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La politique en faveur du cinéma coûte à l'Etat 750 millions d'euros

Eric Garandeau, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, sur la sellette après le changement de majorité

Eric Garandeau, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, sur la sellette après le changement de majorité - -

Un rapport confidentiel de l'Inspection des finances liste toutes les aides et subventions publiques dont bénéfice le 7ème Art.

Le Centre national du cinéma (CNC) entre dans une zone de turbulences. La Cour des comptes doit publier prochainement un rapport critique sur sa gestion. Surtout, son opulente cagnotte (près de 800 millions d'euros) sera âprement convoitée lors du débat budgétaire. Face à cela, son président Eric Garandeau est passé à l'offensive médiatique de manière préventive. L'ancien conseiller culturel de Nicolas Sarkozy multiplie les interviews pour justifier le rôle de l'établissement public, à Slate, Electron Libre ou encore France Info. Un de ses principaux arguments est que le CNC "ne coûte absolument rien au budget de l'Etat". C'est exact: le centre ne reçoit désormais plus un sou du budget général. Car il est totalement financé par une série de taxes: sur les billets de cinéma, sur les chaînes de télévision, ou encore sur les opérateurs télécoms.

Mais le CNC n'est que la partie émergée de l'iceberg. En effet, un rapport confidentiel de l'Inspection générale des finances (IGF) rendu l'an dernier souligne que la politique en faveur du cinéma comprend aussi moult autres aides et subventions publiques. Tout confondu, ces aides s'élèvent à près de 750 millions d'euros par an... soit plus du double de l'argent distribué par le CNC au 7ème Art (310 millions).

Moult niches fiscales

En pratique, le cinéma bénéficie d'abord d'aides régionales, notamment pour les tournages en province, les festivals, etc. Les régions apportent ainsi 82,5 millions d'euros, et les directions régionales du ministère de la culture (DRAC) 9 millions.

Surtout, le 7ème art bénéfice de nombreuses réductions d'impôt. La principale niche fiscale est la TVA réduite (7%) appliquée sur les tickets de cinéma, qui se traduit par 320 millions d'euros de rentrées en moins pour l'Etat. Certes, en retour, les salles de cinéma contribuent au budget du CNC (à hauteur de 143 millions d'euros), mais l'on voit que le bilan est globalement positif pour les exploitants.

Autre niche fiscale: les Sofica, qui coûtent 28 millions d'euros aux finances publiques, et qui permettent aux particuliers de déduire de leurs impôts l'investissement dans un film.

Le 7ème Art bénéfice aussi de deux crédits d'impôts pour le tournage de films: l'un pour les films français (58 millions d'euros), l'autre pour les films étrangers (20 millions d'euros). A noter qu'Eric Garandeau a récemment demandé au gouvernement d'augmenter le crédit d'impôt international, jugeant la formule actuelle pas assez attractive...

A cela s'ajoute deux autres niches fiscales dont bénéficient les producteurs de cinéma: un régime dérogatoire concernant les amortissements dans le calcul de l’impôt sur les bénéfices; et une déduction de la production immobilisée lors du calcul de la CVAE (ex-taxe professionnelle). Hélas, le coût de ces niches est inconnu. Lors du débat budgétaire de l'an dernier, la rapporteure générale du budget au Sénat Nicole Bricq (PS) se plaignait de "n'avoir pu obtenir leur chiffrage"...

L'Etat contribue aussi au financement du secteur via les télévisions publiques (France Télévisions et Arte). En effet, les chaînes publiques investissent 78 millions d'euros dans le cinéma français. En outre, elles contribuent au budget du CNC à hauteur de 154 millions d'euros, via la taxe sur les chaînes de télévision. Aujourd'hui, près de la moitié de cette taxe provient des chaînes publiques, souligne l'IGF.

Un milliard d'euros d'aides publiques à la production TV

Et encore ce calcul se limite au cinéma, et n'inclut pas les aides publiques à la production télévisuelle, qu'on peut chiffrer à un milliard d'euros par an... soit trois fois plus que ce que donne le CNC.

En effet, l'audiovisuel bénéfice de réductions d'impôt comme le cinéma. Les tournages ont aussi leur crédit d'impôt (49 millions d'euros). Mais la principale niche fiscale est la TVA réduite (7%) dont bénéfice Canal Plus, qui coûte 460 millions d'euros par an. Certes, en retour, la chaîne cryptée contribue au budget du CNC (120 millions) et à la production de films et de fictions (290 millions), mais, là encore, le bilan est légèrement positif pour la filiale de Vivendi. Enfin, la production TV bénéfice aussi d'investissement massifs des télévisions publiques (487 millions d'euros, cf. ci-contre).

Toutes ces additions ne tiennent pas compte du régime des intermittents, "en déficit global d'un peu plus d'un milliard d'euros", rappelle le rapport de l'IGF. Toutefois, ce déficit est loin d'être dû uniquement au cinéma et à la télévision, car les intermittents sont aussi très nombreux dans le spectacle vivant.

NB: tous les chiffres concernent l'année 2011

Mise à jour le 4 octobre: dans son rapport sur le CNC, la Cour des comptes indique que le cinéma et l'audiovisuel représentent en 2010 un tiers des intermittents (soit 27 000 allocataires) et un tiers du déficit du régime (soit 330,2 millions d'euros).

Le titre de l'encadré ici

|||Le poids élevé des subventions

Le CNC défend aussi l'idée que le cinéma français est peu subventionné. "Le CNC finance, selon les cas, de 6 à 9 % d’une production cinématographique. Peuvent s’y agréger 2 % supplémentaires d’aides régionales… C’est une part significative, mais on est loin d’une économie administrée…", assurait ainsi Eric Garandeau aux députés l'an dernier.

En réalité, si les aides publiques sont faibles pour un film à gros budget, elles sont très importantes dans d'autres cas. Ainsi, en moyenne, 64% du budget d'un court métrage provient d'aides publiques (toutes subventions confondues), selon les propres calculs du gouvernement. Début 2012, Paris a obtenu de Bruxelles de porter de 60% à 70% le niveau maximal de subvention pour les courts métrages.

Pour les longs métrages, le plafond imposé par Bruxelles est de 50% d'aides publiques. Toutefois, ce plafond peut être porté à 60% pour les films à petit budget (moins de 1,25 million d'euros) et pour les 1er ou 2ème films. Mais ce plafond de 60% est même parfois dépassé. En mars, le directeur du cinéma du CNC, Olivier Wotling, expliquait lors d'un point presse que Bruxelles avait engagé pour la première fois une procédure contre Paris car trois films avaient dépassé ce plafond de 60%, leur budget ayant finalement été inférieur aux prévisions. Il avait ajouté que la Commission n'avait toutefois pas exigé de remboursement immédiat des aides.

Pour ces petits budgets, les subventions du CNC sont essentielles, notamment l'avance sur recettes, une subvention octroyée sur dossier. "Les très petits films (devis inférieur à 1 ou 2 millions d’euros) financés quasi-exclusivement par l’avance sur recettes ont représenté l’essentiel de la hausse de la production nationale en 2011", indique l'Ifcic.

De leur côté, les producteurs de musique estiment qu'il faut aussi tenir compte de l'argent apporté par les chaînes de TV, étant donné qu'elles sont légalement obligées d'investir dans le 7ème Art. Résultat: selon eux, le cinéma est globalement subventionné à 51%, contre seulement 2,6% pour la production de disques, ou 7% pour le spectacle vivant.

Interrogé, le CNC n'a pas souhaité faire de commentaires.

Jamal Henni