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Sophie Bellon (Sodexo) : « Je crois dans le collectif »

Sophie Bellon, 57 ans, préside le conseil d'administration de Sodexo depuis janvier 2016.

Sophie Bellon, 57 ans, préside le conseil d'administration de Sodexo depuis janvier 2016. - Crédit photo: Sodexo

En janvier 2016, Sophie Bellon a été la première femme à être nommée Présidente d’un groupe du CAC40. Aujourd’hui, elle s’épanouit dans son rôle et elle s'attelle, avec le directeur général, à faire grandir le restaurateur Sodexo.

Comme dans la plupart des entreprises de France et de Navarre en cette fin de mois de juin caniculaire, Sophie Bellon et deux de ses proches collaborateurs débattent de l’intensité de la climatisation. Dehors, le soleil brûle Paris et les bords de Seine, où est installé le siège de Sodexo. Dans le bureau de la Présidente, l’ambiance est bon-enfant et le tutoiement de mise. Avant de se livrer pour ce portrait, Sophie Bellon est prudente, mais bienveillante.

« Je me sens bien dans mon rôle ! C’est passionnant », assure la cinquantenaire, qui a été choisie pour présider le conseil d’administration de Sodexo, à la place de son père, Pierre, le fondateur, en janvier 2016. Rien n’avait pourtant été écrit. Et pour cause : « Mes frères et sœur et moi avons été élevés en nous disant : on ne confond pas organigramme et arbre généalogique », raconte Sophie Bellon. Alors, quand elle sort de l’Edhec, au début des années quatre-vingt, malgré une demande de son père, elle refuse d’entrer chez Sodexo. Elle préfère partir à New-York, où elle passe plusieurs années, en fusion-acquisition au Crédit Lyonnais, puis dans la mode, en free-lance.

Et ce n’est que neuf ans plus tard, quand elle rentre en France avec son mari et ses deux premiers enfants (elle en a quatre aujourd’hui), qu’elle décide de rejoindre le groupe familial. Elle sollicite son père, mais c’est lui, cette fois, qui la fait attendre, avant de l’intégrer. Dès lors, elle passe par plusieurs services et elle gravit les échelons. Fatalement, elle n’échappe pas aux interrogations de certains collaborateurs, comme celui qui lui demande un jour : « Mais pourquoi vous travaillez, vous ? ». Elle lui répond que sa motivation, le matin, c’est de « travailler, apprendre, progresser, plutôt que de faire des courses sur telle ou telle avenue ».

« J'aime apprendre »

Damien Verdier, Directeur Stratégie et Responsabilité d'Entreprise chez Sodexo, a été le patron de Sophie Bellon, il y a quinze ans. Il a fait ses appréciations annuelles, lui a donné ses bonus… « Jamais, assure-t-il, elle n’a mis en avant le fait qu’elle était administratrice ». Il décrit une personne « humble, curieuse et ouverte », qui « ne considère pas qu’elle sait tout » et qui a « l’appétit d’apprendre ». « J’aime apprendre », martèle en effet Sophie Bellon, qui aime se rendre sur le terrain, sur les différents sites du groupe, qui emploie 460 000 personnes, dans 70 pays. Bien sûr, « il a fallu qu’elle trouve ses marques », explique Damien Verdier, qui salue le travail accompli depuis sa nomination. Une période qui a été d’autant plus délicate, se rappelle-t-il, que Sophie Bellon a pris ses fonctions alors que le groupe s’apprêtait à changer de directeur général, Michel Landel partant à la retraite.

Le nouveau directeur général, Denis Machuel, et Sophie Bellon ont donc pris leurs postes respectifs quasiment en même temps. Elle prend soin de construire « un duo » qui fonctionne bien à la tête de l’entreprise, avec une relation de confiance. « Je crois dans le collectif », souligne Sophie Bellon, pour qui « c’est une force d’être deux, complémentaires ». « Elle met un point d'honneur à respecter cet équilibre avec le directeur général », confirme Anna Notarianni, présidente de la Région France chez Sodexo, qui travaille avec Sophie Bellon depuis quinze ans. Anna Notarianni décrit une dirigeante « déterminée » et « courageuse », « qui sait où elle va », un « mélange d’exigence et de bienveillance ».

Servir un milliard de personnes par jour

Ambitieuse pour Sodexo, Sophie Bellon, entend encore faire grandir son groupe et le faire prospérer dans un environnement en profonde mutation, à l’ère de la digitalisation et de la « montée en puissance du consommateur ». Elle s’explique : « On veut ré-accélèrer notre croissance rentable et faire passer notre business d’un modèle BtoB à BtoC… Notre métier historique s’appelle la « restauration collective », mais aujourd’hui, chaque personne veut une restauration qui lui correspond ». Sodexo réalise environ 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Sophie Bellon table sur « un potentiel de marché 45 fois supérieur, à 900 milliards d’euros ». Le groupe sert « cent millions de personnes au quotidien ». Son objectif, c’est qu’ « à terme, Sodexo serve un milliard de personnes ».

Sophie Bellon est en mission. Elle est en mission pour son groupe, mais plus globalement, elle estime qu’il y a « un enjeu social important ». « On a un rôle à jouer dans la crise sociale, assure-t-elle, grâce à nos métiers, parce qu’on est présents dans les territoires, à l’école ou dans les maisons de retraite », à travers les 4 000 sites du groupe en France. « L’humain » revient souvent dans sa bouche. « Un smiley, dit-elle, ne remplacera jamais un vrai sourire ». Anna Notarianni confirme : « Elle est contente des leviers qu’elle peut activer pour les causes qui lui sont chères, comme la place des femmes, la diversité, l’inclusion ou l’intégration des jeunes ».

Mission et sacrifice de soi 

Elle dépeint une femme qui « n’est pas dans l’ego, mais qui fait son chemin et qui assume ses responsabilités, son destin, son devoir ». Anna Notarianni poursuit : « Sophie Bellon a la vision de là où elle veut emmener le groupe. C’est sa mission, qui passe au-dessus d’elle-même. Il y a quand même une notion de sacrifice de soi, parce que la charge est lourde. Après, tempère-t-elle, je ne dis pas qu’elle sacrifierait ses enfants ! Ce que je dis, c’est qu’elle ne réfléchit pas à son ambition, mais à celle du groupe ».

Les journées de Sophie Bellon s’enchaînent, entre rendez-vous en interne, déplacements, ou réunions chez L’Oréal ou à l’Afep (Association française des entreprises privées), où elle est aussi administratrice. Elle se lève tôt le matin pour faire du sport et elle essaie de bien manger, estimant ne pas pouvoir « se permettre d’être trop fatiguée ». Au-dessus de sa grande table de travail bleue trône une photo de ses quatre enfants. Des « grands » enfants, âgés de 23 à 29 ans, qui sont tous « plutôt partis », mais pas complètement. Elle rit : « J’ai des amis qui me disent que chez moi, c’est un hub d’aéroport » !

Ses enfants, comme ceux de ses frères et sœurs, sont actionnaires et ils sont associés à des réunions, pour comprendre comment le groupe fonctionne. « S’ils souhaitent intégrer le groupe, ils peuvent, explique Sophie Bellon, mais il faut qu’ils sachent qu’ils vont être traités comme n’importe quel autre collaborateur ». Chez Sodexo, les règles, comme les valeurs, se transmettent de génération en génération. Une des premières d'entre elles étant qu' « on ne confond pas organigramme et arbre généalogique ».

Pauline Tattevin