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Comment la Silicon Valley a voulu avoir la peau de Donald Trump

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"Millions de dollars versés à Hillary Clinton, lettres ouvertes, moqueries, réunions secrètes... Les stars de la high-tech américaine historiquement démocrates ont tout fait pour faire battre Donald Trump, un candidat aux antipodes de leurs valeurs."

Tout sauf Trump. Voilà le mot d'ordre dans la Silicon Valley durant toute la campagne présidentielle américaine. Et après les intentions, place à l'action. Les géants de la high-tech arrosent ainsi la démocrate Hillary Clinton de leurs dollars et beaucoup font ouvertement campagne contre son adversaire républicain. Steve Wozniak, Ev Williams, Jimmy Wales et Pierre Omidyar, respectivement cofondateurs d'Apple, Twitter, Wikipédia et eBay, figuraient ainsi cet été parmi la centaine de signataires d'une lettre ouverte du secteur avertissant que Donald Trump à la Maison-Blanche serait "un désastre pour l'innovation". 

Des patrons qui se sont tous rencontrés discrètement en mars dernier en Georgie à l'occasion d'un forum d'entrepreneurs, rapportait alors le Huffington Post. Réunis dans la même pièce, à huis clos, Tim Cook d'Apple, Larry Page de Google, Elon Musk de Tesla et Sean Parker, le créateur de Napster et actionnaire de Facebook et une brochette d'élus issus pour la plupart du parti Républicain. "Le spectre de Donald Trump a plané sur toute la conférence", assure le commentateur américain Bill Kristol dans un e-mail dévoilé par le Huffington Post.

Si certains grands patrons de la tech américaine préfèrent, comme Tim Cook, agir dans l'ombre, certains n'hésitent pas à s'engager ouvertement contre le candidat républicain. C'est le cas d'Eric Schmidt, le patron d'Alphabet (ex-Google) qui s'est ouvertement engagé en faveur d'Hillary Clinton. L'entrepreneur finance ainsi via son fonds Tomorrow Ventures une petite start-up baptisée Groundwork. Cette société dirigée par une ancienne responsable de Google fait de l'analyse de données afin d'identifier et cibler les 15 millions d'électeurs américains qui seraient encore indécis.

Bezos offre un aller simple pour l'espace à Trump

D'autres patrons marquent plus ouvertement encore leur opposition au milliardaire américain. Comme Mark Zuckerberg qui suite aux propos anti-islam de Trump s'est fendu d'un message sur Facebook: "Je veux joindre ma voix à celles qui soutiennent les musulmans de notre pays et du monde entier", a ainsi écrit le patron de Facebook sur sa page dans un post partagé plus de 230.000 fois. Le fondateur d'Amazon Jeff Bezos qui possède par ailleurs le journal Washington Post a lui beaucoup fait rire Twitter en proposant un aller simple pour l'espace au candidat républicain dans une de ses fusées Blue Origin.

Un autre fondateur de Facebook, Dustin Moskovitz, et sa femme ont promis la somme considérable de 20 millions de dollars à Hillary Clinton et au parti démocrate, en assurant que le pays "reculerait" si Donald Trump l'emportait. Apple a renoncé à fournir des financements ou du support logistique à la convention républicaine cette année, invoquant les commentaires de Donald Trump sur les immigrés, les minorités et les femmes. Son patron Tim Cook (qui aurait figuré sur une liste de noms potentiels pour la vice-présidence démocrate) et la veuve de son emblématique prédécesseur Steve Jobs ont organisé des collectes de fonds pour Hillary Clinton. Seul Peter Thiel, le co-fondateur de Paypal et financier de la première heure de Facebook fait figure d'exception en prenant position pour Trump et en versant 1,25 million de dollars pour sa campagne. Ce qui n'a pas manqué de navrer ses collègues de la Silicon Valley dont certains ont rompu leur liens avec l'incubateur de start-up de Peter Thiel.

La Valley aux antipodes des idées de Trump

Mais Thiel est l'exception qui confirme la règle. Car le "Trump bashing" bat son plein dans la tech américaine. Car le candidat républicain fait figure d'épouvantail pour la Silicon Valley. Notamment pour ses prises de position anti-immigration et son mur anti-Mexicains. Une rhétorique à l'opposé des valeurs prônées par la tech américaine qui recrute énormément d'étrangers diplômés des grandes universités américaines. 

L'association Fwd qui rassemble quelques grands patrons du secteur (dont Mark Zuckerberg et Bill Gates) rappelle que 40% des 500 plus grandes entreprises américaines ont été fondées par des immigrés ou des fils d’immigrés. "Cette question de la migration et du mur est déterminante pour Donald Trump et elle fédère contre elle toutes les entreprises de la tech américaine", explique François Durpaire, historien spécialiste des États-Unis.

Parmi les multiples prises de position du milliardaire américain, aucune ne trouve grâce à leurs yeux. "Sur le plan culturel, la Silicon Valley est pour le mariage homosexuel, elle se préoccupe du réchauffement climatique et elle est pour une éducation soutenue par l'État: tout l'inverse de Trump, détaille Gregori Volokhine, président du fonds Meeschaert basé à New York. Et sur le plan du business, la Silicon Valley est pour la neutralité du net alors que les Républicains y sont opposés. D'ailleurs ils la surnomment "l'Obamacare de l'internet", cela montre à quel point ils sont contre."

Pourquoi la tech est devenue démocrate

Une candidature repoussoir pour un secteur qui vote majoritairement démocrate depuis une trentaine d'années. C'est en effet dans les années 80 que la Silicon Valley a viré à gauche pour des raisons à la fois culturelles (1) et économiques (2).

1) L'arrivée aux manettes d'abord des grandes entreprises de jeunes issus de la contre-culture ou de l'immigration. Les Jobs, Wozniak ou Ellison (Oracle) étaient des hippies avant de devenir les figures tutélaires de la tech américaine. Une tendance libérale-libertaire qui se prolonge aujourd'hui dans le mouvement hacker qui refuse l'ingérence de l'État dans les problématiques d'Internet. Bref, une mouvance fondamentalement anti-républicaine. 

2) La désindustrialisation du secteur ensuite qui fait de la tech un secteur à part dans le business américain. Elle n'est ainsi pas concernée par les problématiques classiques qui divisent patronat et syndicats car elle emploie principalement des cadres et des ingénieurs. La Silicon Valley fait ainsi bande à part dans le patronat américain traditionnellement plus proche des républicains.

Résultat, la tech est l'un des plus ardents soutiens des démocrates depuis des années. Lors de la précédente élection américaine, en 2012, 83% des dons versés par les cadres du secteur sont allés à la candidature Obama.

Clinton peut remercier Trump

Mais sans Trump, l'engagement pro-démocrate du secteur serait-il aussi franc et massif? Peut-être pas. Sur bien des problématiques, la tech américaine s'éloigne en effet des valeurs traditionnelles des démocrates. Le secteur est notamment pointé du doigt pour son manque de diversité au sein de ses entreprises (malgré son discours pro-immigration). Il est aussi très critiqué pour ses pratiques d'évasion fiscale. La région de la Silicon Valley est ainsi devenue au fil des années un ghetto de super-riches (le fameux 1%) où le prix de l'immobilier notamment atteint des sommets, contraignant à l'exil les classes populaires qui constituent pourtant le socle de l'électorat démocrate.

Et si Obama, le "premier président américain 2.0", était un peu le chouchou de la Silicon Valley, la relation est plus compliquée avec Hillary Clinton. D'ailleurs, dans le conflit qui oppose Apple au FBI, la candidate démocrate a préféré ne pas prendre position quitte à froisser les grands pontes de la Valley tous unis derrière Apple. Concernant l'évasion fiscale, Clinton a annoncé en décembre dernier qu'elle comptait durement taxer certaines pratiques (comme l'inversion fiscale qui consiste à délocaliser son siège social). La candidate marque clairement ses distances avec les pratiques de la Silicon Valley tout en sachant qu'elle y fera, quoi qu'il arrive, le plein des voix. Thank you, Mr Trump. 

Frédéric Bianchi