord, sous l'œil d'un ancien, il va guider le capitaine de ce navire jusqu'au quai de débarquement.

Entrée dans la passe du port, à 500 mètres de la roche blanche de l'Estaque, demi-tour, accostage: "On n'a pas le droit à l'erreur. Le bassin fait 700 mètres de large, à l'échelle de bateaux qui peuvent en faire 300 de long, c'est tout petit", explique la nouvelle recrue.

Lutter contre la force d'inertie

Les géants de mers ont un talon d'Achille: leur force d'inertie, qui oblige à parcourir parfois plusieurs kilomètres avant de s'arrêter. Sans compter le mistral, compagnon maudit des pilotes marseillais: "C'est la principale difficulté technique. Le vent peut faire dériver fortement un bateau, surtout un navire de croisière", explique Tangi Capitaine.

Ils sont au total 49 pilotes habilités à conduire les embarcations dans le grand port maritime de Marseille (GPMM), le premier de France. Il s'étend jusqu'au golfe de Fos-sur-Mer, où transitent jour et nuit des dizaines de porte-containers, pétroliers et cargos chargés de matières dangereuses à destination des usines pétrochimiques.

Pour rejoindre cette confrérie, les aspirants pilotes passent un concours très sélectif. En 2018, pour la première fois depuis 2015, une édition a été organisée et deux pilotes recrutés. Dont Tangi Capitaine, à sa deuxième tentative, après une dizaine d'années de navigation, et un autre trentenaire.

Des nerfs d'acier sont exigés: lors des accostages, "un accident est très peu probable, mais les conséquences en seraient désastreuses", explique le président du syndicat des pilotes, Jean-Philippe Salducci.

L'État, qui confie à ce syndicat le monopole de cette activité, facturée en moyenne 800 euros par navire, veille de près au recrutement. Les pilotes "doivent connaître le moindre caillou, le moindre feu, la moindre bouée" du port, explique à l'AFP le directeur départemental des territoires et de la mer, Nicolas Chomard.

Lors des oraux en janvier, les candidats ont été interrogés pendant des heures sur les subtilités techniques du radar anti-collision, la prévention de la pollution aérienne, ou encore "l'usage des cartes marines et la confiance qu'on peut leur accorder".

Les apprentis passent ensuite quatre mois de compagnonnage avec un ancien, qui leur transmet tout ce qui ne s'apprend pas dans les livres. "On leur donne le petit vernis de particularités locales", témoigne Jean-Frédéric Legal, 55 ans, tuteur de la jeune recrue.

Une semaine sur deux en huis clos

Un courant insoupçonnable dans un recoin du port, le vent qui tourne entre deux hangars... la formation se poursuit dans le salon lambrissé du QG des pilotes. Une maison de béton en forme de bateau nichée dans un recoin de l'île du Frioul, avec une vue majestueuse sur la rade de Marseille, où ils vivent une semaine sur deux, en huis clos.

Exigeante, cette vie offre cependant un certain confort à de jeunes loups de mer qui ne pouvaient souvent jusque-là voir leur famille qu'en pointillés, entre deux séjours sur un navire.

De son adolescence en Bretagne, Tangi Capitaine se souvient de l'échouage de l'Erika, et des boulettes de pétrole qu'il avait aidé à ramasser sur les plages. Un cauchemar qu'il a toujours en tête, lorsqu'il fait accoster un cargo chargé de centaines de tonnes de fioul.

P.S. avec AFP