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Pourquoi Arnaud Lagardère vend ses bijoux de famille

Depuis 2011, Lagardère a engrangé 5 milliards d'euros grâce à la vente d'actigfs

Depuis 2011, Lagardère a engrangé 5 milliards d'euros grâce à la vente d'actigfs - BFM Business

Depuis deux ans, le groupe a vendu pour près de 600 millions d'euros d'immeubles, dont le siège historique d'Europe 1 à Paris pour 253 millions d'euros.

Depuis qu'Arnaud Lagardère a pris la tête du groupe éponyme en 2003, il a vendu de larges pans de son activité: l'aérospatial (EADS), l'automobile, la finance (Arjil), la majeure partie de la presse magazine (notamment celle à l'étranger), ainsi que des participations minoritaires (Canal Plus, Amaury...). Résultat: le chiffre d'affaires a quasiment fondu de moitié, passant de 13 à 7 milliards d'euros entre 2002 et 2017.

Le 8 mars, à l'occasion de l'annonce des résultats annuels, le co-gérant a annoncé la cession prochaine du reste des activités média (Elle, Gulli...), à l'exception d'Europe 1, de Paris match, du Journal du dimanche et de la production audiovisuelle. Selon le Figaro, ces cessions pourraient rapporter 400 à 700 millions d'euros.

Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. En effet, le groupe a aussi discrètement vendu d'autres actifs ces dernières années. D'abord, fin 2015, il s'est mis à titriser les créances de ses clients dans sa branche audiovisuelle, Lagardère Active. Ce procédé -très prisé des PME à court de trésorerie- permet de toucher tout de suite l'argent que vos créanciers doivent normalement vous rembourser dans quelques années. A fin 2017, 75 millions d'euros de créances commerciales ont ainsi éte vendues.

De la pierre en moins

Surtout, une large partie du patrimoine immobilier du groupe a aussi été vendu depuis deux ans, rapportant près de 600 millions d'euros. L'immeuble de Levallois Perret abritant la presse a été vendu à Ardian et Lasalle pour près de 160 millions d'euros, permettant d'engranger 40 millions d'euros de plus-value. L'immeuble historique d'Europe 1 rue François 1er à Paris vient d'être vendu, toujours à Ardian, pour 253 millions d'euros, avec une plus-value de 245 millions d'euros.

Mais ce n'est pas tout. Lagardère détenait aussi plusieurs immeubles qu'il n'occupait pas, mais louait à des tiers. Le premier, situé dans le 12ème arrondissement de Paris, a été vendu à La Française pour 189 millions d'euros, permettant d'engranger 106 millions d'euros de plus-value. Le second, situé en Espagne, a été vendu pour près de 20 millions d'euros, soit une moins-value de 3 millions d'euros.

Evidemment, une fois ces immeubles vendus, Lagardère doit désormais payer des loyers, ou ne reçoit plus les loyers auparavant versés par des locataires tiers. Ainsi, l'immeuble du 12ème arrondissement rapportait 9 millions d'euros de loyers par an, et l'espagnol 2 millions. La Compagnie immobilière Europa SNC, qui détenait l'immeuble de Levallois, engrangeait 20 millions de revenus par an. Et la société Europe 1 Immobilier SAS, qui hébergeait la radio, engrangeait 9 millions d'euros de revenus annuels.

Financer un dividende élevé

Reste donc à savoir pourquoi Arnaud Lagardère vend tous ses bijoux de famille. Une explication est que le groupe distribue un dividende élevé (1,3 euros par action depuis 2008), ce qui absorbe 170 millions d'euros par an. C'est bien souvent plus que le cash généré par l'exploitation courante. D'où le besoin de vendre des actifs pour assurer le dividende. Déjà, en 2013, les analystes de Kepler Chevreux écrivaient:

"Le principal problème actuellement pour Lagardère est l'écart entre sa génération de free cash flow et son engagement à maintenir un dividende stable".

Il y a deux ans, les analystes de Natixis abondaient:

"Le dividende ordinaire est resté stable depuis 2008 malgré la baisse du bénéfice net. Lagadère aura à coeur de maintenir son dividende à ce niveau, et fera tout pour couvrir son dividende, y compris via de nouvelles cessions".

Ces cessions d'actifs (5 milliards d'euros reçus en cash depuis 2011) dopent donc les bénéfices. Mais certaines années, le bénéfice net reste plus petit que le dividende, et donc ne suffit toujours pas. Il faut donc alors s'endetter...

Réduction du domaine de la lutte

Si Arnaud Lagardère tient à maintenir son dividende élevé, c'est probablement parce que l'héritier est lourdement endetté, et que ce dividende est utilisé pour payer les intérêts de sa dette. Mais le groupe s'en défend: "Le dividende n'est pas l'obsession d'Arnaud Lagardère, qui n'a pas à faire face à des besoins de trésorerie qui pourraient la nourrir...", assurait le co-gérant Pierre Leroy lors de la dernière assemblée générale.

Reste toutefois une inconnue: jusqu'où ira la réduction du domaine de la lutte menée par Arnaud Lagardère?

Le flux de trésorerie généré par les cessions (en millions d'euros)

2011: 840
2012: 85
2013: 3418
2014: 50
2015: -50
2016: 299
2017: 175

Source: comptes consolidés

Le résultat net (part du groupe)

2011: -707
2012: +89
2013: +1307
2014: +41
2015: +74
2016: +175
2017: +179

Source: comptes consolidés

Le dividende distribué (en millions d'euros)

2011: 166
2012: 166
2013: 1323
2014: 931
2015: 167
2016: 167
2017: 168
2018: 170

Source: comptes consolidés

Le free cash flow (flux opérationnels -investissements, hors cessions, en millions d'euros)

2011: -95
2012: -257
2013: -2
2014: -321
2015: -303
2016: 97
2017: 55

Source: comptes consolidés

Jamal Henni