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VoD: Canal Plus critique les propositions de Pierre Lescure

Patrick Bloche, Pierre Lescure, Francine Mariani-Ducray, Pascal Rogard et Rodolphe Belmer samedi 18 mai lors du festival de Cannes.

Patrick Bloche, Pierre Lescure, Francine Mariani-Ducray, Pascal Rogard et Rodolphe Belmer samedi 18 mai lors du festival de Cannes. - -

La chaîne cryptée n'est pas d'accord avec l’idée de proposer des films plus frais en vidéo-à-la-demande. Le président du groupe Bertrand Meheut s'exprimait lors d'une table ronde organisée à l’occasion du Festival de Cannes.

C’est l'une des principales idées du rapport de Pierre Lescure, et elle suscite déjà de puissantes oppositions. Il s’agit des propositions pour améliorer l'offre légale de films sur Internet. Pour cela, le rapport Lescure propose d'offrir des films plus frais dans les services de vidéo-à-la-demande (VoD). Précisément, il suggère que les films vendus à l'unité soient disponibles 4 mois après leur sortie en salles, au lieu de 6 actuellement. Il recommande aussi que les services de VoD illimités au forfait (SVoD) puisse offrir des films dix-huit mois après leur sortie, au lieu de trente-six mois.

Cette dernière proposition est vivement critiquée par Canal Plus, qui samedi 18 mai, s’est exprimé pour la première fois sur le rapport. "Cette proposition peut mettre en danger le financement à la fois de la télévision gratuite et payante", a pointé le président du groupe Bertrand Meheut à l’occasion du Festival de Cannes. "Sommes-nous demandeurs? Non. Est-ce que cela nous arrange? Non plus", a ajouté le directeur général Rodolphe Belmer, qui a expliqué pourquoi cette idée nuit à la chaine cryptée.

En effet, actuellement, un film est diffusé sur Canal dix mois après sa sortie en salles, et ensuite n'est visible sur aucun autre support durant douze mois supplémentaires. Mais, si le film était disponible en SVoD au bout de dix-huit mois comme le propose Pierre Lescure, alors la fenêtre d'exclusivité dont bénéficie Canal se réduirait de douze à huit mois seulement. "Canal a besoin d'une fenêtre de douze mois. On ne sait pas vivre sans. Réduire cette fenêtre, c'est réduire notre promesse au consommateur, et donc notre prix qui permet a beaucoup de monde de vivre dans cette industrie. Une fenêtre trop compacte, cela veut dire plus de fenêtre du tout, et donc la confusion dans l'esprit du spectateur", a expliqué le numéro 2 de la chaîne lors d’un colloque organisé par la SACD.

Assis à ses côtés, Pierre Lescure a tenté de défendre son idée: "notre proposition sur la SVoD est assez spectaculaire. Mais ce n’est qu’une proposition, faite pour provoquer le débat. Le gouvernement n’a pas encore fait son marché. Mais on ne peut plus ignorer un marché porteur. Il faut évoluer. C’est la meilleure manière de prépare l’arrivée des services étrangers à venir [de type Netflix]. Les délais actuels de la SVoD ne sont pas logiques: il est un peu bizarre qu’un film soit proposé en SVoD après avoir été diffusé sur des chaînes gratuites."

"Non aux expérimentations"

Mais ce n'est pas tout. Le rapport Lescure propose aussi d’assouplir tous les délais de disponibilité des films sur les différents supports -la "chronologie des médias", dans le jargon du secteur. Précisément, le rapport propose de créer une commission qui accorderait au cas par cas des délais plus court que ceux actuellement fixés par les textes, typiquement pour les films ayant eu peu de succès en salles.

Là encore, Canal Plus est vent debout. Rodolphe Belmer a plaidé pour une chronologie "assez rigide. Nous sommes contre les expérimentations. Si il y a plusieurs chronologies des medias, alors il n'y a plus de chronologie. Alors on détricote l'ensemble, et on aboutit à des conséquences industrielles non souhaitées: un marché français structuré autour de gros acteurs dans la production et la diffusion, comme aux Etats-Unis."

Last but not least, Rodolphe Belmer a aussi dit être opposé à l'introduction d'une chronologie des médias pour les séries télévisées, comme le propose son prédécesseur à la tête de Canal.

Pas d'évolution sans consensus

Au demeurant, l'opposition de Canal Plus n'est pas surprenante. En effet, la chaine cryptée n'a aucun intérêt à voir se développer des services de SVoD qui pourraient être de redoutables concurrents. En octobre, Rodolphe Belmer s'était déjà opposé à de telles évolutions. 

Mais le problème est qu'un consensus de toute la filière est nécessaire avant toute évolution. En effet, la chronologie des médias est fixée par un accord interprofessionnel. Et Pierre Lescure comme Aurélie Filippetti ont tous deux déclaré vouloir mettre en oeuvre le rapport Lescure via une concertation de tout le secteur...

Bref, le status quo sur la chronologie des medias, qui dure depuis 2009, pourrait donc fort bien se maintenir. Certes, pour débloquer la situation, le gouvernement peut toujours recourir à la loi -c'est ce qui avait été fait en 2009. Interrogée le 13 mai sur sa volonté d'employer cette "arme fatale", la ministre de la Culture a botté en touche: "pour l'instant, il n'a pas du tout de blocage..."

De notre envoyé spécial à Cannes et Jamal Henni