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Voici la banquière qui a créé "les armes financières de destruction massive”

Blythe Masters en 2015

Blythe Masters en 2015 - Capture d'écran Youtube

"Blythe Masters est une cadre de JPMorgan qui a inventé les credit default swap, un produit financier que Warren Buffet lui-même décrivait comme une "arme financière de destruction massive". Relativement méconnue en France, cette Britannique a été une ponte de Wall Street"

C'est l'histoire d'une jeune et (très) intelligente Anglaise, qui en quelques années va devenir la plus puissante femme de Wall Street. Blythe Masters, aujourd'hui âgée de 46 ans, a marqué la Finance.

Pas tant pour ses résultats que pour sa passion pour les "dérivés de crédit", ces produits financiers à base de prêts que Warren Buffett décrira en 2002 comme "des armes financières de destructions massives".

Comme le raconte le New York Times, tout a commencé en 1987. Blythe Masters est en stage à Londres chez JPMorgan alors qu'elle a tout juste 18 ans. Cette jeune britannique se confronte alors au monde très cartésien de la Finance et des dérivés de crédit pour lequel elle va montrer un intérêt tout particulier.

Clairement surdouée, la cavalière à ses heures perdues entame un cursus d'Économie à Cambridge à l'issue duquel elle rentre chez JPMorgan à l'âge de 22 ans, non sans être de nouveau revenue effectuer quelques stages.

Active même à l'hôpital

Alors que certains de ses collègues la voit quitter la banque après sa grossesse, lorsqu'elle a 23 ans, elle revient plus déterminée que jamais. La légende voudrait, si l'on en croit le Guardian, qu'elle aurait même emmené son ordinateur pour consulter les cours des dérivés de matières premières peu avant son accouchement "pour passer le temps", précise le journal britannique.

Il n'en reste pas moins que, selon le livre Fool's Gold écrit par la journaliste Gillian Tett, la Britannique ronge son frein. Elle attend une opportunité pour développer son expertise sur les dérivés de crédit. L'occasion va se présenter en 1994, alors qu'elle fait partie d'une équipe de JPMorgan travaillant sur les "swaps", ces instruments financiers qui permettent d'échanger deux devises, ou des intérêts fixes contre des intérêts variables.

La chance de Blythe Masters s'appelle Exxon. L'entreprise pétrolière cherche alors à obtenir une ligne de crédit de cinq milliards de dollars pour couvrir les éventuels dommages liés à la marée noire de son pétrolier l'Exxon Valdez, échoué en Alaska en 1989, explique le New Yorker dans un article de 2009. Du côté de JPMorgan, on grince des dents. Exxon est un très bon client mais vu les risques, la banque serait obligée de mettre beaucoup de capital de côté pour couvrir des possibles pertes, comme la régulation l'impose.

Naissance des CDS

C'est alors que Blythe Masters a une idée: si on peut se défausser de taux d'intérêts et de devises via la magie de la Finance, pourquoi ne pas faire de même avec le risque de défaut? Ses équipes et elle mettent ainsi au point un montage astucieux. JPMorgan va bien octroyer le crédit à Exxon. Mais le risque de défaut sur ce prêt va être supporté non pas par le groupe américain mais la Banque européenne de reconstruction et développement (BERD). Moyennant une commission, versée par JPMorgan, la BERD prend donc à son compte ce risque, et en sera pour ses frais si Exxon ne tient pas ses engagements.

Avec ce montage, JPMorgan gardait son client, et sortait la ligne de crédit de son bilan. Le "Credit Default Swaps", un nouveau dérivé de crédit, était né. 

Une carrière qui accélère

Fort de ce coup, la carrière de Blythe Masters va bénéficier d'un coup d'accélérateur. À 28 ans ans, en 1997, elle obtient le grade "de managing director". Elle est d'ailleurs la plus jeune femme de la banque à avoir jamais atteint cet échelon hiérarchique. Quasiment à chaque année elle monte d'un cran dans la hiérarchie, jusqu'à devenir directrice financière de la banque d'investissement de JPMorgan en 2004.

Le patron de la banque, Jamie Dimon, un amoureux des chiffres (comme elle) la rencontre alors régulièrement. Convaincu par son potentiel, il la nomme fin 2006 à la tête de la division matières premières du groupe. Elle devient alors "le visage de JPMorgan" à Washington devant les régulateurs, raconte le Wall Street Journal

Des lettres d'insulte

Blythe Masters va pourtant essuyer des coups durs. Tout d'abord en 2008 alors que la crise financière bat son plein avec la chute de Lehman Brothers. La banque était leader sur le marché des CDS qui, sans être directement la cause de la faillite de l'établissement tristement célèbre, sont accusés d'avoir joué un rôle de catalyseur dans la crise, en permettant aux investisseurs de spéculer sur la faillite de banques et d'assureurs.

Dans un article du 29 septembre 2008, le Guardian reprend à son compte l'expression de Warren Buffett et parle de Blythe Masters comme de la femme qui "a construit les armes financières de destruction massive" et la qualifie même "de destructrices des mondes". Jusque-là peu connue du grand public, Blythe Masters apparaît ainsi au grand jour.

Mais elle se serait volontiers passée de cette publicité peu avantageuse. Selon Fool's Gold, la banquière a commencé à recevoir des mails d'insulte et plusieurs bloggeurs se déchaînent contre elle.

Blythe Masters tente de faire bonne figure. Fin 2008, non sans une certaine ironie elle s'auto désigne à son tour comme la "femme qui a construit les armes financières de destruction massives". Elle reconnaît alors que les dérivés de crédit ont pu augmenter les risques de crise mais appelle toutefois à "faire la distinction entre les êtres humains et leurs outils". 

Des CDS au bitcoin

Qu'importe Masters va mettre les bouchées doubles pour que JPMorgan devienne le leader des matières premières. Son nom va toutefois revenir dans une affaire de manipulation des prix de l'énergie, dont elle sortira néanmoins indemne. Elle quittera toutefois la banque en 2014, après que JPMorgan a vendu l'essentiel de ses activités de négoces de matière premières.

Aujourd'hui Blythe Masters est à la tête d'une start-up, Digital Assets Holdings, une entreprise qui a notamment misé sur le blockchain, la technologie au cœur du bitcoin, qui attise les convoitises des banques. Cette jeune pousse a notamment bouclé en janvier une levée de fonds de 50 millions de dollars à laquelle ont participé BNP Paribas, ABN Amro, Santander et…JPMorgan, preuve de la force du réseau de Blythe Masters.