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Touche pas à mon poste: vers une annulation d'une partie des sanctions du CSA

Suite à ces amendes, Cyril Hanouna a recruté comme chroniqueur l'ancien sage du CSA Rachid Arhab

Suite à ces amendes, Cyril Hanouna a recruté comme chroniqueur l'ancien sage du CSA Rachid Arhab - C8

Le Conseil d'Etat a examiné ce vendredi les recours déposés par C8 contre les amendes infligées par le gendarme de l'audiovisuel suite aux dérapages de Cyril Hanouna. Le rapporteur public a proposé de réduire les sanctions infligées par le CSA.

Vendredi 25 mai, les juges du Conseil d'Etat examinaient une affaire un peu plus divertissante que d'habitude. Ils se sont penchés sur trois dérapages commis par Cyril Hanouna dans Touche pas à mon poste en 2016-2017. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait sanctionné ces trois dérapages en infligeant des amendes à C8. Mais la chaîne de télévision a contesté ces amendes devant la haute juridiction, qui a donc examiné ces recours vendredi lors d'une audience. Elle rendra son verdict d'ici quelques semaines.

L'affaire se présente plutôt bien pour Cyril Hanouna. Vendredi, le rapporteur public Laurence Marion, dont l'avis est suivi dans la majorité des cas, a proposé d'annuler ou de réduire les sanctions infligées par le CSA.

Trois dérapages

Précisément, le CSA avait infligé trois sanctions:

-une amende amende de 3 millions d'euros suite à un canular diffusé dans l'émission Baba hot line du 18 mai 2017 où Cyril Hanouna se faisait passer pour un bisexuel dans une petite annonce, puis répondait de façon caricaturale aux hommes qui le contactaient. Le rapporteur public a proposé, après avoir "hésité", de confirmer cette amende: "la séquence est affligeante. Elle véhicule des poncifs blessants voire offensants. Mais je n'ai pas perçu d'intention discriminante. En revanche, les victimes étaient identifiables, ce qui a pu permettre à leurs proches de les identifier et avoir des conséquences dévastatrices. C'est un manquement grave. Toutefois, le montant de 3 millions d'euros est particulièrement lourd".
-une suspension pendant deux semaines la publicité diffusée dans Touche pas à mon poste suite à une séquence diffusée le 7 décembre 2016 où Cyril Hanouna posait sur son sexe la main de la chroniqueuse Capucine Anav. Le rapporteur public a proposé de diminuer la sanction, et d'infliger seulement une amende de 50.000 euros: "le geste de Cyril Hanouna est déplacé, cela fourni un alibi aux agresseurs. On est très loin de l'expression d'une quelconque pensée. Mais Capucine Anav donne son accord de manière audible, elle ne paraît ni contrainte, ni gênée. C'est difficile d'en faire une victime. Au final, la sanction est justifiée, mais nous paraît trop élevée, disproportionnée".
-une suspension pendant une semaine la publicité diffusée dans Touche pas à mon poste suite à un canular diffusé le 3 novembre 2016 où Cyril Hanouna faisait croire qu'il avait tué un producteur à son chroniqueur Matthieu Delormeau. Le rapporteur public a proposer d'annuler purement et simplement cette sanction: "la séquence est totalement dépourvue d'intérêt. Matthieu Delormeau paraît plus sympathique que victime. Mais l'ingérence du CSA est excessive, et cela relève de la liberté d'expression".

Le CSA estime que les deux suspensions de la publicité ont coûté à C8 1,5 million d'euros, "ce qui parait un peu faible" aux yeux du rapporteur public. Pour sa part, la chaîne chiffre le manque à gagner à 9,5 millions d'euros, "ce qui parait excessif", selon le rapporteur public .

La main lourde

Pour sa défense, C8 a avancé plusieurs arguments. D'abord, que le CSA avait "un préjugé défavorable vis-à-vis de C8 en général, et de Touche pas à mon poste en particulier". Ce à quoi le rapporteur public a répondu: "la piètre opinion du CSA vis-à-vis de Touche pas à mon poste ne fait aucun doute. Mais elle s'explique par l'accumulation des manquements, et les attaques personnelles contre le président du CSA".

C8 a aussi estimé que ces séquences relevaient du "droit de caricature" qui relève de "la liberté d'expression". Et aussi que d'autres émissions font pareil...

Sur la forme, C8 a aussi argué que le CSA a eu la main plus lourde que le rapporteur indépendant auprès du CSA qui a instruit ces affaires, Régis Fraisse. Ce dernier avait seulement proposé une suspension d'une semaine de Touche pas à mon poste pour la fausse petite annonce gay; une amende de 50.000 euros pour le "chat bite" avec Capucine Anav; et aucune sanction pour le canular avec Matthieu Delormeau.

"Une stratégie commerciale"

Quatre associations féministes sont volontairement intervenues pour soutenir le CSA: Osez le féminisme, Le collectif féministe contre le viol, Association de soutien à la fondation des femmes, et l'Association européenne contre les violences faites aux femmes. Pour leur avocat Cédric Uzan-Sarano, "cette émission a une prédilection pour la vulgate sexiste et homophobe. On fait du trash car ça fait du cash. Le mobile de ces dérapage sont les recettes publicitaires. Ce ne sont pas des dérapages, mais une stratégie commerciale".

L'avocate du CSA Elisabeth Baraduc a souligné "la présence très importante de très jeune public" devant TPMP. Ainsi, parmi les 1,5 million de personnes qui ont vu la séquence avec Capucine Anav, on comptait 16% de mineurs, dont 96.000 moins de 11 ans, et 76.000 entre 11 et 14 ans. "Ces séquences ont fait le buzz dans toutes les cours de récré", a-t-elle souligné. Quant à la caméra cachée avec Matthieu Delormeau, "elle véhicule l'image d'un homme manipulé, humilié, pris dans une relation perverse avec deux autres hommes. Matthieu Delormeau, cet homme homosexuel et fragile manifestement en recherche de reconnaissance, a toujours été le souffre douleur de TPMP".

Recours indemnitaires

De son côté, l'avocat de C8 Emmanuel Piwnica a déclaré que les velléités de censure du CSA "rappellent les plus mauvais jours des parenthèses de notre République. On ne veut pas de ça chez nous!" Selon lui, la fausse petite annonce gay pose uniquement un "possible problème" d'atteinte à la vie privée, qui "ne vaut certainement pas une sanction qui représente 5% du chiffre d'affaires de C8".

Pour mémoire, C8 a aussi contesté ces trois sanctions en déposant trois recours indemnitaires devant le CSA, réclamant au gendarme de l'audiovisuel le paiement de 9 millions d'euros pour le geste déplacé envers Capucine Anav et 4 millions pour le canular avec Matthieu Delormeau. Sans surprise, le CSA a rejeté ces trois recours indemnitaires. C8 a donc aussi contesté ces rejets devant le Conseil d'Etat, qui instruit toujours ces autres recours. 

Rappelons que le Conseil d'Etat avait rejeté fin 2017 un autre recours de C8 concernant Touche pas à mon poste.

Les arguments du rapporteur indépendant Régis Fraisse

-sur la petite annonce gay:
"Cyril Hanouna a recouru à la caricature pour se donner une attitude efféminée, a piégé ses interlocuteurs, les a ridiculisés par des discussions sexuelles très crues, les a humiliés, les a incités à tenir des propos intimes, et a caché la diffusion publique de ces propos, sans autre objectif que de susciter la plaisanterie, voire la moquerie.
L'utilisation d'une voix efféminée avec des gestes maniérés pour se moquer des homosexuels est un des stéréotypes les plus anciens de l'homophobie, et l'un des plus destructeurs. En efféminant les homosexuels, on les stigmatise et on les expose à la honte et aux moqueries. Cette manière de considérer les homosexuels comme différents des autres et donc comme anormaux porte un nom, c'est de l'homophobie.
Les nombreuses excuses présentées par les responsables de C8 sont une reconnaissance au moins partielle de la gravité des faits. M. Hanouna écrit dans Libération: 'cette fois-ci, ma liberté d'expression a porté atteinte à autrui'.
Il ne s'agit pas de remettre en cause la liberté de caricature, mais cette liberté ne permet pas d'adopter de telles postures et de tenir de tels propos sans avertissement du public de nature à écarter toute équivoque.
L'atteinte au respect de la vie privée est d'autant plus grave qu'il porte sur l'intimité de la personne, et sur ce qu'il y a de plus intime, sa sexualité.
Les canulars téléphoniques ne me paraissent pas possibles sans le consentement, fut-ce postérieur, de la personne qui en est l'objet.
Il n'est pas établi que les personnes qui ont appelé l'ont fait en toute connaissance de la diffusion de leur propos, ou y ont consenti même postérieurement. Par exemple, Mika et Mathieu n'ont jamais su qu'ils s'exprimaient à l'antenne.
A aucun moment, les voix des personnes qui ont appelé n'ont été modifiées pour éviter qu'elles soient reconnues, ce qu'elles ont pu craindre à juste raison lorsqu'elles ont constaté que leurs propos avaient été diffusés en direct devant plus d'un million de téléspectateurs".

-sur le chat bite avec Capucine Anav:
"Cyril Hanouna a amené Capucine Anav à poser la main sur son sexe sans l'avoir prévenue, ni avoir recueilli son consentement.
Les faits dénotent une atteinte à l'image des femmes, même s'ils apparaissent comme ultérieurement acceptés par l'animatrice qui en est le jouet. Ils consistent, dans le cadre d'une relation hiérarchique de travail, en un geste à connotation sexuelle évidente, effectué par un homme sans le consentement explicite de la chroniqueuse, et renvoient une image stéréotypée et même dégradante de la femme.
Touche pas à mon poste est suivi par un public jeune. Une partie de ce public peut considérer qu'il est normal d'avoir des gestes déplacés au détriment des femmes, et ce d'autant plus que les animateurs incitent le public à en rire.
De tels manquements ont pour conséquence, si ce n'est pour objet, d'augmenter l'audience par le buzz qu'ils provoquent, et par suite, les recettes publicitaires".

-sur le faux meurtre:
"Matthieu Delormeau a été mis publiquement dans une situation de vulnérabilité.
Le stratagème mis en place revêtait une violence caractérisée.
La diffusion de ces images était regrettable et a pu choquer un certain nombre de téléspectateurs. Mais elle ne peut être qualifiée d'absence de retenue dans la diffusion d'images, ou de témoignage susceptible d'humilier une personne".

Source: rapports du rapporteur indépendant Régis Fraisse

Les arguments de C8

-sur la petite annonce gay:
"Cyril Hanouna est un humoriste dont la philosophie est de tolérer tout le monde, et donc de rire de tout le monde.
Il n'y pas eu d'atteinte à la vie privée, car il n'y a aucune certitude sur l'identité des personnes ayant appelé l'émission. Sur les 7 personnes en cause, une a rapidement reconnu Cyril Hanouna; deux ont appelé après avoir vu l'émission en sachant donc qu'il s'agissait d'une fausse annonce; et les quatre autres se sont limitées à livrer des informations très vagues.
Il n'y a pas eu de discrimination envers les homosexuels. Les griefs notifiés semblent considérer que l'usage de la caricature ou du stéréotype pour décrire une communauté pourrait, en soi, être discriminatoire ou dégradant, ce qui est faux. Le droit à la caricature est un droit fondamental. Il s'agit d'une manifestation de la liberté d'expression, toujours reconnue comme telle.
Jean José est un personnage récurrent que Cyril Hanouna endosse depuis plus de dix ans, dans le seul but de faire rire et sans volonté de discrimination de qui que ce soit. Ce personnage de Jean José, bien que caricatural, ne traduit, par lui-même, aucune homophobie. Considérer l'inverse condamnerait tout droit à la caricature: il ne serait ainsi plus possible de mettre en scène un personnage parlant créole, ou ayant l'accent belge ou africain, sous peine de stigmatiser. Ce serait une atteinte grave à la liberté d'expression, et une régression de nos droits les plus fondamentaux.
Les séquences diffusées sont de simples conversation qui n'ont rien d'humiliantes ou de stigmatisantes. Les conversations n'ont porté atteinte ni à la dignité de la personne humaine, ni à la réputation de qui que ce soit. La morale ne relève pas des missions du CSA. Les téléspectateurs savent que les quolibets de Cyril Hanouna ne visent pas à discriminer, mais au contraire à rassembler.
Après la diffusion, C8 et Cyril Hanouna ont cherché à comprendre en donnant la parole à deux associations de lutte contre l'homophobie et en multipliant les excuses pour lever toute ambiguïté quant à leur intention".

-sur le chat bite avec Capucine Anav:
"Les obligations à la charge des chaînes en matière de protection de l'image des femmes ne sont pas définies. La loi se limite à donner pour mission au CSA de veiller à l'image des femmes sans énoncer aucune obligation positive et tangible à la charge des chaînes.
Selon la jurisprudence, l'existence d'une atteinte à la dignité de la personne n'est retenue que dans des hypothèses très radicales: lorsque l'humanité d'un individu est, dans son principe, niée.
Le contenu de Touche pas à mon poste est délibérément outrancier et potache.
Cette séquence est un jeu potache pas forcément du meilleur goût, mais qui a connu de nombreux précédents à la télévision."

-sur le faux meurtre:
"le fait que Matthieu Delormeau pouvait s'être senti humilié ou rabaissé ne relève pas des missions du CSA. Car la notion d'atteinte à la dignité de la personne [réprimée par la loi] vise à prévenir une atteinte à la sensibilité des téléspectateurs.
Selon la jurisprudence, l'existence d'une atteinte à la dignité de la personne n'est retenue que dans les cas les plus graves, c'est-à-dire lorsque l'humanité d'un individu est, dans son principe, niée. Des séquence de mauvais goût, provocatrice ou déplacées ne constituent pas des atteintes à la dignité, faute de présenter un degré de gravité suffisant.
Touche pas à mon poste doit être lu au second degré, ce que font les téléspectateurs, avec une mise en scène qui ne les choque pas.
On trouve de nombreuses émissions qui fonctionnent sur ce ressort et qui n'ont donné lieu à aucune mesure du CSA.
Le caractère purement fictionnel de la séquence ne peut absolument pas être remis en cause par les téléspectateurs, même par les plus jeunes d'entre eux. La séquence ne comporte en tant que telle aucune scène de violence excessive, c'est ni plus ni moins une scène de bagarre.
Nous ne voyons pas en quoi M. Mathieu Delormeau pourrait avoir été humilié par cette séquence. Sa réaction en plateau témoigne en réalité des liens fraternels qui unissent fortement les participants à l'émission".

Source: rapports du rapporteur indépendant Régis Fraisse

Jamal Henni