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Tournages: la fuite en avant pour éviter les délocalisations

Fleur Pellerin a présenté mercredi son budget 2016

Fleur Pellerin a présenté mercredi son budget 2016 - BFM Business

Les subventions aux tournages de films en France vont augmenter de 45 millions d'euros dans le budget 2016, pour tutoyer un total de 200 millions d'euros. Paris tente ainsi de surenchérir sur les subventions accordées par les pays voisins.

La fuite en avant continue. Fleur Pellerin a annoncé fièrement mercredi 30 septembre qu'elle allait augmenter de 47 millions d'euros en 2016 les subventions octroyées pour les tournages de films en France. 

D'abord, le montant de cette subvention (en pratique, un crédit d'impôt accordé au producteur) va être augmenté. Surtout, ces subventions vont être étendues à des productions françaises tournées en langue étrangère, à condition d'avoir "une dimension culturelle forte impliquant l'usage d'une langue étrangère pour des raisons artistiques". En pratique, cela va permettre à Luc Besson de réaliser dans l'Hexagone son Valerian, qui est tourné en anglais. Et d'ores et déjà, le réalisateur a donné son feu vert pour un tournage à la cité du cinéma de Saint Denis.

Un coût qui explose

Mais ce n'est pas tout. La ministre de la Culture a aussi annoncé "une réflexion" similaire sur les fictions télévisées, qui ne bénéficient pas encore de subvention si elles sont tournées en langue étrangère. 

Concrètement, ces subventions ont été créées il y a dix ans, et n'ont cessé de se développer depuis. Quasiment chaque année, le dispositif a été assoupli pour permettre à de plus en plus de films d'obtenir de plus en plus d'argent. Résultat: le coût total a explosé, pour tutoyer en 2016 les 200 millions d'euros.

Une efficacité contestée

Problème: l'efficacité de ces subventions est contestée, notamment par la Cour des comptes. Dans un rapport sur les aides à l'audiovisuel publié l'an dernier, les limiers de la rue Cambon ont dézingué ces subventions accordées aux films français. 

Certes, leur création en 2004 "s'est effectivement accompagnée d'une baisse de la délocalisation". Mais "l'impact semble s'être émoussé au fil du temps. La part des jours de tournage localisés à l'étranger atteint en 2012 un niveau supérieur à celui de 2001 et 2002. Les dépenses de tournage réalisées à l'étranger ont atteint en 2012 un niveau en progression sensible par rapport à 2003".

Pire: cette subvention "provoque incontestablement un effet d'aubaine en faveur des producteurs qui auraient de toute façon fait le choix de tourner en France, avec ou sans" la subvention. Les films sans subvention "n'ont d'ailleurs pas massivement déserté le territoire français, la part de leurs dépenses en France restant stable".

Surenchère européenne

Interrogée mercredi à l'occasion de la présentation du budget 2016, Fleur Pellerin a assuré que l'augmentation de ces subventions début 2015 avait conduit à "une forte relocalisation".

La ministre a aussi cité une étude réalisée par Ernst & Young pour le CNC qui assure qu'un euro de subvention versé génère 3,1 euros de recettes fiscales et sociales, plus 11,6 euros d'investissements sur le territoire.

La ministre a ajouté: "il faut tenir compte de la concurrence internationale. Si on augmente les crédits d'impôts, c'est à cause des politiques extrêmement agressives de la Grande-Bretagne, de la Belgique, du Luxembourg, de la Hongrie... qui vont jusqu'à 40%" de subvention.

La Cour des comptes constatait aussi dans son rapport "une course au mieux-disant fiscal" en Europe, chaque pays y allant de son incitation particulière pour attirer les tournages. Mais "cette surenchère n'est pas soutenable sur le long terme. De surcroît, elle ne permettra jamais de compenser les écarts de coûts avec les pays où les charges sociales sont beaucoup plus faibles".

Les sages de la rue Cambon préconisaient donc plutôt de "se concerter avec la Belgique pour mettre un terme à la concurrence fiscale" entre les deux pays. Et parallèlement de baisser le niveau des subventions accordées par la France, pour revenir au niveau d'avant 2012. Manifestement, le ministère de la Culture a choisi la voie opposée... 

Coût des crédits d'impôts (en millions d'euros)

Crédit d'impôt pour les films français
2005: 30
2006: 40
2007: 50
2008: 60
2009: 60
2010: 51
2011: 57
2012: 58
2013: 54
2014: 51
2015: 62
2016: 70

Crédit d'impôt pour les films étrangers
2010: 4
2011: 8
2012: 9
2013: 20
2014: 18
2015: 15

Crédit d'impôt pour les oeuvres audiovisuelles françaises
2006: 40
2007: 40
2008: 60
2009: 60
2010: 49
2011: 50
2012: 51
2013: 56
2014: 57
2015: 61
2016: 60

Source: budget, Cour des comptes

Jours de tournage en France (en %)
2003: 65,1
2004: 76,8
2005: 72,5
2006: 78,5
2007: 73,4
2008: 75,3
2009: 75,4
2010: 71,6
2011: 72,7 
2012: 69,9
2013: 75,5
2014: 75,4 

Dépenses en France des films d'initiative française (en%)
2007: 88,4
2008: 85,3
2009: 84,6
2010: 82
2011: 87,3
2012: 82,5
2013: 76,6
2014: 76,9

Source: documents de performance du CNC

Jamal Henni