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Publicité: Radio France a dépassé le plafond autorisé

Ces recettes ont permis de diviser les pertes par deux

Ces recettes ont permis de diviser les pertes par deux - Christophe Abramowitz Radio France

Grâce à la libération de la publicité sur leurs antennes, les radios publiques ont engrangé 46 millions d'euros de recettes publicitaires en 2017, dépassant le plafond autorisé de 42 millions. Mais aucune sanction n'est possible...

Parfois un grand succès s'avère être aussi une malédiction. Voilà ce qui arrive actuellement à Radio France. En 2017, les antennes des radios publiques ont engrangé 46 millions d'euros de publicité (hors sites web). C'est 4,9 millions d'euros de mieux que l'année précédente, et de mieux que le budget.

Performance remarquable

Une performance due aux bonnes audiences des radios publiques. Mais surtout à la libéralisation de la publicité sur les antennes publiques intervenue en avril 2016, et qui autorise désormais la publicité de marque, interdite auparavant. Dans son rapport d'exécution budgétaire, Radio France explique:

"L’augmentation des recettes de la publicité nationale est liée à l’arrivée de nouveaux annonceurs suite à l’ouverture du cahier des charges début avril 2016. L’augmentation du chiffre d’affaires par rapport au budget 2017 est essentiellement due aux recettes réalisées avec ces nouveaux clients, qui représentaient 7,4 millions d'euros en 2016 pour atteindre 14,8 millions d'euros en 2017...
Les investissements des 148 nouveaux annonceurs atteignent 14,8 millions d'euros, soit 48% du chiffre d'affaires de la publicité diffusée sur les antennes nationales".

Une performance d'autant plus remarquable que, globalement, le marché publicitaire de la radio est orienté à la baisse, avec un recul de 2,6% l'an dernier.

Enfin et non des moindres, cette performance a aussi permis de diviser par deux les pertes de Radio France l'an dernier, les réduisant à seulement 5 millions d'euros.

Violation du contrat avec l'Etat

Formidable, me direz-vous? Pas vraiment. Avec 46 millions d'euros de recettes publicitaires, Radio France a dépassé le plafond fixé dans le Contrat d'objectifs et de moyens (Com), une liste d'engagements passés avec l'Etat en 2016. Ce contrat stipule:

"Sur toute la durée du Com [soit jusqu'en 2019 inclus], les ressources publicitaires traditionnelles ne pourront excéder un plafond de 42 millions d'euros par an".

Ce plafond avait été imposé par l'Etat pour que Radio France ne profite pas trop de la libéralisation de son régime publicitaire au détriment de ses concurrents. Bref, exactement ce qui s'est finalement passé...

Droite dans ses bottes

Face à ce non respect des engagements, on aurait pu penser que Radio France se flagellerait, se couvrirait la tête de cendres et promettrait piteusement de ne jamais recommencer. Que nenni! Au contraire, la pdg Sibyle Veil, interrogée sur le sujet le 5 juillet lors d'un déjeuner de l'Association des journalistes média, est restée droite dans ses bottes, et a même implicitement promis de continuer: 

"Nous n'avons pas vocation à aller au delà du montant actuel. Le changement du cahier des charges a permis de stabiliser [sic] les recettes publicitaires. Nous sommes dans le respect de la réglementation. Si nous n'avions pas respecté la réglementation, il y aurait eu des recours de nos concurrents, comme le Sirti..."

Aucune sanction prévue

En réalité, le Sirti, qui regroupe les radios indépendantes, a déjà alerté le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel), comme l'ont indiqué les Echos. Sauf que cela ne servira à rien. En effet, aucune sanction -ni de l'Etat ni du CSA- n'est prévue dans les textes si le Contrat d'objectif et de moyens n'est pas respecté. Le gendarme de l'audiovisuel indique ne pouvoir que donner qu'un avis consultatif sur ce contrat. Certes, il a bien un pouvoir de sanction en cas de non respect du cahier des charges, mais le plafond ne figure pas dans ce texte là...

Bref, Radio France risque au pire une admonestation noyée au fin fond d'un épais rapport du CSA. On comprend mieux maintenant pourquoi Radio France s'assoit sans hésiter sur ce plafond...

Tour de passe passe

Ultime ironie: Radio France doit remettre chaque année au gouvernement, au CSA et au parlement un rapport rendant compte de son respect du Contrat d'objectifs et de moyens. Mais, dans l'édition 2017 de ce rapport, la direction passe très rapidement sur la question de la publicité, occultant totalement le plafond de 42 millions d'euros, et surtout sa violation.

Toutefois, auditionnée par le CSA, la direction a prétendu que le plafond avait bien été respecté en 2017, selon le Canard enchaîné. Pour le démontrer, elle a déduit 5 millions de "messages d'intérêt général" des 46 millions d'euros engrangés. Ce tour de passe passe est aussi effectué dans le rapport public d'activité. Il fait donc miraculeusement tomber les recettes publicitaires à 41 millions d'euros, sous le plafond fatidique... Certes, une telle soustraction n'avait jamais été effectuée auparavant, et n'est prévue par aucun texte, notamment pas par le Com. Mais qu'importe: plus c'est gros, plus ça passe...

Contacté, le ministère de la Culture n'a pas répondu.

La publicité à Radio France

Chiffre d'affaires (en millions d'euros)
2009: 39,4
2010: 41,8 dont radio 40,6 internet 0,7
2011: 41,3 dont radio 39,9 internet 0,86
2012: 40,4 dont radio 39,1 internet 0,83
2013: 40,4 dont radio 38,9 internet 1,02
2014: 42 dont radio 40,4 internet 1,06
2015: 40,1 dont radio 37,9 internet 1,7
2016: 43,3 dont radio 41,1 internet 2,2
2017: 48,5 dont radio 46 internet 2,5
2018 (budget): 45,4

Répartition (en millions d'euros en 2017, hors messages d'intérêt généraux)
France Inter: 19,8
Franceinfo: 9,1
France Bleu et stations locales: 12,0
Mouv’, France Culture et France Musique: 0,1

Sources: Bercy, CSA, Radio France

Jamal Henni