BFM Business
Services

Snapchat sera-t-il le Facebook de vos enfants?

-

- - BFM Business

"D'une messagerie instantanée, l'application s'est muée en un réseau social utilisé par 200 millions de personnes dans le monde et qui aiguise de plus en plus l'appétit des marques et des médias. Problème: Snapchat séduit autant qu'il rebute."

"Le nouveau nouveau nouveau nouveau nouveau nouveau futur des médias!" Voilà comment le magazine américain Bloomberg Businessweek qualifiait il y a quelques semaines Snapchat avec une pointe d'ironie. Après Google, YouTube, Facebook, Twitter, Pinterest ou encore Instagram, Snapchat est la nouvelle pépite qui enflamme le monde de l'internet.

Et il faut dire que les chiffres sont impressionnants. L'application aurait été téléchargée 200 millions de fois et 100 millions de personnes dans le monde s'y rendraient quotidiennement (+55% en 2015). Snapchat ferait même plus fort dans la vidéo que Facebook qui compte pourtant 8 fois plus d'inscrits. La petite application au logo jaune a ainsi annoncé cette semaine avoir franchi le cap des 10 milliards de vidéos visionnées chaque jour quand Facebook n'était qu'à 8 milliards à fin 2015. Et l'audience devrait exploser cet été avec les Jeux Olympiques. Snapchat vient de signer un accord inédit avec NBC pour diffuser des épreuves de Rio 2016 sur sa plateforme aux États-Unis. Jamais un réseau social n'avait eu ce privilège.

Aujourd'hui pour être cool, une star doit avoir son compte Snapchat comme le DJ Calvin Harris, la top model Karlie Kloss ou plus près de nous, l'animateur Cyril Hanouna. Et depuis janvier, même Barack Obama fait des snaps depuis le compte de la Maison Blanche.

À l'origine, une histoire de sexe

Un succès qui affole les investisseurs. La société qui n'est pas cotée a levé 175 millions de dollars en mars et vaudrait aujourd'hui 16 milliards de dollars, soit près de deux fois plus que Twitter dont la cote ne cesse de baisser. Pas mal pour une start-up qui n'aurait réalisé "que" 200 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2015 selon la presse américaine. En tout cas, les annonceurs se bousculent déjà pour placer leur publicité sur l'appli. Amazon, les hôtels Marriott, Pepsi ou encore Budweiser auraient versé 1 million de dollars pour apparaître sur les vidéos diffusées sur Snapchat lors du dernier Super Bowl. C'est moins cher que pour une pub à la télé (les 30 secondes sont facturées 4,5 millions de dollars) et surtout cela apporte la certitude de toucher un public jeune, technophile et branché, ceux qu'on appelle les millenials. 52% des utilisateurs ont entre 16 et 24 ans.

Mais Snapchat au fait, c'est quoi? Si tout le monde a entendu ce nom, peu de personnes sont réellement capables d'expliquer ce que c'est. Il s'agit donc au départ d'une messagerie comme le SMS mais dans laquelle les photos et les vidéos (les snaps) auraient remplacé le texte. Un contenu visuel donc et instantané. Sur Snapchat, les contenus ne peuvent être vus qu'une seule fois durant 24 heures après quoi ils disparaissent définitivement. D'où le succès des photos coquines au départ sur Snapchat. C'est d'ailleurs une histoire de sexe qui a donné à Evan Spiegel et Bobby Murphy l'idée de créer Snapchat: la démission en 2011 d'un élu démocrate new-yorkais, Anthony Weiner, à la suite de la publication de photographies explicites et de textos à caractère sexuel échangés avec différentes femmes. 

6 journalistes par rédaction dédiés à Snapchat

Snapchat est lancé fin 2011 sur l'AppStore d'Apple et rencontre immédiatement un grand succès. Notamment auprès des très jeunes utilisateurs moins sensibles à l'écrit que leurs aînés. D'autant que l'application propose du contenu amusant comme des filtres de couleur pour les photos, des masques déformants de réalité augmentée (les lenses) ou encore le bluffant faceswap qui permet à deux personnes d'échanger leurs visages. Snapchat introduit ainsi régulièrement de nouveaux masques (cow-boy, Dieu grec, billet de 100 dollars ou récemment Bob Marley, à l'origine d'ailleurs d'une polémique).

L'application amuse, fait parler mais c'est en janvier 2015 qu'elle change de dimension. Snapchat lance Discover, un espace réservé aux médias et marques afin qu'ils puissent partager du contenu spécialement dédié à Snapchat comme des "stories" (des séquences de plusieurs vidéos), des articles animés et toutes sortes de contenus très visuels. Les médias, désireux de rajeunir leur audience, se précipitent sur Snapchat pour y ouvrir leur petite boutique. Le problème, c'est que Snapchat est très exigeant. Pas question d'y ouvrir sa petite boutique comme on crée une page Facebook. La start-up exige du contenu de qualité et spécialement adapté à l'univers visuel de l'appli. Les sites qui veulent en être doivent constituer des équipes dédiées d'au moins 6 personnes, sans quoi Snapchat leur refuse le sésame. Résultat: seule une poignée de grands médias internationaux sont présents (CNN, National Geographic, Cosmopolitan, Daily Mail...) ou des sites fréquentés par les jeunes (BuzzFeed, Vice, MTV, Mashable...). Aucun média français n'est présent sur le réseau social. "Pour le moment, ça ne rentre pas dans le modèle économique des médias au sens large, explique Anne de Kinkelin, responsable du Parisien TV. Nous voulons d'abord avoir une grande communauté". Et si le média est présent sur Snapchat, c'est via un simple compte utilisateur sur lequel il partage des petites vidéos comme cette semaine en direct des manifestations.

La complexité de Snapchat rédhibitoire? 

Des utilisateurs accros, des annonceurs qui se précipitent, des médias qui salivent devant l'audience potentielle... Snapchat est-il le futur "nouveau Facebook"? Malgré toutes les belles promesses, c'est loin d'être gagné. Et pour une raison simple: Snapchat, c'est compliqué. Le passage d'un écran à l'autre se fait par swap (on fait défiler de droite à gauche) et non en scrollant comme sur internet en général. L'accès au contenu n'est pas très intuitif. La recherche d'amis et de comptes de médias n'est pas très aisé. Et même les plus accros à Snapchat ont eu du mal à s'y mettre. Comme Derka, animateur télé sur W9 qui est suivi par 20.000 personnes sur Snapchat: "Je m'y suis mis tard et au début je ne savais pas comment faire, mais j'ai commencé à faire des petites vidéos du quotidien comme ce que j'ai mangé, la pervenche qui vient de me mettre une prune et je suis devenu accro avec la communauté, principalement des ados." Une population jeune très à l'aise avec l'interface et qui préfère la communication par l'image plutôt que par l'écrit. À la différence des générations précédentes qui n'y comprennent rien. Comme le résume ce dessin paru il y a quelques jours dans le New Yorker.

"On dirait qu'on a affaire à un nouveau cas de quadragénaire qui a essayé de comprendre Snapchat"

"On dirait qu'on a affaire à un nouveau cas de quadragénaire qui a essayé de comprendre Snapchat"
"On dirait qu'on a affaire à un nouveau cas de quadragénaire qui a essayé de comprendre Snapchat" © The New Yorker

Comme Twitter, Snapchat a ses codes, son vocable et est au final bien plus complexe à appréhender que Facebook. Même pour des férus de l'internet. "J'ai 32 ans et comme tout membre de ma génération qui se respecte, je passe mes journées à tweeter, poster des selfies, regarder Vice TV et voter Barack Obama. Et je gagne ma vie en écrivant des trucs sur Internet, écrit Will Oremus, un journaliste américain de Slate.com. Et pourtant, à chaque fois que j'essaie d'utiliser Snapchat, j'ai l'impression de me retrouver dans la peau de mon père quand, à 9 ans, je lui demandais de jouer une partie de Sonic avec moi". Comme Twitter il y a quelques années, Snapchat est à son momentum, en plein phase ascendante. Une période qui n'a malheureusement pas duré pour le site micro-blogging. Et Evan Spiegel, le patron de Snapchat et plus jeune milliardaire de la planète (25 ans) rêve de plus grand. C'est d'ailleurs pour ça qu'il a refusé des offres de rachat de Facebook, Tencent et Google à plusieurs milliards de dollars. Il voit Snapchat comme un futur géant du business, une sorte de 5ème Gafa. La partie est loin d'être gagnée et elle s'annonce plus ardue qu'un niveau de Sonic.

Frédéric Bianchi