BFM Business
Culture loisirs

Radionomy rentre en bourse pour payer sa dette à Vivendi

Vivendi a perdu 10 à 19 millions dans l'aventure

Vivendi a perdu 10 à 19 millions dans l'aventure - -

La start up belge de radios en ligne a été détenue par le groupe de Vincent Bolloré durant 20 mois. Son fondateur l'a rachetée, mais au prix d'une lourde dette.

Jeudi 12 juillet, une introduction en bourse assez inhabituelle a été annoncée: celle d'AudioValley, qui espère être côté à Paris sur Euronext Growth. Il s'agit d'une holding belge propriété d'Alexandre Saboundjian, qui détient plusieurs start ups dans la musique: Storever (diffusion de musique dans les magasins), Jamendo (gestion de droits de chansons), et surtout Radionomy (création de web radio).

Radionomy est la plus connue car elle s'adresse au grand public. Elle est aussi connue pour avoir été rachetée par Vivendi en décembre 2015.... pour être revendue un an et demi après! Jeudi, Alexandre Saboundjian a expliqué à la presse ce mystérieux aller-retour express: "la vie avec Vivendi a été un peu compliquée. Les synergies avec les autres starts up du groupe avaient été cassées. Finalement, j'ai proposé à Vivendi de les racheter pour de multiples petites raisons". Le prospectus ajoute: "l’intégration de Radionomy au groupe Vivendi a pris plus de temps que prévu".

Gouffre financier

Il y a peut être une autre explication: Radionomy s'est vite avéré être un gouffre financier pour Vivendi. Le nouveau propriétaire a dû avancer et prêter 16 millions d'euros à la startup durant les 20 mois où il l'a détenue. Dans cette lourde facture, l'essentiel vient d'un chèque estimé à 12 millions d'euros fait à Sony Music en décembre 2016 pour mettre fin à un procès devant un tribunal californien.

Ce procès avait débuté en février 2016, à peine deux mois après le rachat de Radionomy par Vivendi. Sony Music accusait la startup de proposer dans son catalogue des chansons sans en avoir le droit -précisément, sans payer les droits auprès de SoundExchange, la société de gestion collective américaine chargée du streaming audio. Alexandre Saboundjian explique: "SoundExchange avait changé sa tarification entre 2014 et 2015. Ces tarifs ne nous plaisaient pas, et nous avons donc arrêté de payer SoundExchange. Nous avons souhaité ne plus passer par SoundExchange et conclure des accords directement avec les maisons de disques. Sony a profité de cette petite porte". Evidemment, Radionomy n'avait pas de quoi payer le chèque à Sony, et s'est retourné vers Vivendi.

Vivendi perd 10 millions d'euros

Vivendi a-t-il voulu divorcer suite à cette affaire? "C'est peut être un élément, mais ce n'était pas la motivation majeure", assure Alexandre Saboundjian.

Quoiqu'il en soit, un accord de divorce est conclu en août 2017. Vivendi obtient 30 millions d'euros: 16 millions pour rembourser toutes ses avances, plus 14 millions pour ses actions Radionomy, qui sont rachetées par AudioValley. Vivendi, qui avait payé ces actions 24 millions, perd donc 10 millions dans l'affaire. 

Et encore, Vivendi n'est pas sûr de voir la couleur de cet argent. Car Alexandre Saboundjian ne le possède pas. Sa holding (qui n'avait que 702.000 euros en caisse fin mai) n'a payé à ce jour que 650.000 euros. Vivendi a donc pris en gage la totalité du capital d'AudioValley et de ses comptes bancaires. Et a promis une ristourne de 30% (soit de 9 millions d'euros) si l'argent arrive avant mi-2019...

Procès devant le tribunal de commerce

Pour trouver l'argent, Alexandre Saboundjian décide donc de s'introduire en bourse. "Mais l'opération a été décalée. Une première échéance de paiement à Vivendi en janvier 2018 n'a donc pu être honorée", indique une source proche d'AudioValley. Immédiatement, le groupe de Vincent Bolloré attaque alors la holding d'Alexandre Saboundjian devant le tribunal de commerce de Paris.

Finalement, les deux parties trouvent un nouvel accord fin mars, et Vivendi retire sa plainte. Le paiement des 30 millions est étalé jusqu'en 2025, à taux zéro. Et dès le lendemain de la cotation prévue fin juillet, Vivendi prélèvera la moitié de l'argent levé (6,5 à 13,8 millions d'euros au total). Heureusement, plusieurs fonds (Nextstage, Ostrum...) ont déjà promis d'apporter 5,75 millions. "Actuellement, nos rapports avec Vivendi sont excellents", assure Alexandre Saboundjian.

Mais ce n'est pas tout. AudioValley doit encore payer un reliquat du chèque à Sony (2,6 millions d'euros). Début 2018, un autre chèque a aussi été versé à Warner Music qui menaçait aussi d'un procès, Vivendi payant la "quasi-totalité" du chèque et AudioValley seulement 256.000 euros. Enfin, AudioValley a passé une provision de 948.000 euros concernant un audit mené actuellement par SoundExchange pour vérifier si Radionomy a bien versé l'argent dû.

Prix cassé

Au total, AudioValley "considère ne pas être en mesure de faire face à ses échéances au cours des douze prochains mois", et "être confronté à un risque de liquidité dès la fin du mois de juillet 2018", indique le prospectus.

Evidemment, une cotation dans de telles conditions n'est pas idéale. Elle se fait sur une valorisation de 25 à 30 millions d'euros. Très loin des 61 millions estimés par l'analyste financier de Gilbert Dupont, qui mène la cotation. Et bien en-dessous des 37 millions d'euros que valait le seul Radionomy lors du rachat par Vivendi...

Les résultats d'AudioValley (en millions d'euros)

Chiffre d'affaires
2016: 18,9 dont Radionomy 11,1
2017: 20 dont Radionomy 10,7
2018: > 25
2020: > 50

Résultat opérationnel courant avant amortissement et dépréciations
2016: -0,3 dont Radionomy -2,9
2017: -1,5 dont Radionomy -3,2

Résultat net
2016: -21,3 dont Radionomy -16,5
2017: -7,2

Jamal Henni