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TNT: l'histoire secrète des six nouvelles chaînes

Une naissance qui a été le fruit de moult retournements

Une naissance qui a été le fruit de moult retournements - -

La télévision numérique terrestre s'enrichit aujourd'hui de six nouvelles chaînes gratuites. Mais comment cette décision a-t-elle été prise?

Episode 1: le casse tête des chaînes bonus

En 2007, la loi sur la télévision du futur accorde une chaîne TNT supplémentaire aux trois groupes historiques: TF1, M6 et Canal Plus -un canal vite surnommé "chaîne bonus". Problème: les nouveaux entrants de la TNT (NRJ, Bolloré et NextRadioTV) trouvent cela injuste. Ils agitent ciel et terre, et, en avril 2008, l'un d'eux finit par porter plainte à Bruxelles, comme l'indiquera plus tard le rapport Boyon. Le nom du plaignant n'a jamais été révélé. Mais, selon certaines sources, il s'agirait de Bolloré, qui, interrogé, se refuse à tout commentaire (pour leur part, NRJ et NextRadioTV ont toujours nié avoir déposé une plainte formelle).

En tous cas, la Commission européenne est convaincue que ces chaînes bonus sont illégales, et engage une procédure contre Paris sur ce point...

Episode 2: Canal Plus débarque dans le gratuit

Dès 2008, les dirigeants de Canal Plus pensent que la télévision gratuite peut être un relais de croissance. Leur première idée est de se lancer dans la TV en clair via leur chaîne bonus. Mais ils savent que ce projet suscitera la fureur de TF1 et M6, et donc le gardent soigneusement secret. Ils ne veulent le dévoiler qu'au tout dernier moment, à l'automne 2011, lors du dépôt des dossiers pour les chaînes bonus. Mais ils vont être contraint d'abattre leurs cartes plus tôt. En effet, début 2011, TF1, M6 et le gouvernement disent à Bruxelles n'avoir aucune objection à l'abandon des chaînes bonus. En mars, Canal Plus est donc contraint de sortir du bois.

Comme prévu, TF1 et M6 se déchaînent, et militent auprès du gouvernement et du CSA pour "tuer" les chaînes bonus. Le 20 mai 2011, le gouvernement confie une mission au président du CSA, Michel Boyon. Ce dernier rédige son rapport durant l'été. Il préconise d'enterrer les chaînes bonus, arguant qu'elles sont contraires au droit européen, et de reporter le lancement de toute nouvelle chaîne TNT de "12 à 18 mois" minimum.

Episode 3: TF1 et M6 ne savent plus où ils habitent

Mais Canal Plus comprend très tôt qu'il peut faire une croix sur sa chaîne bonus, et réfléchit à un plan B que, cette fois, les pouvoirs publics ne pourront contrecarrer: se lancer dans le gratuit via l'achat d'une chaîne TNT. Dès le printemps 2011, son président Bertrand Meheut approche le PDG de NRJ Jean-Paul Baudecroux -qui fait semblant de ne pas comprendre la proposition...-, et Vincent Bolloré, qui, lui, accepte de vendre ses deux chaînes TNT.

Un rachat qui rebat totalement les cartes. En effet, la chaîne cryptée n'a dès lors plus aucun intérêt à la naissance de nouvelles chaînes TNT. Inversement, TF1 et M6 ont désormais besoin de nouveaux canaux pour faire poids face à ce nouveau concurrent.

Mais Canal Plus, grand stratège, parvient à tenir secret durant plusieurs mois son accord avec Bolloré. Il n'est annoncé que le 8 septembre 2011, à la surprise générale, plongeant TF1 et M6 dans le plus grand désarroi. "Ils ne savent plus où ils habitent", résumait un de leurs interlocuteurs.

Canal a apparemment soigneusement choisi la date de son coup de tonnerre. En effet, le rapport Boyon doit enfin être publié cinq jours plus tard, et il est trop tard pour le modifier. Comme prévu, le rapport est défavorable à la naissance rapide de nouvelles chaînes TNT. En clair, le rapport, au lieu d'aller dans le sens de TF1 et M6 comme prévu, fait finalement plutôt les affaires de Canal...

Episode 4: la fureur des socialistes

TF1 et M6 finissent par reprendre leurs esprits, et opèrent un retournement total: ils militent désormais pour la naissance de nouvelles chaînes TNT, en espérant en prendre une bonne part.

Le gouvernement y voit son intérêt. En effet, la campagne électorale approche. Faire miroiter aux principaux groupes de média une nouvelle chaîne TNT peut être un bon moyen de les rendre bienveillants durant la campagne, pense-t-on en haut lieu. Un patron de chaîne persifle: "les unes du Parisien sont devenues très sarkozystes à cette époque, car son propriétaire Amaury désirait obtenir une chaîne TNT".

Finalement, le 11 octobre, le gouvernement et le CSA annoncent de concert que 6 nouvelles chaînes seront octroyées "d'ici fin mars 2012", soit juste avant la présidentielle.

Pas totalement dupes, les socialistes sont furieux. En mars 2012, Aurélie Filippetti, future ministre de la culture, dit tout le mal qu'elle pense du projet lors d'un colloque du SPI. "J'espère que le CSA reportera sa décision. Il n'y a aucune urgence à attribuer ces chaînes. Le contexte n'est pas serein. Rien n'oblige le CSA à se décider avant la présidentielle. On a pressé le calendrier dans la logique de servir des intérêts". Mais le CSA trace sa route et annonce les 6 heureux élus le 27 mars.

Epilogue: le bal des faux culs

Une fois nommé ministre, Aurélie Filippetti prend acte de la situation. L'ancienne majorité "a laissé six nouvelles chaînes sur la TNT qui vont diluer la publicité, héritage que nous sommes aujourd’hui dans l’obligation d’assumer, l’État de droit ne nous permettant pas de revenir sur cette décision", déclare-t-elle le 31 octobre à l'Assemblée nationale.

Ce mercredi 12 décembre, elle en rajoute une couche sur RTL: "j'avais regretté qu'on élargisse encore le nombre de chaînes, car dans un contexte où la publicité n'est pas extensible à l'infini avec la crise économique, ça va diluer les ressources publicitaires pour les autres chaines et les chaines "premium". Le CSA est heureusement indépendant et a décidé d'attribuer ces six canaux"

En revanche, TF1 et M6 tirent désormais à boulets rouges sur le lancement de ces nouvelles chaînes. Des critiques qui passent mal au CSA, où l'on a pas oublié leur position inverse d'il y a un an: "c'est le bal des faux culs...", déplore un conseiller.

Jamal Henni