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Publicis: l'incroyable vie de Maurice Lévy qui a basculé après un incendie

Maurice Lévy, 75 ans, a commencé sa carrière chez Publicis en mars 1971, quelques mois avant la naissance d'Arthur Sadoun, son successeur. Retour sur l'histoire du patriarche français de la pub qui cède son bureau de Président du directoire ce jeudi.

Aisée, sa famille fuit l'Espagne franquiste pour le Maroc

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Maurice Lévy est né le 18 février 1942 à Oujda au Maroc. Son père, un professeur de philosophie condamné à mort par le régime franquiste avait quitté l'Espagne avec femme et enfants, direction Perpignan puis le Maroc quand l'Allemagne nazie a envahi la France. Sa famille d'origine juive séfarade était très aisée en Espagne. Le jeune Maurice Lévy qui aura sept frères et soeurs se souvient d'un grand-père éblouissant: "Dans l'entrée de son hôtel particulier, mon grand-père laissait un plateau rempli de pesetas. N'importe qui pouvait entrer dans le patio se servir, sans éprouver l'humilité et la gêne d'être vu", confie-t-il dans un entretien à La Croix

À 20 ans, il gagne un concours pour étudier aux États-Unis 

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Au début des années 60, âgé d'une vingtaine d'années, le jeune Maurice Lévy gagne le premier prix d'un concours organisé par la chaîne de magasins de chaussures Bata. Sacré lot puisqu'il s'agit d'un séjour dans une université américaine (celle du New Jersey) pour se former à l'informatique. Diplôme de l'American Management Association en poche, il rentre en France en 1965 où les portes sont grandes ouvertes à l'époque pour les rares diplômés en informatique.

Son premier salaire en tant qu'informaticien? 2.750 francs

Maurice Lévy en bas à gauche en 1972 à ses débuts chez Publicis
Maurice Lévy en bas à gauche en 1972 à ses débuts chez Publicis © DR

Alors qu'il a des propositions de banques ou d'entreprises du BTP, Maurice Lévy opte pour Synergie, une petite agence publicitaire. Il entre donc dans la pub un peu par inadvertance et par une porte dérobée. "L'endroit était différent des autres, c'était lumineux même si tout le monde se ressemblait et portait des chemises blanches. Mon recrutement n'a pris en tout que 20 minutes", expliquait-il en 2006 au Figaro.

Le secteur paie déjà bien à l'époque puisque son premier salaire est de 2.750 francs, soit l'équivalent aujourd'hui de 3.500 euros. Dans cette petite agence, Maurice Lévy ne se cantonne pas à l'informatique et touche aussi un peu au commercial. Avec efficacité semble-t-il, puisque le patron de l'agence qui part à la retraite lui propose son poste. Patron à moins de 30 ans? Tentant mais il refuse. "Si à 29 ans, on me reconnaissait comme étant le meilleur, c'est que je n'étais pas dans la bonne agence", confie-t-il au Figaro. Il postule peu après, en mars 1971, chez Publicis qui est à l'époque l'agence en vogue et fait la connaissance de son fondateur Marcel Bleustein-Blanchet, une rencontre qui va changer sa vie.

1972, Publicis brûle mais Lévy sauve l'entreprise

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Le 27 septembre 1972, alors qu'il sort d'un dîner, Maurice Lévy passe devant le siège de Publicis (le fameux drugstore) en flammes. Celui qui est alors directeur informatique de l'agence veut pénétrer à l'intérieur des locaux pour participer au sauvetage. Les pompiers refusent. "Dans un coin de la rue, je tombe par magie sur le casque et la veste en cuir d’un soldat du feu et ni une ni deux, je les enfile !, raconte-t-il dans une interview à Paris Match. Vêtu de la sorte, dans un état de quasi-inconscience, je suis le premier des salariés à pénétrer dans cette zone apocalyptique, via la rue Vernet. Il est près de 5 heures du matin."

Il découvre alors le corps sans vie d'une caissière du drugstore et alerte les secours avant de se précipiter dans la salle informatique. Là il casse les vitres pour évacuer les fichiers et bandes magnétiques des clients et des archives de l'agence. "C’est moi qui, pendant un an, ai réalisé ce système informatique d’archivage, alors j’y tiens plus que tout !" L'entreprise renaît de ses cendres une semaine après. Marcel Bleustein-Blanchet est ébloui et le nomme secrétaire général dès 1973. Son ascension dans l'agence sera ensuite fulgurante: à 33 ans, il est nommé directeur général adjoint de Publicis Conseil puis directeur général du groupe un an plus tard, en 1976. Et en 1988, Marcel Bleustein-Blanchet qui a alors 82 ans, lui cède les rênes de son empire.

Il laisse le bureau du patron à Elisabeth Badinter 

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- © Jacques Demarthon - AFP

Décrit comme un bourreau de travail, Maurice Lévy arrive généralement à 7 heures du matin au bureau pour n'en repartir que le soir tard. Et ce, six jours sur sept. Mais il n'a jamais occupé le bureau "mythique" du fondateur Bleustein-Blanchet, au sixième étage du 133 avenue des Champs-Elysées. Située juste à côté du bureau de Maurice Lévy, la pièce a été laissée en l'état au départ du fondateur et n'est occupée que par Elisabeth Badinter, lorsqu'elle est de passage dans la maison.

Née Bleustein-Blanchet avant d'épouser Robert Badinter en 1966, la fille du fondateur, qui détient 7,5% des parts de l'empire pour une fortune estimée à 1,05 milliard d'euros, aura jusqu'au bout accordé sa confiance à Maurice Lévy. Ils se rencontrent tous les lundis et mercredis pour faire le point, mais Elisabeth Badinter a toujours laissé une grande liberté d'action au Président de Publicis. "Elisabeth et Maurice, c'est un peu la reine d'Angleterre et le Prime Minister", s'amuse un témoin cité dans Le Nouvel Obs.

Il rêve d'avoir Guernica de Picasso dans son salon

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- © EPA - Reina Sofia

Maurice Lévy a beau être un des patrons français les plus connus, une figure majeure du capitalisme français depuis plus de 40 ans, il n'en reste pas moins très secret. Il refuse par exemple d'apparaître sur le Who's Who. À peine sait-on qu'il vit dans un appartement à Saint-Germain-des-prés, qu'il possède une bastide dans les environs de Saint-Rémy-de-Provence où il aime en bon patriarche réunir sa famille pour les vacances (ses trois enfants qu'il a eus avec son épouse Raquel et ses six petits-enfants) ainsi qu'un chalet à Crans-Montana dans les Alpes suisses. Côté passions, il ne laisse pas filtrer grand chose. Il y a quelques années il confiait à Libé aimer le groupe de rock anglais Clash, être un grand lecteur de Steinbeck ("Des Souris et des hommes" est son roman préféré) et se passionner pour l'art dont il est un grand collectionneur. Son rêve: accrocher le mythique tableau Guernica de Picasso dans son salon. Comme un écho à son histoire familiale, cette fresque magistrale anti-franquiste s'inspire du bombardement terrible de la ville de Guernica en 1937. 

L'échec de la fusion avec Omnicom, le deal de trop?

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Maurice Lévy a transformé le petit "artisan" Publicis en géant mondial de la pub. À coup de nombreux rachats (Leo Burnett en 1996, Saatchi & Saatchi en 2000, Digitas en 2006...) il a façonné le groupe qui est aujourd'hui le numéro 3 mondial du secteur. À son arrivée, Publicis était par exemple de la taille de son rival français Havas, il est aujourd'hui quatre fois plus gros. Sous son règne, les effectifs de Publicis sont passés de 3.000 à 78.000 personnes, son chiffre d'affaires a été multiplié par 50 et son poids en bourse (Publicis a intégré le CAC 40 en 2010) par 100.

Repoussant toujours l'échéance de sa succession, Maurice Lévy a tenté le coup de sa carrière en 2013: fusionner avec le groupe américain Omnicom pour former le numéro 1 mondial du secteur avec 130.000 salariés. L'idée était de contrer la montée en puissance des géants mondiaux de l'internet (Google, Facebook...) qui risquent de faire main basse sur la pub à l'avenir.

Une opération que Maurice Lévy espère entre égaux car bien qu'un tiers plus petit en termes de chiffre d'affaires, Publicis pèse alors plus lourd en Bourse (13,2 milliards d'euros) que l'américain. Annoncé en grande pompe au coeur de l'été 2013, le rapprochement finit par capoter en octobre. Maurice Lévy et son homologue John Wren ne réussissent pas à se mettre d'accord sur la structure managériale du groupe et sur le nom du futur directeur financier. Les analystes pointent l'amateurisme des acteurs dans cette opération. Suite à l'échec, Publicis perd de gros contrats -notamment aux États-Unis avec Procter & Gamble- et Maurice Lévy se voit contesté, mezzo voce, en interne. 

Un patrimoine de 280 millions et des bonus qui font jaser

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- © Maurice Lévy

Le patriarche du CAC 40 en est aussi l'un des plus riches parmi les dirigeants qui ne sont pas directement des fondateurs d'empire. Sa fortune estimée à 280 millions d'euros en 2016 par Challenges, Maurice Lévy la doit principalement à ses actions Publicis dont il détient 2% du capital. Ainsi qu'à ses copieux bonus qui ont pris un tour très médiatique en 2012. Lors de la précédente campagne présidentielle, l'annonce d'un bonus de 16 millions d'euros touché par le patron de Publicis avait ému à gauche et le candidat d'alors, François Hollande, y avait vu de quoi justifier sa promesse de taxer 75% des revenus au-delà du million d'euros. Maurice Lévy qui avait en 2011 signé une tribune dans Le Monde pour demander à ce qu'on taxe plus les riches s'était tout de même opposé à cette taxe de 75% (jamais mise en place d'ailleurs). Maurice Lévy participe par ailleurs au financement de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, une fondation consacrée à la recherche créée en 2005.

En abandonnant son poste de président, Maurice Lévy ne sera pas dans le besoin pour autant. Il devrait toucher 2,8 millions d'euros brut par an pour son nouveau poste de président du conseil de surveillance (poste non exécutif). Une somme très supérieure à la moyenne pour ce type de poste. À titre de comparaison, Elisabeth Badinter qui l'occupait jusqu'alors touchait 240.000 euros par an, soit plus de 10 fois moins.

Ses difficiles adieux dans une vidéo

Voilà quelques années que le patron de Publicis se met en scène dans des vidéos pour les vœux de fin d'année aux salariés de son groupe. Des vidéos décalées et souvent rigolotes en anglais ou en chinois comme en 2011. Pour sa dernière enregistrée en décembre dernier, l'homme fort de la pub met en scène son départ annoncé. On y voit une équipe de déménageurs en train de vider son bureau pendant que lui, stoïque, tente de décrire l'état du monde et l'évolution de son business. Sur son bureau, un mug sur lequel on peut lire "I'm the boss" attire l'attention. Un déménageur malheureux tente de l'enlever en vain. La tasse est solidement attachée au bureau. Arthur Sadoun, le nouveau président du directoire de Publicis, est prévenu... Maurice Lévy lui cède son bureau, mais pas le mug. Et il a bien l'intention d'y savourer de nombreux cafés ou thés dans le futur bureau qu'il occupera dans le même immeuble en tant que Président du conseil de surveillance.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco