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Rachats entre médias: les garde-fous restent en place

Fleur Pellerin et Olivier Schrameck étaient d'accord pour un allègement. Restait à convaincre l'Elysée...

Fleur Pellerin et Olivier Schrameck étaient d'accord pour un allègement. Restait à convaincre l'Elysée... - Elysée

TF1 et Vivendi, soutenus par le CSA, voulaient faire sauter les règles anti-concentration. Mais leur offensive éclair a échoué, du moins à court terme...

A leur arrivée au pouvoir en 1981, les socialistes se sont inquiétés de la mainmise grandissante de Robert Hersant sur la presse. Pour le contenir, ils ont mis en place une série de règles pour limiter la concentration dans les médias. Objectif: qu'un même groupe ne puisse détenir à lui tout seul trop de médias. 

Plus de trente ans plus tard, le démantèlement de cet arsenal est-il proche? C'est ce qu'ont annoncé il y a un mois les Echos puis le Figaro. Une nouvelle qui avait fait bondir le cours de bourse de TF1 et M6...

Mais la nouvelle de cette mort était prématurée. En effet, un grand soir sur le sujet n'est pas pour demain. Explications.

TF1 et Vivendi à la manoeuvre

Cet arsenal anti-concentration est dans le collimateur de TF1 et de Vivendi, propriétaire de Canal Plus. En effet, ces deux groupes disposent chacun d'une importante trésorerie qu'ils veulent utiliser pour racheter d'autres médias. La Une a par exemple sur son radar une acquisition de NRJ. Quant à Vivendi, depuis l'arrivée de son nouvel actionnaire Bolloré, on lui prête un appétit d’ogre qui inclut Europe 1, l'Express, le Parisien, l'Equipe...

Ces deux groupes ont d’abord convaincu le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de soutenir leurs revendications. Puis ont ensuite été convaincus les ministres de la Culture Fleur Pellerin et de l’Economie Emmanuel Macron.

Un geste pour apaiser TF1

Un conseiller ministériel raconte: "à l’origine, le CSA est allé voir Bercy dans le dos du ministère de la Culture, car le CSA pensait que la rue de Valois voudrait maintenir les règles anti-concentration. Mais en réalité, Fleur Pellerin est aussi favorable à leur démantèlement. Pour la rue de Valois, c’est une bonne idée de permettre à des groupes audiovisuels puissants de sauver des journaux en déroute. Et cela permet aussi de faire un geste en faveur de TF1 après le revers LCI".

Interrogé, le ministère de la culture confirme: "Fleur Pellerin est favorable à la constitution d'acteurs forts, et ouverte au toilettage de dispositions parfois devenues obsolètes. Mais la ministre tiendra aussi compte du pluralisme".

Une fois engrangés le soutien de Fleur Pellerin et d’Emmanuel Macron, la partie semblait donc bien engagée. Reste que ces mesures n'ont jamais été approuvées à un niveau supérieur par un arbitrage interministériel, ni même simplement abordées au niveau intergouvernemental.

A l'opposé du programme de François Hollande

Mais la situation va se retourner pour plusieurs raisons. D’abord, si Fleur Pellerin et Emmanuel Macron, plutôt libéraux, n’ont pas de problème à démanteler un dispositif instauré par la gauche il y a plus de trente ans, ce n’est pas le cas de tout le monde, notamment des parlementaires socialistes. Certains au gouvernement ont donc craint que cette pilule soit difficile à faire avaler au parlement.

D’autant que cette pilule ne figurait pas du tout dans le programme présidentiel de François Hollande. "Pour préparer nos argumentaires, on a relu ce programme qu’on avait largement oublié. Et on a redécouvert que ça allait dans le sens totalement inverse…", sourit le lobbyiste d’une grande chaîne. En effet, le programme socialiste voulait au contraire renforcer l’arsenal anti-concentration en interdisant aux médias d’être détenus par des groupes vivant de commandes publiques…

Pourquoi nous combattons ?

Autre problème: s’il faut aller au front, autant que cela soit pour une bonne raison. Autrement dit, que ce soit pour rendre possible un rachat qui serait interdit par l’arsenal anti-concentration actuel. Or, les conseillers ministériels, en y regardant de plus près, ont analysé que cet arsenal actuel permet déjà un tas de choses: "on a regardé tous les rachats envisageables, y compris des grosses opérations comme un rachat de Lagardère, et tous ces rachats restent possibles dans le cadre actuel", explique un conseiller ministériel.

Interrogé, le ministère de la culture confirme: "Fleur Pellerin veut prendre le temps de l'analyse, car il n'y a pas d'urgence, notamment il n’y a aucune opération en vue qui serait bloquée par le dispositif actuel"

Fenêtre de tir

Last but not least, un dernier gros problème est apparu: il n’y a pas de loi en vue où greffer un tel démantèlement.

Certes, différentes pistes ont bien été envisagées. La première était la loi Macron, mais le texte finalement présenté ne parle pas du tout de médias. "La loi était déjà si gigantesque qu’on a renoncé à y ajouter un volet audiovisuel", expliquent plusieurs conseillers ministériels.

La seconde piste était la proposition de loi sur la presse du député socialiste Michel Françaix, adoptée par l’Assemblée nationale ce mercredi 17 décembre. Mais cette la loi porte sur la presse, et donc il était impossible d’y greffer des dispositions sur l’audiovisuel. La seule possibilité était d’aborder la concentration entre différents médias (la règle dite des "deux sur trois", cf ci-dessous). Mais finalement, ni le gouvernement, ni aucun parlementaire n'a abordé ce sujet. Même si TF1 a bien tenté de convaincre certains députés de le faire...

Et le même problème se pose pour la future loi sur la liberté de création, que Fleur Pellerin doit présenter en conseil des ministres cet hiver. D'ores et déjà, la ministre a présenté les sujets qui seront abordés, et l’audiovisuel n’en fait pas partie... Bref, même si le gouvernement se décidait à mettre le sujet sur le tapis, la question du véhicule législatif resterait entière…

Interrogés, TF1 et Canal Plus n’ont pas répondu, tandis que le CSA n'a pas souhaité rendre publique sa position.

Qui veut faire sauter quoi?

*un actionnaire ne peut détenir plus de 49% du capital d’une chaîne de télévision hertzienne dont l’audience dépasse 8%: selon des sources gouvernementales, TF1 a demandé la suppression de cette disposition, avant de renoncer ensuite à cette demande. Fleur Pellerin et Emmanuel Macron étaient d'accord pour supprimer cette disposition

*un même groupe ne peut détenir plus de 7 chaînes TNT: en pratique, seul Canal Plus atteint ce plafond (TF1 et M6 en sont loin). Canal Plus a demandé la suppression de cette disposition, ou à défaut que cette disposition ne s'applique qu’aux chaînes TNT gratuites. Mais le CSA et les deux ministres souhaitaient maintenir cette disposition.

*un actionnaire non européen ne peut détenir plus de 20% d’une radio ou d’une chaîne TNT: Numéro 23, soutenu par le CSA, demandait la suppression de cette disposition. Mais les ministres souhaitaient la maintenir.

*un même groupe ne peut détenir à la fois des chaînes TNT nationales, des radios nationales, et des quotidiens nationaux représentant plus de 20% de la diffusion totale (règle dite des "deux sur trois"): le PDG de TF1 Nonce Paolini a déclaré le 8 décembre vouloir supprimer cette disposition. Le CSA et les deux ministres étaient d'accord pour supprimer cette disposition.

Jamal Henni