BFM Business
Guillaume Almeras

 Banques de détail : quel marché demain ?

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Parmi les premières, la banque irlandaise Ulster Bank s’est empressée de permettre à ses clients d’accéder à leurs comptes en utilisant la fonction de reconnaissance faciale de l’iPhone X. Anecdotique ? Pas tout à fait.

Un grand établissement s’est ainsi empressé de rendre disponible et a mis largement en avant une innovation qui ne concerne qu’une fraction (les possesseurs d’un iPhone X) de sa clientèle. Or, d’habitude, les choses ne se passent pas ainsi ! La banque de détail est un service de masse et ce qui y décide des offres nouvelles et des investissements qu’elles exigent repose normalement d’abord sur leur capacité à concerner une grande majorité de clients. Or c’est de moins en moins le cas. Et l’exemple d’Ulster Bank n’est à cet égard qu’un parmi d’autres. A travers l’utilisation des nouvelles technologies, les offres bancaires sont de plus en plus tournées vers des clientèles ciblées. Vers les clientèles jugées les plus intéressantes et non forcément les plus importantes numériquement. Cela invite, inévitablement, à se demander quel sera exactement, demain, le marché des banques de détail ?

Concernant l’évolution de ces dernières, un consensus s’est installé qu’exprime très bien un intéressant document publié par le World Economic Forum l’été dernier (The New Physics of Financial Services https://www.weforum.org/reports/the-new-physics-of-financial-services-how-artificial-intelligence-is-transforming-the-financial-ecosystem). Il y est expliqué que le développement de l’automatisation des traitements et le recours à l’intelligence artificielle vont tout à la fois favoriser le gigantisme (l’IA n’est véritablement performante qu’à traiter des volumes massifs de données) et des offres davantage pertinentes (car davantage personnalisées). Cela devrait donc aboutir, tout à la fois, à une hyper-concentration des plus grandes banques, ainsi qu’à la multiplication de solutions agiles de niches, portées notamment par de nouveaux acteurs.

Toutefois, bien que communément partagée actuellement, cette vision parait un peu courte. C’est qu’il manque des éléments d’analyse de marché pour la compléter. On oublie en effet trop souvent que la banque n’est devenue véritablement une industrie de masse qu’à la faveur des Trente Glorieuse. Et que ce mouvement a été porté par la formation des classes moyennes dans les pays occidentaux, autant qu’il y a contribué.

Or ces pays voient aujourd’hui les inégalités de revenu se creuser en leur sein et la plupart d’entre eux enregistrent des taux de croissance trop faibles pour permettre des gains de pouvoir d’achat significatifs à l’échelle de l’ensemble de leurs populations. Ce sont là deux facteurs qui conditionnent un fractionnement des classes moyennes. Par ailleurs, depuis dix ans des taux d’intérêt très bas ont rendu la collecte de dépôts à large échelle moins intéressante. En même temps qu’ils entretiennent des prix immobiliers élevés, limitant l’accès à une première acquisition, donc au crédit. Dans ces conditions, aussi difficile soit-elle, une question ne peut manquer d’être posée : la rentabilité actuelle et future de la plupart de leurs clients peut-elle justifier les importants investissements que les banques doivent aujourd’hui réaliser ?

Si l’on regarde bien, les principales stratégies bancaires apparues ces cinq dernières années sont autant de réponses à cette question décisive. En Asie, comme en Afrique, de nouveaux services financiers de base et de masse se développent rapidement mais portés par le couplage avec d’autres services (e-commerce, téléphonie, …). Face à eux, pour rester dans la course, les plus grandes banques devront engager des restructurations drastiques en termes d’organisation et de coûts. Elles devront également sans doute diversifier leurs offres. Nous avons voulu le montrer, dans un précédent article, avec la Sberbank.

De sorte, qu’une autre stratégie est apparue, que défend aujourd’hui notamment HSBC : si les banques doivent continuer à viser prioritairement la classe moyenne, l’approche doit se hisser à un niveau résolument mondial car cette classe moyenne est désormais internationale et sera pour 66% en Asie en 2030. Toutefois, les stratégies d’internationalisation – telles qu’ardemment menées par des établissements comme Santander ou BBVA ces deux dernières décennies – ne sont pas sans risques. Le cas de la Turquie l’a récemment rappelé.

On mesure encore très mal les conséquences de ces phénomènes et la portée de telles stratégies, dont les scénarios d’évolution sont à ce stade très ouverts. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où il illustre à sa façon une tendance de fond, l’exemple d’Ulster Bank avec l’iPhone X n’est pas si anecdotique qu’il parait.

Guillaume ALMERAS