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Qui va gagner la guerre du véritable savon de Marseille?

Deux associations de fabricants de savon de Marseille mènent une bataille sans merci pour imposer leur "recette" afin d'obtenir le futur label "savon de Marseille".

Deux associations de fabricants de savon de Marseille mènent une bataille sans merci pour imposer leur "recette" afin d'obtenir le futur label "savon de Marseille". - BFM Business

Alors que la loi permet depuis 2015 de protéger les produits industriels non-alimentaires, deux associations rivales de fabricants de savon de Marseille bataillent âprement pour imposer leur recette.

Qu'est-ce que le savon de Marseille? Voilà une question en apparence anodine mais qui déchaîne les passions en Provence depuis plusieurs années. Et le combat monte en intensité depuis quelques semaines. Une pétition circule d'ailleurs depuis quelques jours sur Internet et a déjà réuni plus de 110.000 signatures. Son intitulé: "Protégeons le vrai Savon de Marseille!" Car vous ne le saviez peut-être pas mais le savon de Marseille est en danger. Si les Français sont de plus en plus friands du fameux cube de savon (ils en consomment 20 à 25.000 tonnes par an), il faut savoir qu'aujourd'hui 80 à 90% d'entre eux sont des faux. Ces savons-là n'ont rien de marseillais et sont fabriqués à l'étranger, principalement en Asie du sud est. Mais ils utilisent sans vergogne le terme "savon de Marseille". Et ce pour la bonne et simple raison que ce terme n'est pas protégé. "On le retrouve même sur des sets de table, des cendriers ou même sur des savons en forme de boule de pétanque ou de sardines", peste Valérie Boyer, députée Les Républicains de Marseille. 

Mais peut-être plus pour longtemps. La France s'est dotée de mesures de protection pour ce type de produits: les indications géographiques protégées (IGP). Imaginée par Valérie Boyer et promulguée en juin 2015, la loi sur ces IGP est l'équivalent de l'AOC mais pour les produits non-alimentaires. Porcelaine de Limoges, Couteaux de Thiers et donc bientôt Savon de Marseille pourront être protégés. Pour cela, les producteurs doivent déposer une charte à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) chargé de statuer.

Invectives, guerre de communication, menaces de procès

Et c'est là que ça se complique. Car si la définition d'une AOC est relativement simple, c'est autrement plus complexe lorsqu'il s'agit de produits industriels. "Car beaucoup de produits entrent dans leur fabrication et certains peuvent ne pas avoir été fabriqués dans la région comme l'huile d'olive pour le savon de Marseille par exemple", explique Valérie Boyer. Résultat: deux associations s'opposent farouchement sur la définition de cette IGP. D'un côté du ring, on a l'Association des fabricants de savon de Marseille (AFSM) dans les rangs de laquelle on trouve des sociétés bien connues comme L'Occitane en Provence ou la savonnerie de la Licorne, prisée des touristes qui se baladent sur le Vieux Port à Marseille. Un groupement qui rassemble 12 entreprises et qui revendique 90% de la production de savon de Marseille. De l'autre, nous trouvons l'Union des professionnels du savon de Marseille (UPSM) qui regroupe quatre savonneries historiques de la région et qui revendiquent un savoir-faire ancestral. Pour résumer, on a les industriels contre les artisans. 

Au miel, au muguet ou à la lavande, ces cubes de savon ne sont pas de vrais "savons de Marseille" pour l'Union des professionnels du savon de Marseille.
Au miel, au muguet ou à la lavande, ces cubes de savon ne sont pas de vrais "savons de Marseille" pour l'Union des professionnels du savon de Marseille. © La Licorne

Et les deux camps sont irréconciliables. "Nous ne faisons pas le même métier, résume Julie Bousquet-Fabre, la porte-parole de l'UPSM qui dirige la savonnerie Marius Fabre à Salon-de-Provence. Nous défendons un projet local et authentique avec un savoir-faire ancestral. Nous ne pouvons pas concevoir que le Savon de Marseille ne soit pas réellement produit dans la région". Ces derniers réclament en effet que la pâte à savon (les bondillons dans le jargon) soit exclusivement produite dans la région marseillaise. Cette dernière doit d'ailleurs être fabriquée à partir de deux ingrédients seulement: l'huile végétale et la soude. Aucun colorant ou parfum ne doit entrer dans la fabrication du "véritable" savon de Marseille, estime l'UPSM. Autrement dit: les savons parfumés au miel, à la lavande ou au muguet ne peuvent en aucun cas être des savons de Marseille. Du côté de l'AFSM, on revendique la possibilité de fabriquer des savons avec de la pâte à savon produite à l'étranger et de bénéficier de l'appellation même pour des savons parfumés.

De l'huile, de l'eau et cuite dans ce type de chaudron durant 10 jours, voilà la recette traditionnelle du savon de Marseille.
De l'huile, de l'eau et cuite dans ce type de chaudron durant 10 jours, voilà la recette traditionnelle du savon de Marseille. © Marius Fabre

Ce qui est une aberration pour les tenants de la méthode ancestrale. "Tout l'intérêt du savon de Marseille c'est d'être un produit hypoallergénique qui ne contient que des ingrédients naturels, explique Julie Bousquet-Fabre. Si on le dénature ou on ne le produit pas dans la région, quel est l'intérêt d'une IGP?" Entre les deux associations, le torchon brûle. Invectives, guerre de communication, menaces de procès...

Les petites savonneries ont les faveurs des politiques

Et si c'est l'AFSM qui a dégainé le plus vite en déposant son dossier à l'INPI, l'association est peut-être en train de perdre la bataille de la communication. La pétition aux 100.000 signataires prend clairement position pour les petites savonneries. Ces dernières ont aussi les faveurs du monde politique. Nicolas Isnard, le maire de Salon-de-Provence qui abrite la savonnerie Marius Fabre, s'est fendu d'une lettre à l'INPI histoire de savonner la planche de l'AFSM. "C'est mon rôle de défendre l'identité de mon territoire à travers ses productions et ses savoir-faire ancestraux", explique l'édile.

Et la députée Valérie Boyer s'active en coulisse en faveur de l'UPSM. "C'est normal, assure-t-elle. C'est un peu la même différence qu'entre les boulangers qui font leur pain et ceux qui se contentent de cuire de la pâte industrielle. Or je ne me suis pas enquiquinée pendant 5 ans pour essayer de faire passer la loi sur les IGP pour au final avoir une pâte à pain congelée 'made in China'!"

Une agitation qui commence sérieusement à agacer les responsables de l'association rivale. "On n'arrête pas de se faire attaquer, on nous fait passer sur Internet pour le grand méchant loup, déplore Serge Bruna, le patron de la savonnerie La Licorne à Marseille et patron de l'AFSM. Nous aussi nous faisons un produit de qualité qui respecte les normes environnementales et employons 1.440 personnes dans la région. Et il faut savoir que l'association des puristes vend aussi des savonnettes parfumées dans ses magasins. Ce n'est pas le savon de Marseille qui les fait vivre!" Un argument qui exaspère Valérie Boyer: "Et alors, ils peuvent bien vendre des chaussettes si ça leur chante, tant qu'ils ne les appellent pas Savon de Marseille!" L'INPI mène actuellement une enquête publique sur le premier cahier des charges. Elle s'attaquera ensuite au second. C'est à elle qu'incombera la tâche de répondre à la question: "Qu'est-ce que le savon de Marseille?".

Le plus gros fabricant de savon de Marseille est... Nantais

Il n'y a pas qu'en Provence qu'on bataille pour le savon de Marseille. Il y a aussi un front sur la façade Atlantique. C'est en effet à Rezé près de Nantes que se situe l'une des plus anciennes fabriques de savon de Marseille. Et la société qui existe depuis 1830 est l'un des plus gros fabricants français avec 70 millions de savons produits en 2015, notamment pour les marques et la grande distribution. Logiquement, lorsque l'IGP sera validée, l'entreprise ne pourra plus utiliser ce terme. Ou tout du moins ne pourra pas se prévaloir du label officiel. Et le patron de la savonnerie, Yvan Cavelier, n'est pas près d'abdiquer. "Le savon de Marseille, c'est un procédé chimique précis, explique-t-il à France Bleu Loire Océan. Pas un terroir. Il n'y a pas de terroir pour ça! On est plus savonniers que beaucoup de cons qui se disent savonniers là-bas!" L'entreprise vient d'investir 2,3 millions d'euros pour déménager à Pont-Saint-Martin. Il craint que sans IGP, il perde la confiance de ces clients.

Frédéric Bianchi