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Le Sénat dénonce les privilèges des producteurs audiovisuels

La ministre de la culture Aurélie Filippetti ouvrira et clôturera les "assises de l'audiovisuel" qui se tiennent ce mercredi

La ministre de la culture Aurélie Filippetti ouvrira et clôturera les "assises de l'audiovisuel" qui se tiennent ce mercredi - -

Le ministère de la culture organise ce mercredi 5 juin des "assises de l'audiovisuel". Les relations entre producteurs et chaînes seront un des principaux sujets de débat. Un rapport sénatorial critique les privilèges dont bénéficient les producteurs.

Ce mercredi 5 juin, le ministère de la Culture organise au Grand Palais des "assises de l'audiovisuel". Un des principaux sujets de débat seront les délicates relations entre producteurs et chaînes de télévision. Des relations qui sont trop déséquilibrées en faveur des producteurs, à en croire un rapport sévère publié par un groupe de travail du Sénat, présidé par le radical de gauche Jean-Pierre Plancade.

"Notre système est inadapté avec un problème de compétitivité majeur", dénonce le rapport, pour qui cela "pourrait conduire à terme à un affaiblissement important des chaînes, qui serait morbide pour le secteur".

Revue de détail des cinq faiblesses du système français dénoncées par le rapport.

1- Des émissions peu vues

Premier problème: l'audience de la production nationale est en recul depuis plusieurs années, en particulier concernant la fiction. "Sept des dix meilleures audiences de fiction en France sont américaines, alors que les 10 meilleures audiences sont des fictions nationales en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et en Italie", déplore le rapport.

A qui la faute? Chacun se renvoie la balle. "Selon les producteurs, les chaînes ont vécu sur une rente de situation grâce à la faible concurrence, et sont incapables d'avoir de l'audace dans leurs commandes, car elles seraient crispées sur les téléspectateurs qui leur restent". A cela s'ajoute "le manque de créativité et l'incompétence en matière artistique" des chaînes...

Mais, selon les chaînes, les producteurs sont "incapables de proposer, et encore moins de financer, des projets d'une quelconque ambition", car ils sont assis sur une autre rente de situation: les commandes obligatoires que doivent leur passer les chaînes en vertu de la réglementation actuelle.

Un avis en partie partagé par le rapport, qui estime que cette réglementation "ne permet pas de récompenser le risque", et explique en partie "le manque d'innovation".

2- Des émissions qui s'exportent peu

Nul n'est prophète en son pays, mais la fiction française "s'exporte aussi très mal". Les ventes à l'étranger, "assez faibles", ont baissé de 25% depuis 2001. Alors que les exportations américaines ont doublé depuis les années 1990...

Assez cruellement, le rapport compare les recettes de la vente de programmes pour France Télévisions et la BBC. Chez le français, cela ne représente que 2% du chiffre d'affaires, contre 25% chez le britannique. Pire: le résultat d'exploitation de France Télévisions Distribution en 2010 était "légèrement négatif". Alors que BBC Worldwide fait remonter 270 millions d'euros de profits à sa maison-mère, la BBC.

3-Un secteur atomisé et consanguin

Le rapport pointe aussi "l'atomisation" des producteurs. Le secteur compte 2.272 sociétés -un nombre qui a doublé depuis 2001. "Plus de 45 % des sociétés n'ont déclaré qu'un seul permanent en 2011 (sic), et seulement 10 % d'entre elles comptent plus de 10 salariés", pointe le rapport. La précarité y est massive, avec 70.536 intermittents en 2011, contre 7.665 permanents.

France Télévisions contribue fortement à cette atomisation. En 2012, le service public a passé commande à pas moins de 722 producteurs différents... Cela pourrait s'expliquer par "des raisons sociologiques de connivence entre les personnels de nombreuses sociétés de production et les responsables des unités de production des chaînes de France Télévisions, entre lesquelles les allers retours ne seraient pas rares. Cette consanguinité pousserait à la multiplication des partenaires commerciaux".

Quoiqu'il en soit, "ce trop fort éparpillement entraîne un sous-financement" et "une sous-industrialiation". Ainsi, un seul français (la filiale de production de TF1) apparaît dans la liste des dix principaux producteurs européens.

Pour le groupe de travail, cette atomisation est "sans aucun doute liée à la réglementation". Il veut donc "recomposer la production audiovisuelle autour d'acteurs moins nombreux et plus solides. L'idéal serait de créer quelques grands pôles (autour des chaînes de télévision ou non), susceptibles de tenir un rang dans la compétition mondiale".

Solution avancée: les chaînes devraient pouvoir plus produire en interne, au lieu d'être obligées de passer commande à l'extérieur. Précisément, le sénateur Plancade propose de réduire à 50% la part de production externe, contre 60% à 95% actuellement. En désaccord, son collègue socialiste David Assouline propose un taux de 70%.

4-un système opaque

Le rapport dénonce aussi l'opacité du secteur: "certains producteurs ne peuvent même pas produire de factures aux chaînes".

La situation a empiré depuis qu'en 2010, les chaînes ont droit à un intéressement sur la revente des programmes (avant, le producteur gardait tout). Depuis, "de nombreuses chaînes contestent les devis surévalués des producteurs", qui gonfleraient leur propre apport. Surtout, "le manque de transparence sur les comptes de gestion des oeuvres rend extrêmement difficile la remontée des droits des chaînes".

Pour le sénateur Plancade, "s'agissant d'argent public, France Télévisions devrait ne faire appel qu'à les producteurs capables de rendre leurs comptes en toute transparence".

5-Un système déficitaire pour les chaînes

Last but not least, la principale critique du rapport est que le système n'est pas rentable pour les chaînes. Par exemple, en 2009, TF1 a indiqué au groupe de travail avoir dépensé 171 millions d'euros pour remplir ses obligations d'investissement dans la fiction française. En retour, la diffusion de ces fictions n'a rapporté que 89 millions d'euros de publicité... Et même en comptant les deux rediffusions du programme, les recettes n'ont toujours pas compensé le coût.

Pour le sénateur Plancade, "cette situation est malsaine. Les obligations de production ont vocation à produire des effets vertueux pour les chaînes".

Le rapport estime que la réglementation actuelle est "inéquitable". En effet, elle interdit aux chaînes d'être co-productrices des émissions qu'elle commande. "Quand la chaîne finance l'oeuvre, même si c'est dans son intégralité, elle n'achète qu'un droit de diffusion temporaire du programme. Elle n'en est que le simple locataire. La revente éventuelle [du programme par le producteur] ne peut lui rapporter de bénéfice". Résultat: "les chaînes, qui prennent les principaux risques, ne sont pas rémunérées à la hauteur de ce risque".

Bref, il s'agit "d'une socialisation des risques avec une privatisation des bénéfices. Cette situation n'est pas satisfaisante", car "elle pousse les chaînes à avoir un comportement malthusien: minimiser les risques et diminuer les coûts".

Là encore, le rapport propose de rééquilibrer le système en faveur des chaînes, en leur accordant à nouveau la possiblité d'être co-producteurs. Cette proposition est soutenue par "la très grande majorité des interlocuteurs consultés, dont le Syndicat de la production indépendante (SPI). En fait, seule l'Union syndicale des producteurs audiovisuels (Uspa) s'oppose nettement à cette proposition, et encore ses membres sont-ils officieusement un peu divisés sur le sujet.."

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Jamal Henni