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Pourquoi EDF et Areva ont-il intérêt à se rapprocher?

Areva et EDF, après s'être mis des batons dans les roues pendant des années, pourraient se rapprocher.

Areva et EDF, après s'être mis des batons dans les roues pendant des années, pourraient se rapprocher. - Vincent Kessler - Reuters

EDF n'exclurait plus de prendre une participation dans Areva. Quels enjeux sous-tendent un tel rapprochement? La réponse de Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l'Iris, spécialiste des questions énergétiques.

Les frères ennemis de l'énergie envisagent un mariage. Il ne s'agirait plus seulement de "convergence" telle que l'Etat la réclame, mais bien d'une prise de participation d'EDF dans Areva, selon Les Echos ce vendredi. Des sources proches de l'énergéticien historique évoquent même une opération qui le rendrait majoritaire au capital du constructeur de l'EPR. Trois questions à Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l'Iris, spécialiste des questions énergétiques.

> Quel avantage aurait un rapprochement pour Areva?

S'appuyer sur EDF représenterait plus de sûreté financière pour elle. Aujourd'hui, sa structure est trop petite. Elle est obligée de créer des alliances pour répondre à des gros appels d'offres. EDF, lui, a une force de frappe financière incomparable.

En devenant la "business unit" internationale d'EDF, l'entreprise qui sera bientôt dirigée par Philippe Varin obtiendrait, outre un soutien économique, une plus grande crédibilité. Areva a connu des gros problèmes ces dernières années, entre l'accident de Fukushima, les Chinois qui lorgnent les mines d'uranium au Niger, les retards de l'EPR finlandais. Sa réputation en pâtit. Areva apparaît désormais comme incapable de tenir des délais.

Aujourd'hui, elle est à la peine face à ses concurrents, notamment le russe Rosatom, qui a raflé l'essentiel du marché des pays primo-accédants. Parmi ces contrées qui commencent tout juste à exploiter l'énergie nucléaire, le Jordanie, le Vietnam, l'Inde, la Turquie, et bientôt l'Afrique du Sud, ont préféré faire affaire avec le fleuron russe du secteur. 

> Quel intérêt y trouverait EDF? Et l'Etat actionnaire?

L'énergéticien français, ancienne entreprise de service public, reste très franco-français. A l'exception de son contrat avec la Grande-Bretagne pour la centrale d'Hinkley Point, l'essentiel de ses activités nucléaires se fait sur le marché français. Areva, elle, est totalement tournée vers l'étranger. Certes, elle fournit le combustible (l'uranium) et traite les déchets des centrales françaises, mais c'est bien elle qui va chercher des contrats à l'étranger. Elle apporterait cette carte.

L'Etat français, actionnaire à 84% d'EDF et à 87% d'Areva (de manière directe et indirecte) aurait également beaucoup à gagner. Parce que le secteur énergétique français manque de cohérence. Eût égard à la taille de notre pays, nous avons beaucoup trop d'entreprises énergétiques leaders. Total, EDF, GDF, Areva, et même Alstom: cinq acteurs leaders, c'est énorme. Dans les autres pays, ils sont un, deux, trois maximum.

Un partenariat entre Areva et EDF permettrait à la France de parler d'une seule voix sur le nucléaire. Les pays qui lanceraient des appels d'offres auraient un seul interlocuteur, identifié comme la voix française.

Cela éviterait le fiasco qu'on a connu sur l'énorme contrat international d'Abu Dhabi. L'équipe de France du nucléaire, un consortium ad hoc entre Total, Areva, EDF, GDF Suez et Vinci, n'a jamais fonctionné. Chacun avait ses intérêts, le conflit de personnes entre Anne Lauvergeon et Henri Proglio, alors respectivement patrons d'Areva et d'EDF a atteint son paroxysme. Finalement, la France a perdu au profit de la Corée du Sud.

> Quels seraient les freins à un rapprochement?

Les deux groupes ont des cultures d'entreprises diamétralement opposées. EDF c'est l'électricien historique, avec une tradition de service public et une composante très industrielle. Areva se situe plus du côté des ingénieurs, de la recherche. Quand EDF vise la production, la sécurité énergétique de la France, Areva regarde au-delà des frontières, elle pense à gagner des parts de marché. En somme, elles ont du mal à se comprendre, et elles n'ont pas les mêmes objectifs.

En plus, elles ont eu tendance à se regarder avec méfiance lorsqu'Anne Lauvergeon et Henri Proglio les dirigeaient. Ce conflit, très personnalisé, a laissé beaucoup de traces entre les deux structures. Leurs départs successifs ont légèrement apaisé les tensions, mais elles existent encore. 

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco