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Quand le fisc épingle Laurent Blanc pour son voilier défiscalisé

Laurent Blanc en 1996 lorsqu'il jouait pour Auxerre

Laurent Blanc en 1996 lorsqu'il jouait pour Auxerre - AFP Vincent Amalvy

"SÉRIE DE NOËL: LES STARS DANS LE PRÉTOIRE Pour payer moins d'impôts, le footballeur a acheté des parts d'un bateau de plaisance à la Guadeloupe. Mal lui en a pris..."

En 1986, Bernard Pons, alors ministre de l'Outre-mer, fait adopter un dispositif permettant de déduire de ses impôts 100% d'un investissement dans les Dom-Tom.

De nombreux contribuables aisés s'engouffrent dans la brèche, notamment en s'offrant un yacht. Dans les quatre ans qui suivent, le nombre de bateaux de plaisance dans les Dom-Tom est ainsi multiplié par quatre, pour atteindre 1100. Entre 1992 et 1997, les contribuables ayant misé sur cette niche fiscale à voile ou à moteur parviendront à économiser 820 millions d'euros d'impôts. Au total, sur ses dix premières années, la loi Pons représentera au bas mot 2 milliards d'euros de recettes fiscales évaporées, selon un rapport du député Didier Migaud...

Des footballeurs et des dentistes

Parmi ces contribuables figure Laurent Blanc. A l'époque, le footballeur fait partie de l'équipe de Naples, qui le paie fort bien: 960.000 euros pour une saison (1991-92). Footballeur depuis 1983, il a déjà accumulé un joli pécule qu'il a investi surtout dans l'immobilier: il a ainsi dépensé 1 million d'euros pour acheter sept résidences à Bordeaux, Antibes, Cannes, Cap d'Ail, Riedisheim et Saint-Clément-la-Rivière, ainsi que 150.000 euros investis dans trois SCPI de BNP Paribas.

Lassé de l'immobilier, il décide de profiter des bienfaits de la loi Pons. Il investit dans trois sociétés de défiscalisation: Outre Mer Yachting SNC (dont il acquiert 54%), Tropic Sailing SNC (33%) et Outre Mer Sailing SNC (56%). Dans la seconde, les autres actionnaires sont quatre dentistes alsaciens. Et dans la troisième, les autres actionnaires sont un conseiller financier, Jean-Claude Spiegel (8%), et deux footballeurs, Ali Bouafia (22%) et Didier Notheaux (14%).

Hélas, l'affaire va mal tourner. En 1991, Outre Mer Sailing SNC achète pour 273.177 euros en crédit bail un voilier de type Feeling 446 long de 13,8 mètres, baptisé le Napolitain. Construit aux chantiers Kirié des Sables d'Olonne, il est envoyé en 1992 à Point-à-Pitre, puis à Saint-Martin. Surtout, l'exploitation du bateau est confiée à une société baptisée Jet Sea, détenue à 50/50 par Frédéric Asseo et Jacques Casiro.

En 1991, c'est le jackpot pour les deux actionnaires de Jet Sea: un groupe d'investisseurs comprenant Duménil Leblé, Lazard, la Caisse des dépôts, Wendel et certains de leurs dirigeants, comme Jean-Marie Messier, Antoine Bernheim, rachète 70% du capital de Jet Sea pour 9 millions d'euros. Parallèlement, la banque Duménil Leblé (appartenant à Carlo de Benedetti) est aussi le principal créancier de Jet Sea.

Mais "avec l'arrivée de la récession, les contribuables ont moins recours à la défiscalisation, et la bulle explose. La campagne de collecte menée par Jet Sea en 1992 rapporte moins que prévu, et le plan d'affaires n'est plus tenu", raconte Jean-François Tessler, avocat de Jacques Casiro. Résultat: en mars 1993, Jet Sea se place en redressement judiciaire, puis en liquidation, laissant un passif de 92 millions d'euros. Beaucoup de ses bateaux, dont le Napolitain, sont laissés à l'abandon...

Pas de happy end

En 1994, une instruction judiciaire est ouverte pour faire la lumière sur la faillite de Jet Sea. L'enquête révèle que des douaniers ont délivré de faux "actes de francisation", le certificat de livraison nécessaire pour bénéficier de la défiscalisation. "Des documents ont en effet été antidatés car les délais étaient trop courts: le contribuable décidait en général d'acheter un bateau en fin d'année. Or, pour pouvoir défiscaliser, toutes les formalités devaient être finalisées avant le 31 décembre, y compris la livraison du bateau dans les Dom-Tom et son acte de francisation", explique l'avocat Jean-François Tessler.

Surtout, une partie des bateaux achetés n'existaient pas. Le repreneur des actifs de Jet Sea, une filiale du Crédit lyonnais baptisée Stardust Marine, affirmera n'avoir trouvé que 30 bateaux au lieu de 170. Un chiffre démenti par l'avocat Jean-François Tessler: "l'enquête a établi qu'il manquait seulement une quinzaine de bateaux, qui avaient été achetés fin 1992 mais jamais livrés suite au dépôt de bilan".

Bras de fer avec le fisc

Parallèlement, les contribuables ayant fait affaire avec Jet Sea sont alors redressés par le fisc. Dans le cas de Laurent Blanc, les services fiscaux estime que le footballeur a illégalement déduit 392.694 euros de ses revenus, et lui notifie un redressement de 200.000 euros. Le footballeur se lance alors dans un interminable bras de fer judiciaire avec le fisc. Il durera une quinzaine d'années. En 2001, le tribunal administratif confirme le redressement (cf jugements ci-dessous). Mais en 2006, la cour d'appel annule le volet du redressement lié à Jet Sea.

Finalement, en 2010, le Conseil d'Etat maintient le redressement concernant l'année 1991, mais l'annule pour l'année 1992. Laurent Blanc est finalement autorisé à déduire de ses impôts seulement 40.000 euros, soit dix fois moins qu'espéré. Pour la haute juridiction, "le navire le Napolitain n'est arrivé à Pointe-à-Pitre le 25 février 1992. Il a été francisé le 14 avril 1992. Ainsi ce navire n'a pas été effectivement livré dans le département de la Guadeloupe à Jet Sea en 1991. Dans ces conditions, la SNC Outre Mer Sailing n'était pas en droit de pratiquer la déduction au titre de l'année 1991".

Au passage, le fisc estime aussi que Laurent Blanc n'avait pas non plus le droit de déduire de ses impôts 12.530 euros d'intérêts d'un emprunt contracté pour acheter un appartement à Cannes -un point qui sera confirmé par la justice.

Les autres actionnaires d'Outre Mer Sailing SNC font aussi l'objet de redressements fiscaux. Le footballeur Didier Notheaux subit le même sort que Laurent Blanc: la justice confirme son redressement pour l'année 1991, mais l'annule pour 1992. Moins chanceux, le footballeur Ali Bouafia et le conseiller financier Jean-Claude Spiegel voient leur redressement confirmé en première instance, puis en appel.

Toujours en fuite

L'affaire se termine encore plus mal pour les deux associés de Jet Sea. Le 10 juillet 2010, le tribunal correctionnel de Point à Pitre condamne Frédéric Asseo à cinq ans de prison ferme et 375.000 euros d'amende pour "abus de biens sociaux, banqueroute et escroquerie à la défiscalisation". Jacques Casiro est condamné à trois ans de prison avec sursis et 100.000 euros d'amende pour les mêmes délits.

Dans la procédure civile, le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre condamne quelques mois plus tard Frédéric Asséo à payer 5,4 millions d'euros aux "victimes" qui avaient acheté des bateaux, plus 943.000 euros à partager avec Jacques Casiro. Parmi les acquéreurs, on trouve par exemple le couturier Daniel Hechter, qui se voit octroyer 343.010 euros.

Mais ces condamnations se sont jamais appliquées. Jacques Casiro, ruiné, ne peut plus payer. De son côté, Frédéric Asséo a pris la poudre d'escampette aux États-Unis, qui n'ont pas de convention d'extradition avec la France. Malgré un mandat d'arrêt international, il n'assiste donc pas à son procès. Il est néanmoins poursuivi aux États-Unis par Stardust Marine, la société qui a repris les actifs de Jet Sea pour une bouchée de pain. Il est finalement condamné à verser plus de 100 millions de dollars. Stardust Marine lance aussi une procédure pour saisir son ancienne maison à Fort Lauderdale (Floride). Aux dernières nouvelles, Frédéric Asseo serait toujours en Californie...

De son côté, Duménil Leblé, après avoir perdu près d'un demi milliard d'euros dans moult investissements douteux (dont 45 millions d'euros dans Jet Sea), est fermée en 1996. Stardust Marine, qui avait aussi multiplié les investissements douteux, dépose son bilan en 1999. Et d'autres sociétés similaires à Jet Sea, comme ATM ou Cogedom, font aussi faillite.

"Cette histoire n'était pas l'immense escroquerie dont on parlait, mais reste un épouvantable gâchis, dont les pouvoirs publics sont largement responsables", conclut l'avocat Jean-François Tessler.

Contacté, Jacques Casiro n'a pas souhaité faire de commentaires, tandis que l'avocat de Laurent Blanc, Jean-Paul Foucault, a répondu "ne plus vraiment avoir en mémoire ce dossier vieux de plus de 15 ans".

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Jamal Henni