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Sophie Boissard (Korian): "La révolution viendra du privé"

Après avoir été dix ans au Conseil d'État et dix ans à la SNCF, Sophie Boissard dirige Korian depuis 2016.

Après avoir été dix ans au Conseil d'État et dix ans à la SNCF, Sophie Boissard dirige Korian depuis 2016. - Crédit photo : Irène de Rosen

Le groupe de maisons de retraites Korian se porte bien. Après un exercice 2018 meilleur qu'anticipé, il a relevé ses objectifs. À sa tête depuis trois ans, Sophie Boissard croit en une mue profonde du système de santé, pour une meilleure prise en charge de la vieillesse. Portrait.

Sophie Boissard n’a pas de frontières, hormis celles qu’elle impose parfois. Née en 1970, elle a grandi à Mulhouse, « aux confins de la France, de l’Allemagne et de la Suisse », avec une mère allemande et un père français, qui n’étaient pas du coin, mais qui avaient choisi de s’y installer au lendemain du Traité de l’Elysée. « Et c’est comme ça, sourit-elle, que je suis à la tête d’un groupe ouest-européen ». 

Korian, qu’elle dirige depuis trois ans, est présent en Allemagne, en Italie, en Belgique et depuis peu, en Espagne, à travers plus de 800 établissements. Coté au SBF 120, il affiche un chiffre d’affaire de plus de 3,33 milliards d’euros (en hausse de 6,4% par rapport à 2017). Élégante, avec une poignée de main franche, Sophie Boissard, accompagnée de plusieurs conseillers, nous reçoit dans ses bureaux du 8e arrondissement de Paris.

Chez la directrice générale de Korian, il n’y a pas non plus de frontière entre secteurs public et privé. Elle est d’ailleurs passée de l’un à l’autre. Énarque, elle a d’abord été haut-fonctionnaire pendant dix ans. Elle a travaillé avec Christine Lagarde, Gérard Larcher ou encore Michel de Virville, qui avait alors été chargé par Francois Fillon d’établir un rapport pour un code du travail plus efficace. « C’est quelqu’un qui a une intelligence fine, avec beaucoup de discernement, décrit Michel de Virville. Et en même temps, elle voit bien comment les gens communiquent les uns avec les autres. Elle a une vraie capacité à les faire converger ».

Dix ans à la SNCF

Sophie Boissard a ensuite passé dix ans à la SNCF, « en charge de tout ce qui ne roulait pas », s’amuse-t-elle. Fille de cheminot, marquée dans sa jeunesse par le défaut d’attractivité de la gare de Mulhouse - « palais des courants d’air » - par rapport à celle de Bâle - « magnifique, avec son fleuriste et son cabinet médical » - elle y a créé un pôle immobilier, avec pour mission de transformer les gares en lieux de vie.

Elle a notamment mené la rénovation de la Gare Saint-Lazare, « une des choses les plus chouettes », dit-elle, qu’elle ait eu à faire. Elle souligne l'importance du partenariat public-privé. « Avec Klépierre, Carrefour, les crèches Baby Loup ou les pharmacies, précise Sophie Boissard, on a construit un lieu qu’aucun d’entre nous n’aurait pu faire seul »! 

Parmi ses nombreux chantiers, elle a mené la guerre aux courants d’air, installé des pianos dans les halls de gares et travaillé sur la signalétique, pour améliorer l'expérience des usagers.

Entrepreneuse dans l'âme

Ce passage par la SNCF, où elle a aussi été directrice générale déléguée, a été fondamental: « Je suis très entrepreneuse dans l’âme , explique-t-elle. Mon univers à moi, c’est l’univers du bien commun, avec cette vision qu’on peut développer des choses utiles dans les univers public et privé, l’important étant de le faire à chaque fois avec la même vision, les mêmes valeurs et le même professionnalisme. » 

C’est pourquoi elle a rejoint Korian en 2016, persuadée aussi que « la révolution viendrait du privé » et motivée par la perspective de pouvoir construire un champion européen ». Le groupe croît vite, avec dix à quinze acquisitions par an, des « centaines de chantiers de construction ou de reconstruction en cours » et « des besoins importants ». 

« Scandalisée » par les polémiques

Les critiques de ces derniers mois, sur la gestion des maisons de retraite, l’ont visiblement marquée: « Ces polémiques sont vraiment dévastatrices et incroyablement injustes, en interne, pour les professionnels de santé, et pour tout le monde », réagit-elle. « Cette capacité à traîner un secteur dans la boue, ça me scandalise! Ma première tâche, c’est de défendre nos professionnels de santé et on s’est mis depuis trois ans sur un chemin de progression ».

Consciente du travail à accomplir pour fournir aux patients le même niveau de service que chez certains de nos voisins européens, mais déterminée à le faire, la directrice générale de Korian estime qu’il faudra un peu de temps. Pour elle, il s'agit d'« une vraie question de santé publique ». Il ne faut pas, dit-elle, réduire la politique du grand âge à la politique de la maison de retraite ». Elle prône un changement de modèle en profondeur, « une mue du système de santé et de prise en charge de la vieillesse ».

Frédéric Durousseau, qu’elle a recruté en 2016 pour diriger le pôle Immobilier et Développement de Korian, assure que les polémiques lui « ont fait mal à titre personnel. Cela la rend malade, raconte t-il, de voir comment ces sujets sont traités, parce qu’elle représente le personnel de Korian »!

« Elle met les limites tout de suite »!

Plus généralement, il décrit une patronne « bienveillante », qui « là, où certains divisent pour mieux régner, arrive à recadrer les gens avec beaucoup de doigté ». Une patronne qui est aussi plus germanique que latine en ce qu’« elle met les limites tout de suite. En réunion, par exemple, elle est assise en face de vous, jamais à côté de vous ». D'après lui, également, Sophie Boissard « sépare pas mal sa vie privée et sa vie publique ». 

Mariée à un avocat, la directrice générale de Korian est mère de quatre enfants, qui sont âgés de 11 à 22 ans. En déplacement deux à trois jours par semaine, elle compare son rythme de chef d’entreprise à celui d’une athlète de haut niveau. En plus de diriger Korian, elle est au conseil de surveillance de l’assureur allemand Allianz. Pour tenir la cadence, elle fait de la course à pied, du yoga, du ski ou encore de la randonnée.

Très travailleuse 

Très travailleuse, Sophie Boissard « connaît parfaitement ses dossiers », explique Frédéric Durousseau, qui ne tarit pas d’éloges. Il considère qu'elle est « exceptionnelle » et qu'« elle a la capacité à emmener Korian au niveau des boîtes du CAC40 ! »

Même son de cloche chez Michel de Virville, pour qui Sophie Boissard « a beaucoup de potentiel au départ ». Et alors qu’elle ne se voit pas du tout faire de la politique, il estime qu’avec « ses convictions », cela pourrait bien venir un jour. « La vie n’est pas terminée », dit-il dans un sourire.

Poussée par ce besoin de faire bouger les lignes, de faire avancer les choses, elle estime quant à elle qu'elle a « beaucoup plus de leviers, dans la durée, à la tête d’une entreprise ».