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Total prépare sa plus grosse acquisition depuis 20 ans

Le PDG de Total, Patrick Pouyanné.

Le PDG de Total, Patrick Pouyanné. - EMMANUEL DUNAND / AFP

Chevron reconnaît son échec dans sa tentative de rachat d'Anadarko face à son concurrent Occidental. Occidental qui s'est mis d'accord avec Total pour lui céder les actifs africains d'Anadarko pour près de 9 milliards de dollars. Des négociations menées en toute discrétion.

Il n'a fallu que quelques jours au PDG de Total et à un cercle restreint de conseillers pour mettre au point le projet de rachat des actifs africains de l'américain Anadarko, qui constituerait la plus grande acquisition du groupe français depuis près de 20 ans. Patrick Pouyanné a vu une aubaine - et l'a saisie - dans l'un des volets de la contre-offre de 38 milliards de dollars lancée fin avril par Occidental sur Anadarko pour coiffer son concurrent Chevron au poteau. Et Occidental semble bien parti pour emporter la mise puisque Chevron a annoncé jeudi qu'il ne relèverait pas son offre de 33 milliards sur Anadarko.

Pas de banque conseil, pas de fuites

Dans le cadre de sa proposition de rachat, Occidental prévoit de vendre jusqu'à 15 milliards de dollars d'actifs d'Anadarko afin de financer l'opération. En mettant peu de gens dans la confidence, Patrick Pouyanné a pu être réactif dans les négociations. Le PDG a décidé rapidement et a évité les fuites avant l'annonce d'un accord contraignant d'un montant de 8,8 milliards de dollars, souligne une source chez Total. "Pouyanné a procédé de la même manière que pour les accords précédents: un groupe restreint, aucun banquier et aucun conseil externe", a déclaré à Reuters une autre source au fait des négociations.

Le PDG de Total, à la tête du groupe depuis 2014, est connu pour ne pas nécessairement faire appel à des banquiers d'investissement et autres conseillers lorsqu'il conclut des accords. Certaines de ses acquisitions ont ainsi surpris les investisseurs, comme le rachat des activités pétrolières et gazières de Maersk en 2017 ou la reprise du portefeuille d'actifs amont de GNL d'Engie.

Pouyanné l'opportuniste

Sa stratégie, qu'un analyste a qualifiée d'"opportuniste", a rapidement permis d'améliorer les perspectives de croissance de Total. Au cours de ces cinq dernières années, Total a ainsi acquis pour presque 20 milliards d'actifs. Mais cette frénésie d'acquisitions a également accru la dette et pèse sur le cours de Bourse. L'action a gagné 1,48% depuis le début de l'année, à comparer à une hausse de 5% pour celle de Royal Dutch Shell et de 6,7% pour BP. La méthode Patrick Pouyanné peut également sembler brutale, et des sources du secteur y voient une des raisons pour lesquelles achoppe la prise d'une participation du groupe dans un champ pétrolifère libyen.

Recentrage sur l'Afrique, la Mer du Nord, l'offshore et le GNL

Le rachat des actifs d'Anadarko, la plus grande acquisition de Total depuis le rachat d'Elf il y a presque deux décennies, permettra au groupe d'accroître sa production de 5% d'ici 2025, estiment les analystes de Bernstein, qui sont à "surperformer" sur le titre. Ces actifs pétroliers et gaziers africains, qui vont de l'Algérie à l'Afrique du Sud, s'inscrivent dans la stratégie de Total visant à se recentrer en Afrique, en mer du Nord, sur l'offshore en eaux profondes et le gaz naturel liquéfié (GNL). "Pouyanné a rapidement compris qu'il pourrait s'agir d'un don du ciel parce que Oxy (Occidental) lorgnait principalement les actifs d'Anadarko dans le Bassin permien. Et Pouyanné a répété à plusieurs reprises qu'il n'était pas intéressé par le Bassin permien", a dit une source au fait du dossier, faisant référence à cette zone dans l'ouest du Texas, où la production de pétrole de schiste a explosé ces dernières années.

Sous la houlette de Patrick Pouyanné, Total s'est sorti de crise de l'effondrement des prix du pétrole en 2014 avec un bilan solide, ce qui lui donne la puissance nécessaire pour reprendre les actifs d'Anadarko. Mais Total a également été capable d'agir rapidement, car depuis longtemps les activités africaines du groupe sont dans sa ligne de mire.

Une cible déjà bien connue de Total

"Total connaissait déjà le portefeuille d'Anadarko. À un moment donné, ils ont examiné de plus près les actifs d'Anadarko, en particulier en Afrique. Il y a eu des discussions, mais elles n'ont pas abouti", a déclaré une source du secteur. Une autre source a rapporté qu'Anadarko cherchait un partenaire pour son projet de GNL au Mozambique, qui permettrait de produire quelque 2,1 milliards de mètres cubes de gaz naturel récupérable. Le groupe américain a dit mercredi qu'il était prêt à annoncer le 18 juin la décision finale d'investissement concernant ce projet de GNL au Mozambique, une opération de 20 milliards de dollars. Occidental a présenté sa contre-offre sur Anadarko, supérieure à celle de Chevron, le 24 avril. Deux jours plus tard, l'avion privé d'Occidental atterrissait à Paris.

Négociations en toute discrétion

Occidental et Total n'ont pas voulu expliquer les raisons de la présence de dirigeants d'Occidental à Paris, mais une source du secteur a rapporté à Reuters que les passagers de l'avion étaient en France pour une réunion avec Total. Une autre source proche des négociations a déclaré que la PDG d'Occidental, Vicki Hollub, s'était rendue à Paris avec un autre dirigeant en toute discrétion et avait rencontré des responsables de Total pour discuter des actifs africains d'Anadarko.

"Bien sûr, (Total) y avait déjà réfléchi. Et je pense qu'ils l'ont contactée et lui ont dit: " Eh, Vicki, si tu remportes la mise, nous serions vraiment intéressés", a déclaré la source. "Elle a pris l'avion pour Paris, les a rencontrés et ils se sont entendus sur l'accord." Occidental n'a pas commenté.

Méthode éprouvée lors du rachat d'actifs de Maersk

Selon une source bancaire, ce n'est pas la première fois que Total se passe de banquiers pour discuter ce type d'accord. Une source a ainsi rapporté que Patrick Pouyanné avait conclu le rachat l'activité énergie de Maersk pour 7,5 milliards de dollars après avoir fait, par téléphone, une offre non sollicitée à Ane Maersk Mc-Kinney Uggla, présidente de la Fondation A.P. Moller, actionnaire de contrôle du groupe. "Cet accord n'était pas prévu, mais il convenait bien. Un banquier a soufflé l'idée à Patrick, qui l'a mise en oeuvre", a ajouté la source. Maersk n'a pu être joint pour commenter cette information.

Mais la méthode ne réussit pas toujours. En mars 2018, Total a annoncé acquérir la participation de Marathon Oil dans les concessions du gisement libyen de Waha, pour 450 millions de dollars. Depuis, le gouvernement libyen examine l'opération, à laquelle il n'avait pas donné le feu vert formel nécessaire. Total a indiqué que les discussions avec les autorités libyennes et la National Oil Corporation (NOC), la compagnie pétrolière publique libyenne, se poursuivaient. Personne à la NOC n'était pas disponible dans l'immédiat.

La rédaction avec Reuters