BFM Business
Guillaume Almeras

Banques : des limites à ne pas franchir dans la relation client ?

-

- - -

Selon une étude d'ING, les clients s’acclimatent à la banque digitale sans rejet mais sans empressement non plus.

Dans L’art de la guerre de Sun Tzu, on lit que le meilleur général est celui qui n’a jamais eu à livrer une seule bataille ! Faudrait-il également dire que la meilleure banque est celle dont ses clients n’entendent jamais parler ? Ces deux formules semblent paradoxales. Aussi faut-il préciser que celle de Sun Tzu prend tout son sens dans le contexte – celui de guerres incessantes – où elle a été écrite. Aussi bien, alors que de nombreuses innovations modifient actuellement la relation client dans la banque de détail, il faut se demander si les banques et les fintech, ne doivent pas éviter d’en faire un peu trop ! Et même si, vis-à-vis de leurs clients, certaines limites ne doivent pas être respectées. C’est en tout cas ce qu’invite à considérer une étude qu’ING vient de publier.

Appuyée sur un sondage Ipsos mené en février dernier dans quinze pays d’Europe, ainsi qu’en Australie, aux Etats-Unis et en Turquie, cette nouvelle édition de l’étude New Technologies d’ING constate que les impacts de la banque digitale demeurent assez limités. Même chez ceux qui l’utilisent. Lesquels sont 63% à reconnaître que, s’ils consultent ainsi plus souvent leurs comptes, leur comportement néanmoins n’a pas changé en termes de prise de risque, de décisions ou d’objectifs financiers. L’Open Banking ? La DSP2 ? Dans 13 pays sur 15, les clients ne sont, majoritairement, pas au courant (les deux pays où ce n’est pas le cas sont la Turquie et la Roumanie). Leur propre banque est-elle à la pointe en matière de nouveaux services digitaux offerts ? A plus de 45%, les répondants ne savent pas ou bien s’en moquent en France, en Allemagne, en Australie, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

La lente adoption des services financiers digitaux n’est pas un secret. En 2019, pour ne prendre qu’un seul exemple, le taux de pénétration du paiement par mobile ne devrait pas dépasser 3% en France (et 6,6% au Royaume-Uni, contre 32,5% en Chine). ING souligne toutefois que ce genre de situation est assez fréquent face aux nouvelles technologies. Leur adoption est d’abord lente, du fait du poids des habitudes. Puis, une fois franchi un point de bascule, les comportements changent rapidement. Toutefois, la phase d’adoption lente peut être longue. D’autant – c’est tout l’intérêt de l’étude de le suggérer - qu’elle s’explique sans doute par d’autres raisons que le seul poids des habitudes.

Les banques considèrent que les grands bouleversements digitaux ne peuvent manquer de concerner les services financiers. Ainsi a-t-on estimé (beaucoup de banques en sont néanmoins aujourd’hui revenues) que les réseaux sociaux allaient être des canaux déterminants. A ce stade, cependant, moins d’un quart des sondés les utilisent dans le cadre de leurs relations avec leur banque principale. On s’est également convaincu que le mobile était promis à devenir le canal principal d’accès aux services bancaires. Or, si les sondés l’utilisent – majoritairement - ils affirment néanmoins avoir peu de préférence pour un canal plutôt qu’un autre.

Dans les deux cas, ayant eu tendance à oublier que gérer ses finances se fait à un autre rythme et sous d’autres conditions que réaliser des achats ou communiquer avec son réseau d’amis, les banques en ont peut-être trop fait ! Selon les résultats – sur ce point très surprenants - de l’étude, les clients sont en moyenne un tiers à juger que leur banque va trop loin ou vise trop haut (« is over-ambitious ») en matière de services digitaux (27% en France, un des taux les plus bas ; 62% en Turquie, le taux le plus élevé). Réciproquement, ils ne sont que 22% en moyenne à estimer que leur banque ne va pas assez vite (23% en France).

Que les banques puissent être jugées aller trop loin par un nombre significatif de leurs clients, c’est une donnée assez inattendue !

Autant dire que les banques n’ont pas à répondre à des attentes pressantes. Les clients s’acclimatent à la banque digitale sans rejet mais sans empressement non plus. A ce stade, ils ne sont que 13% à avoir eu recours, avec leur banque principale, à des interrogations vocales et 29% à des chatbots. Ils sont 44% à avoir contacté directement leur établissement via son appli. Mais ils sont 64% à lui téléphoner. Et 70% se rendent toujours en agence.

Par ailleurs, les sondés se déclarent nettement réfractaires à un certain nombre de choses dont la communication de leurs données personnelles à des tiers ainsi que – c’est également une surprise - les solutions de gestion automatisées.

Pourraient-ils consentir à ce que leurs données personnelles soient communiquées à des tiers ? La réponse est majoritairement non dans 8 pays sur 15 (56% en France et 63% aux Pays-Bas, contre 27% en Allemagne et en Autriche). Laisseraient-ils un robo-advisor investir à leur place ? Moins de 20% des sondés y sont prêts dans les quinze pays, sauf aux Etats-Unis (22%) et en Turquie (30%). Recevoir une assistance à la gestion de leurs comptes, à partir d’une analyse de leurs dépenses ? 43% des Français et des Australiens ne le souhaitent pas (et de plus 26%, en France, ne se prononcent pas).

Désormais, les banques insistent beaucoup sur les conseils et l’assistance qu’elles peuvent apporter à leurs clients. Lesquels veulent effectivement des recommandations mais non que celles-ci débouchent sur une quasi gestion automatisée. Dans leur majorité, les sondés affirment vouloir rester maitres de la gestion de leurs comptes. Il y a manifestement dans leur rapport à l’argent quelque chose qui relève de l’intimité. Une responsabilité personnelle que beaucoup n’entendent pas partager ou déléguer, même avec leur banquier. Marquant comme une dépossession, la transmission de données à des tiers et l’automatisation de décisions de placement, de dépenses ou d’épargne heurtent des limites qui ne seront sans doute pas facilement franchies.

Mais doivent-elles l’être ? A des clients revendiquant leur autonomie, on peut proposer de multiples choix de gestion et des éclairages et conseils variés. Pourtant, en matière digitale, les banques s’efforcent plutôt de simplifier leurs process. Par commodité et souci de rentabilité mais en pouvant donner l’impression de forcer les comportements. Elles veulent séduire en proposant, à travers différentes fonctions d’assistance automatisées, de décharger leurs clients du souci d’avoir à gérer leurs finances. Mauvaise pioche ! Ces fonctions ne sont pas vraiment attendues. Sans doute a-t-on tendance à considérer qu’innovante et annonçant un monde nouveau, l’automatisation fait moderne. Mais elle semble plutôt anxiogène pour un certain nombre de gens et parait en tous cas ne faire rêver personne.

Guillaume ALMERAS