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Tati : du mythe parisien à la dure réalité

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En 2020, seul le magasin de Barbès, où l’histoire de l’entreprise a débuté en 1948, gardera le nom de la marque. Les autres magasins vont fermer ou seront transformés en enseignes Gifi. La faute à une concurrence redoutable.

Qu’il semble loin le temps où Fabien Ouaki, fils du fondateur de Tati, lançait en grande pompe un magasin aux tonalités vichy à carreaux rose et blanc sur la 5ème avenue de New York, la plus prestigieuse des artères de la ville.

20 ans plus tard, retour à la case départ. En 2020, il ne restera qu’un seul magasin siglé Tati, dans le quartier Barbès (10ème arrondissement parisien) là où l’aventure à commencé. Les autres magasins seront transformés en Gifi (l’enseigne phare de GPG, repreneur de Tati depuis 2017) ou disparaîtront avec un reclassement de 189 collaborateurs à la clé. « Pendant deux ans, nous avons tout fait pour sauver l'enseigne et les emplois, j'y tenais depuis le début », a affirmé Philippe Ginestet, le président du groupe GPG. Mais les pertes de l'entité Tati ont été trop importantes en 2018, « de l'ordre de 28 millions d'euros ». Pour 2019, la situation va empirer…

Cette situation est la conclusion d’un long déclin de la marque, passée du mythe parisien à celle d’enseigne vieillissante voire ringarde. Fondé en 1948, Tati a été créé par Jules Ouaki, originaire de Tunis, avec un concept révolutionnaire pour l’époque : du textile à très bas prix , dans des bacs en libre-service. Grâce à ses tarifs « discount », le magasin de Barbès vend à tour de bars des quantités impressionnantes. « Nous achetons directement à l’étranger entre 100 000 et 500 000 pièces par article » racontait, en 1976, le fondateur au journal télévisé de TF1. Pas d’intermédiaires, des gros volumes… C'est le triomphe de Tati.

Perte de vitesse

Pendant plusieurs décennies, la méthode fonctionne parfaitement et Tati devient une référence. « L’institution parisienne qui a fait se déplacer trente-cinq millions de visiteurs l’an dernier s’appelle Tati, la grande surface de la fringue à quatre sous », titrait encore Le Figaro en 1987.

Malgré la disparition de Jules Ouaki en 1982, Tati continue de s’étendre, toujours contrôlé par la famille. Au début des années 1990, son fils Fabien voit les choses en grand et commence à diversifier la marque : Tati Or, Tati Mariage, Tati Phone ou encore Tati Voyages… Les magasins ouvrent dans toute la France et même à l’étranger, d’Afrique du sud aux Etats-Unis. A Barbès, la petite boutique est devenu un ensemble de 2800 m².

Mais le succès aiguise les appétits et la concurrence porte ses premiers coups au milieu des années 1990. Le fils dirigeant n’a ni vraiment le talent ni vraiment l’envie de son père, et ne voit pas venir Babou, H&M ou Zara, qui révolutionnent le secteur. Les hyper s’y mettent aussi… La stratégie de diversification peine à relancer la machine et les dettes s’accumulent.

Incapable de relancer la machine, la famille Ouaki assiste, impuissante, à la reprise de l’entreprise par le groupe Vetura-Fabio Lucci, en 2004, décidée par le tribunal de commerce de Paris.

L'enjeu est de taille : si Tati a su imposer une marque, l'enseigne ne parvient pas à se défaire de cette image bon marché, qui rime pour le nouveau consommateur avec mauvaise qualité. Les désirs de ces derniers ont évolué mais pas Tati. Le célèbre sac vichy ne fait plus la fierté des acheteurs tandis que le côté souk est passé de mode.

Montée en gamme

En 2007, le groupe Eram s’offre, pour 15 millions d’euros, l’institution. Objectif : recentrer l’activité et opérer un renouvellement de la marque. Fini les bacs et le destockage ! Les prix restent bas mais le style se modernise, grâce à des designers maison. Mais rien à faire, le chiffre d’affaires ne décolle pas.

Vient alors la montée en gamme. Tati veut faire du « discount qualitatif ». Les magasins sont rénovés et la gamme s’étend de nouveau à d’autres produits. Un magasin de 4000 m² est même inauguré à Thiais. Et cela marche enfin : dès 2011, les comptes retrouvent l’équilibre.

Mais l’illusion de dure pas. L’année 2016 est catastrophique pour la marque, dans le sillage de ses concurrents comme Vivarte. En 2017, c’est donc le groupe GPG qui tente un coup de poker. La reprise est difficile et le climat social se dégrade. D’autant plus que les ventes ne décollent pas. « On avait annoncé qu'on investirait 80 millions d'euros, on en a finalement investi 150 pour redresser cette équipe, notamment sur le textile avec l'embauche de 100 personnes », affirme aujourd’hui Philippe Ginestet. « On a totalement réinventé Tati de l'intérieur en deux ans ». En vain.

« Quand on évoque Tati, on parle toujours du magasin de Barbès, donc celui-là, il faut le garder » juge Philippe Ginestet. En précisant : « Pour les fans...» 

Et ils sont de moins en moins nombreux.

Thomas LEROY