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Promotion de la diversité: les curieux alibis des chaînes de télé

M6 cite la brésilienne Cristina Cordula parmi ses animatrices issues de la diversité

M6 cite la brésilienne Cristina Cordula parmi ses animatrices issues de la diversité - M6

Les chaînes de télévision sont désormais obligées de rendre compte de leur action en faveur de la diversité. Mais leur conception de cette obligation se révèle très large, et souvent surprenante.

Ce jeudi 4 juin, la ministre de la Culture Fleur Pellerin organise un colloque sur la diversité dans les médias. Un sujet qui intéresse depuis une dizaine d'années les pouvoirs publics, qui ont multiplié obligations et incitations pesant sur les chaînes de télévision. Ainsi, doivent-elles désormais remettre chaque année un bilan de leur action en faveur de leur diversité.

Pour l'essentiel, ces bilans listent les personnalités issues de la diversité passées à l'antenne, ainsi que les reportages sur le sujet.

Appeler un noir un noir

Mais le politiquement correct règne dans ces bilans. Aucune chaîne n'ose appeler un chat un chat -en l'occurrence un noir un noir. Toutes se contentent de donner le nom des personnalités sans oser ajouter quoique ce soit, laissant le lecteur deviner la diversité qu'elle représente. Aucune mention de l'origine, de la couleur de leur peau... Seule exception: les chaînes du groupe TF1 indiquent que tel ou tel "peut être perçu comme non blanc". Une formule étrange, mais qui ne fait que reprendre le terme utilisé par le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) dans son baromètre de la diversité

Surtout, pour démontrer leurs efforts en la matière, les chaînes ratissent large, et ont une vision très extensive de la diversité. Ainsi, M6 liste la brésilienne Cristina Cordula parmi ses animateurs issus des "minorités visibles". D8 considère que Cyril Hanouna ou Gad Elmaleh sont issus de la diversité. De même, Nabilla, Manu Payet ou Eric Judor seront ravis d'apprendre qu'ils ont aidé Canal Plus à remplir ses obligations en matière de diversité...

Des politiques et des chanteurs

Surtout, la chaîne cryptée, dans la liste des invités en plateau issus de la diversité, n'hésite pas à inclure des politiques: Najat Vallaud-Belkacem, Fleur Pellerin, Harlem Désir, Jean-Vincent Placé, Rama Yade, Rachida Dati... Ou des sportifs: Zinedine Zidane, Yannick Noah, Marcel Desailly, Samir Nasri, Djibril Cissé, Teddy Riner, Jo-Wilfried Tsonga... Usain Bolt est même rebaptisé Ussein Bolt, sans doute pour renforcer son exotisme...

Passer du rap à l'antenne relève aussi de la diversité, estiment aussi M6 (qui cite la Fouine ou Corneille) et Canal Plus (Booba, Joey Starr, et aussi la Fouine). De même qu'un chanteur noir américain pour M6 (Rihanna, Beyoncé, Jay Z, Pharrell Williams) ou Canal Plus (Alicia Keys, Pharrell Williams, Will IAm, Snoop Sogg, Sean Paul... mais aussi le coréen Psy). 

Représentations négatives

Enfin, et non des moindres, les chaînes mettent en avant des représentations de la diversité qui paraissent ambigües, voire négatives. Ainsi, W9 se vante d'avoir diffusé, au titre de la diversité, un reportage sur l'alcoolisme des femmes, ou un autre intitulé Gens du voyage, Roms: au coeur de ces communautés qui intriguent. M6 se flatte d'avoir donné la parole à "des familles immigrées" expliquant pourquoi elles votent Front National.

La Six s'enorgueillit d'avoir "abordé le quotidien des personnes handicapées" avec des reportages sur une agoraphobe, un enfant hyperactif, ou un enfant surdoué... Ou de "mettre en valeur la place des femmes" avec Les reines du shopping, alors que, pour certaines féministes, l'émission donne une image régressive de la femme, réduite à un rôle de victime de la mode, compulsive et superficielle...

A noter toutefois qu'aucune chaîne ne fait rentrer dans la diversité les sujets sur l'immigration ou les religions.

Les angles morts de la diversité

Il n'existe aucune définition juridique de la diversité. Chaque chaîne la définit donc comme elle l'entend. En pratique, les chaînes la réduisent à la couleur de la peau, aux femmes et au handicap. France Télévisions aborde brièvement dans son bilan la question des séniors. M6 s'attarde sur les plus pauvres, même si la Six ratisse large: selon elle, montrer un agriculteur dans L'amour est dans le pré, un jeune entrepreneur dans Graine de boss, ou une mère célibataire dans C'est ma vie "permet de mieux exposer les inactifs et les personnes issues des catégories moins élevées". En revanche, aucune chaîne n'aborde dans son bilan l'orientation sexuelle ou la religion.

De son côté, le CSA retient cinq catégories dans son baromètre de la diversité créé en 2009: "le genre, les catégories socio-professionnelles, l'origine perçue, le handicap et l'âge".

Jamal Henni