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Comment Publicis réduit ses impôts

Plus de 90% de l'activité de Publicis transite déjà par les Pays-Bas, un pays à la fiscalité allégée

Plus de 90% de l'activité de Publicis transite déjà par les Pays-Bas, un pays à la fiscalité allégée - -

L'agence de publicité s'est établie dans plusieurs pays à la fiscalité avantageuse. Elle paye aussi peu d'impôts en France grâce à des pertes passées.

Publicis Omnicom Group, le nouveau numéro un mondial de la publicité, sera basé à Amsterdam, ont indiqué Publicis et Omnicom lors de l'annonce de leur fusion. Mais pourquoi avoir choisi cet endroit?

"Notre choix ne s'est pas porté sur la Hollande pour les avantages fiscaux: il n'y en a pas", a assuré Maurice Levy, président du directoire de Publicis.

De son côté, le directeur financier d'Omnicom, Randall Weisenbuger, à qui un analyste financier demandait si le nouvel ensemble paierait moins d'impôt grâce à sa domiciliation aux Pays-Bas, a répondu: "je pense que oui. Nous aurons évidemment un tas d'optimisation fiscale à faire. Chacune de nos sociétés a aujourd'hui une structure fiscale assez compliquée".

Il a même précisé ultérieurement que la fusion générerait "des économies d'impôt de 80 millions de dollars par an".

Plus de 90% de l'activité chapeautés par les Pays-Bas

Publicis connaît très bien la fiscalité batave, car les Pays-Bas jouent d'ores et déjà un rôle central dans l'organisation du groupe. En effet, toutes les filiales hors de France sont détenues par la société néerlandaise Publicis Groupe Investments BV, à en croire l'organigramme figurant dans le document de référence.

Etant donné que la France ne représente que 9% du chiffre d'affaires de l'agence de publicité, cela signifie que plus de 90% de l'activité du groupe est chapeautée par cette société domiciliée à Amstelveen, au sud d'Amsterdam.

Peu d'informations sont disponibles sur cette société. On sait juste qu'elle n'engrange aucun chiffre d'affaires: c'est donc une holding sans activité commerciale. Mais elle ne dépose pas ses comptes. Impossible donc de savoir combien d'impôts elle paye au fisc hollandais. Et la porte-parole du groupe, interrogée à plusieurs reprises sur ce point, n'a pas répondu.

Madison Avenue au Delaware

En tous cas, on sait que les Pays-Bas présentent de multiples avantages fiscaux. Par exemple, les dividendes qu'une holding reçoit de ses filiales y sont exonérés d'impôts...

Mais ce n'est pas tout. Publicis utilise aussi d'autres pays à la fiscalité clémente. Ainsi, le groupe possède plusieurs filiales au Delaware, le paradis fiscal interne des Etats-Unis. C'est notamment là qu'est immatriculée Publicis Groupe U.S. Investments LLC, la société qui, à en croire l'organigramme du groupe, détient tous les actifs américains, et chapeaute donc près de la moitié du chiffre d'affaires du groupe.

Iles Vierges, Jersey, Luxembourg...

En outre, font aussi partie du groupe quelques filiales de taille plus modeste installées dans des paradis fiscaux exotiques. Par exemple Communication Central Group Investment Ltd et Communication Central Software Ltd, immatriculées aux îles Vierges britanniques qui détiennent une agence de marketing chinoise.

Selon le document de référence 2010, fait aussi partie du groupe Red Pepper Ltd, autre société immatriculée aux îles Vierges britanniques, qui détient une agence de publicité russe.

En outre, le groupe est actionnaire de la société luxembourgeoise Publicis Graphics Group Holdings SA, propriétaire d'une holding à Jersey baptisée Publicis Graphics Holdings Ltd, qui détient des agences dans 8 pays du Moyen Orient.

Enfin, c'est aussi au Luxembourg qu'est immatriculée Lion Lead SCA, une société crée pour accueillir les actions gratuites attribuées aux cadres dirigeants. Cette société a aussi acheté pour 80 millions d'euros d'actions Publicis. Maurice Levy est un de ses actionnaires, à en croire ses satuts.

Impôts réduits en France

Last but not least, les fiscalistes de Publicis s'ingénient aussi -avec succès- à réduire l'impôt sur les bénéfices payé en France. Hélas, les comptes du groupe n'indiquent pas précisément combien d'impôts Publicis paye en France. Et la porte-parole n'a pas répondu non plus à cette question.

Mais il est possible de savoir quel est l'impôt dû par les principales filiales françaises. En effet, ces filiales françaises ont décidé de payer leur impôt en commun -c'est ce qu'on appelle dans le jargon des fiscalistes "un groupe d'intégration fiscale". Ce groupe, constitué en 2003, comptait 37 filiales à fin 2012, dont les principales filiales françaises (*). Dans un tel système est désignée une tête de pont, qui s'acquitte de l'impôt dû par tous les membres du groupe. "L'impôt payé par le groupe d'intégration fiscale est l'impôt payé par la tête de pont, qui est l'impôt figurant dans les comptes sociaux de la tête de pont", explique Hervé Israël, avocat associé chez Holman Fenwick Willan.

Or, dans notre cas, la tête de pont n'est autre que Publicis Groupe SA, la maison mère du groupe. Et l'impôt figurant dans ses comptes sociaux est depuis 2003... un crédit d'impôt, et non une charge. En clair, cela signifie que, depuis 2003, le groupe d'intégration fiscale ne doit pas d'argent au fisc français, mais au contraire que c'est le fisc qui lui doit de l'argent...

Redressement fiscal

Comment expliquer cela? Interrogée, la porte-parole n'a pas répondu. Les comptes sociaux, succints, indiquent que cela est dû à des "déficits reportables" -en clair, des pertes passées qui permettent de réduire l'impôt les années suivantes.

Toutefois, Bercy a fini par mettre le holà à cette niche qui permettait à de nombreux groupes de ne pas payer d'impôt. Depuis l'exercice 2011, une entreprise, même si elle possède des déficits reportables importants, doit quand même s'acquitter chaque année d'un impôt minimal.

A noter enfin que les techniques des fiscalistes de Publicis n'ont pas toujours été approuvées par le fisc français. En effet, le groupe a dû payer 18 millions d'euros d'impôts en 2010 "en raison d’un litige avec l’administration fiscale sur une transaction antérieure", indiquent les comptes, qui précisent que le groupe a fait appel de ce redressement. Interrogée, la porte-parole du groupe n'a pas non plus fourni d'explications.

Donner des leçons aux Américains

Au final, grâce à ces multiples techniques tout à fait légales, Publicis parvient à ne payer globalement que 29% d'impôt sur ses bénéfices. Une jolie performance, car près de la moitié du chiffre d'affaires est réalisé aux Etats-Unis, où le taux d'imposition normal est de 35% au niveau fédéral. Et le second marché du groupe est la France (9% du chiffre d'affaires), où l'agence devrait en théorie payer 34,43% d'impôt sur les bénéfices. Les Français pourront donc donner des leçons de fiscalité à leurs nouveaux amis d'Omnicom, qui n'arrivent pas à faire aussi bien (32% d'impôts sur les bénéfices en 2012).

Interrogée à trois reprises depuis mi-juillet, la porte-parole du groupe n'a jamais répondu à nos questions.

La défense de Maurice Levy

Toutefois, le groupe s'était exprimé une fois sur le sujet il y a un an, lors d'une audition de Maurice Levy au Sénat, où il avait notamment déclaré: "nous ne faisons pas d'opération destinée à faire de l'optimisation pour de l'optimisation. C'est quelque chose qui n'appartient pas à notre vocabulaire, pas à notre façon de faire. [...] Partout où nous sommes, nous sommes avec des activités. Nous n'avons pas d'extraterritorialité. Nous ne sommes pas dans un pays -prenons l'Irlande- qui servirait des clients en France, en Angleterre, en Allemagne ou ailleurs. Partout où nous sommes, nous servons des clients internationaux localement, ou des clients locaux. Si la question est: 'est-ce que vous vous installez dans un pays pour éviter ou optimiser la fiscalité', la réponse est non. [...] Clairement, nous n'avons pas [d'entités dans les territoires off shore]".

Enfin, le gourou de la publicité a rappelé que lorsque son rival WPP avait déménagé à Dublin et Guernesey pour des raisons fiscales, des actionnaires lui avaient demandé s'il comptait en faire autant: "je leur ai indiqué que je comptais ne rien faire. Je pense que, si nous sommes ce que nous sommes, nous le devons au pays qui nous accueille et qui nous a permis de nous développer lorsque nous n'étions pas grand-chose, c'est-à-dire la France. Je pense qu'il est normal que nous contribuions à l'effort national".

(*) Les comptes consolidés listent "les filiales principales" -celles qui réalisent plus de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ils indiquent qu'il y a 18 "filiales principales" en France à fin 2012. Parmi elles, 13 "filiales principales" sont détenues à plus de 95%, et donc peuvent théoriquement faire partie du groupe d'intégration fiscale. En pratique, 10 de ces 13 filiales font effectivement partie du groupe d'intégration fiscale. Les trois autres filiales qui ne font pas partie du groupe sont Drugstore Champs Elysées SNC (qui perd de l'argent depuis 2004 et donc ne paye pas d'impôts), Marcel SAS (1,6 million d'euros d'impôts en 2012) et Vivaki Communication SA (188.809 euros d'impôts en 2012).

Jamal Henni