BFM Business
Services

Vivendi: l'histoire secrète de la cession des jeux vidéo

Un document révèle le détail des négociations qui ont duré presque un an

Un document révèle le détail des négociations qui ont duré presque un an - -

Retour sur les coulisses d'une des principales opérations de 2013: la vente pour 8,2 milliards de dollars des actions détenues par Vivendi dans le leader mondial des jeux vidéo, Activision Blizzard, l'éditeur de 'Call of duty' ou 'World of warcraft'.

Le détail jour par jour d'une négociation à 10 milliards de dollars est rarement connu. Mais, dans le cas de la vente d'Activision Blizzard par Vivendi, ce détail figure au fond d'un document déposé auprès du gendarme de la bourse américaine.

Ce document permet de rentrer dans les coulisses de la cession du premier éditeur mondial de jeux vidéo, finalisée le 11 octobre dernier.

On apprend ainsi que ces négociations ont été très longues: elles ont démarré près d'un an auparavant. On apprend aussi qu'elles ont failli capoter plusieurs fois, et se sont même arrêtées en juin 2013, faute d'accord.

Une vente impossible

Surtout, le document détaille les différents plans successivement envisagés par le groupe français. Ce dernier demande d'abord en juin 2012 aux dirigeants d'Activision Blizzard "d'explorer des alternatives, dont la vente d'Activision Blizzard, ou la vente de la participation de Vivendi", indique le texte.

Puis, "durant l'été 2012, Vivendi et Activision Blizzard ont tenu des discussions préliminaires avec plusieurs partenaires potentiels" -la presse avait évoqué à l'époque Microsoft, Time Warner et Tencent, le leader chinois des jeux vidéo. "Toutefois, ces discussions sont restées préliminaires, en raison d'un manque d'intérêt de la part de tiers".

Le plan B de Vivendi

Après cet échec, le groupe français abandonne l'idée de vendre l'éditeur de jeux vidéo. Le 16 décembre 2012, son président du directoire Jean-François Dubos déclare "ne pas avoir l'intention de céder des actifs dans les médias", et tresse même les louanges de l'éditeur de Call of duty.

Mais Vivendi a toujours besoin d'argent pour alléger sa lourde dette, et lorgne donc sur le trésor de guerre de sa filiale (4 milliards de dollars de trésorerie à fin 2012).

Début décembre 2012, le conglomérat français met donc un plan B sur la table: il informe le patron d'Activision Blizzard Bobby Kotick "que Vivendi projette de faire distribuer par Activision Blizzard un dividende exceptionnel de 3 milliards de dollars environ". Vivendi, qui détient 61% de l'éditeur de jeux vidéo, toucherait ainsi 1,8 milliard de dollars. Ce plan B sera régulièrement remis sur la table par Vivendi jusqu'à la fin.

Les fins de mois difficiles

Mais Bobby Kotick n'est guère enthousiasmé à l'idée que Vivendi lui fasse les poches pour régler ses fins de mois difficiles. Il pense aussi qu'avoir un actionnaire majoritaire "déprime le cours de bourse et limite les options stratégiques d'Activision Blizzard", indique le texte.

En janvier 2013, Bobby Kotick suggère donc au conglomérat français une autre solution: vendre son paquet d'actions. Vivendi lui répond "être prêt à étudier une offre avec une prime substantielle sur le cours de bourse". Le 29 janvier 2013, Bobby Kotick propose donc à Vivendi racheter ses 61% pour 9 milliards de dollars, soit une prime de 15% sur le cours de bourse ce jour-là.

S'ouvrent alors de laborieuses négociations sur le prix de vente. Début mai, Vivendi refuse ce prix, et exige au minimum 10,3 milliards de dollars. Puis chacun fait un pas. Fin mai, Activision Blizzard propose un prix "définitif" de 9,3 milliards de dollars, que Vivendi finit par accepter en juin. Entre temps, le cours de bourse a grimpé, et donc la transaction se fera finalement à un prix 10% inférieur à la valeur en bourse.

En outre, le conglomérat français fait un autre geste: il laisse à Activision Blizzard 245 millions de dollars d'économies d'impôt, résultant de pertes subies dans le passé aux Etats-Unis.

Montage complexe

Reste un gros problème à régler. Bobby Kotick est riche, mais pas au point de racheter à lui seul toutes les actions, ni même les 61% de Vivendi. Mais une solution complexe est trouvée pour surmonter ce problème.

D'abord, un montage est mis au point pour racheter uniquement les 61% détenus par Vivendi, et pas les 39% restants détenus par des petits porteurs. Ensuite, les deux tiers des actions de Vivendi sont rachetées par Activision Blizzard lui-même, qui supprime ensuite toutes ces actions. Ensuite, Vivendi accepte de garder pour l'instant 12% de son paquet d'actions, avec interdiction de les vendre avant 15 mois, afin de ne pas peser sur le cours.

Un nouvel ami chinois

Au final, il ne reste donc plus qu'à racheter un quart des actions de Vivendi, mais l'addition se monte quand même à 2,3 milliards de dollars, un morceau qui reste gros pour Bobby Kotick. Il ne peut mettre sur la table que 100 millions de dollars, avec son vieil acolyte Brian Kelly.

Il va donc chercher de l'argent ailleurs. JP Morgan et Bank of America acceptent de prêter 643 millions de dollars. Le reste de l'argent (1,7 milliards de dollars) est apporté par des fonds (à commencer par le fonds de pension américain Fidelity) et Tencent. Mais, visiblement, Bobby Kotick se méfie un peu de son nouvel ami chinois. En effet, l'accord conclu plafonne à 9,9% la participation au capital de Tencent -une disposition qui n'existe pas pour les autres actionnaires.

Paradis fiscal

Last but not least, Bobby Kotick a mis en place un montage qui lui assure le contrôle. En pratique, les actions Vivendi sont rachetées par ASAC II Limited Partnership, une société immatriculée dans le paradis fiscal des îles Caïmans. Bobby Kotick et Brian Kelly sont minoritaires au capital de cette société, mais la contrôlent, car ils en sont les associés en nom (general partner).

Une fois tous ces problèmes résolus, l'accord est annoncé le 26 juillet. Vivendi tient à cette occasion une conférence téléphonique avec les analystes financiers. L'un d'eux s'étonne de cette vente, alors que Vivendi affirme vouloir se recentrer sur les médias. Le directeur financier Philippe Capron lui répond: "certes, Activision Blizzard appartient clairement au monde des médias. Mais nous n'avions pas assez d'adhésion, de synergies avec le reste de Vivendi pour que cela ait du sens. Si vous regardez les grands groupes de média, notamment aux Etats-Unis, ils ne sont en général pas actifs dans les jeux vidéo..."

D'autres analystes tiquent sur le prix de vente jugé trop bas. Mais globalement, l'opération est bien accueillie, et le cours de Vivendi finit ce jour-là sur une hausse de +0,6%...

Le titre de l'encadré ici

|||L'actionnariat d'Activision Blizzard

Avant:
Vivendi: 61%
Flottant: 39%

Après:
Vivendi: 11,9%
Flottant: 63,4%
ASAC II LP, holding ayant pour actionnaires Fidelity, Tencent, Davis Advisors, Leonard Green & Partners LP et ASAC II LLC (société co-détenue par Bobby Kotick et Brian Kelly): 24,7%

Jamal Henni