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Guillaume Almeras

Banques : Marre des grandes messes de l’innovation ?

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Le 15 mai, LCL invitait 140 startups à présenter devant 1 500 clients, collaborateurs et investisseurs, des solutions qui faciliteront la vie dans la ville de demain et qui pourraient particulièrement être distribuées par les banques.

Cela fait maintenant plus de vingt ans que, régulièrement, à travers le monde, de grands salons de l’innovation tentent de nous convaincre que nous vivons dans une urgence créatrice permanente. Plus de vingt ans qu’on nous explique que, certes, l’industrie française se réduit comme peau de chagrin, tandis qu’on se félicite quand la croissance fait des petits bonds arthritiques, mais que des jeunes gens formidables, plein de dynamisme et d’audace, vont nous faire basculer dans une nouvelle économie florissante. Autant de propos quasi unanimes qui relèvent désormais du discours de sous-préfecture.

Il parait donc assez salutaire, alors que VivaTech vient de s’achever, d’apporter quelques dissonances et nous nous proposons de le faire. Non pas seulement pour jouer les grincheux mais pour nous demander si cette célébration permanente et béate de l’innovation ne risque pas d’être finalement contre-productive. En nous penchant particulièrement sur un cas d’innovation bancaire.

Mercredi dernier, LCL invitait 140 startups à présenter devant 1 500 clients, collaborateurs et investisseurs, des solutions qui faciliteront la vie dans la ville de demain et qui pourraient particulièrement être distribuées par les banques. Plus précisément, ces solutions devaient être corrélées à 4 grands moments de vie : je suis étudiant, j’entre dans la vie active, j’acquiers un bien immobilier et je prépare ma retraite.

Bien entendu, 140 startups, cela peut paraitre beaucoup mais une première sélection a pourtant été faite car les candidats ayant répondu à l’appel étaient bien plus nombreux. Cela illustre d’ailleurs une chose que le fameux schéma de destruction créatrice schumpetérien n’avait guère prévue : que les prétendants aux innovations de rupture soient foule ! (un schéma schumpetérien dont il serait au passage intéressant de se rendre compte qu’il est aujourd’hui largement dépassé ; d’autant plus qu’on le réduit souvent à un affrontement jeunes contre vieux, anciens contre modernes). C’est un état de fait devenu incontournable : les startups sont pléthore ! Mais LCL l’a tout à fait assumé, visant surtout à créer « un bouillonnement ».

Toutefois, à l’issue de la journée – chaque startup disposant de 3 mn pour se présenter – une vingtaine de jeunes pousses ont été sélectionnées. A chacune, LCL pourra proposer un partenariat, donnant accès à ses 6 millions de clients. Une aubaine !

La vingtaine de solutions ainsi retenues proposent notamment au grand public un accompagnement à la recherche de colocations, de locations étudiantes ou d’un logement neuf. Ou encore une assistance à la confection d’un CV ou à la préparation de sa retraite. Il y a également des outils de gestion domotique (économies d’énergie domestique, par exemple). Autant de solutions hyperspécialisées, qui peuvent effectivement être proposées en complément d’offres bancaires, bien que les conditions de leur mise sur un marché de masse restent tout à fait en question.

Cependant en quoi s’agit-il d’innovations !? Tout ceci ressemble davantage à une sorte de concours Lépine 3.0. Nous sommes ici dans le registre des trouvailles ingénieuses ou des simples astuces, qui s’attachent à répondre à des attentes ponctuelles ou à faciliter des usages particuliers. Mais une innovation, ce n’est pas seulement une invention. C’est une invention qui trouve, qui se donne les moyens de créer son propre marché et marque ainsi une rupture décisive avec les pratiques précédentes, bien plutôt qu’elle ne les complète. Les premiers réseaux sociaux étaient des innovations. Mais créer aujourd’hui un réseau social pour les passionnés de mystagogie est (peut-être) une trouvaille. Or, dans le cas présent, LCL semble avoir simplement recherché des suppléments d’offres, donnant finalement l’impression que les vraies problématiques d’innovation ont été en l’occurrence plutôt contournées.

Les innovations, en effet, ne s’achètent ni sur catalogue, ni ne se détectent à travers un concours de beauté. C’est même sans doute exactement le contraire car, à travers une présentation de 3 mn, il semble peu probable que parvienne à convaincre un nouvel acteur vraiment original, ambitieux et secouant les idées communes – lesquelles désormais attendent des innovations comme en prêt-à-porter. Parce que les conditions de sa réussite ne sont pas encore réunies ou même créées, une vraie innovation parait souvent d’abord incertaine ou confuse. On a du mal à saisir où elle peut mener ou simplement comment elle peut tout simplement marcher. De sorte que les concours de créativité, bien qu’ils se soient généralisés, ont quelque chose d’assez absurde.

Ensuite, alors que savoir ce que vont devenir les services financiers dans les villes connectées de demain est un vrai grand thème d’innovation actuel pour les banques, il semble n’avoir pas été plus qu’évoqué. Que vont devenir les agences bancaires dans la Smart City ? Et les automates ? Comment les parcours clients seront-ils modifiés ? Quels financements et assurances vont devoir être conçus pour l’économie du partage ? Quels nouveaux opérateurs urbains seront d’incontournables partenaires ou compétiteurs des banques ? Celles-ci peuvent-elles jouer un rôle déterminant dans l’évolution actuelle des villes ? Travaillant particulièrement sur ces problématiques, nous sommes bien placés pour savoir que si quelques établissements se sont emparés du sujet, d’autres se demandent encore en quoi il les concerne !

Et LCL ? Nous n’en savons rien mais nous espérons que, sur ce thème, il a un peu plus dans ses cartons que ce que ce Startup Day a pu lui apporter. Car c’est finalement toute la difficulté trompeuse de ces grandes messes : faire croire, sincèrement, qu’on innove ou qu’on est au moins sur la bonne voie pour le faire !

Pour autant, il n’est pas question pour nous, à travers ces remarques, de laisser croire que les banques sont incapables d’innover. Car les choses, de fait, sont en train de beaucoup changer et certains établissements commencent à montrer à cet égard une surprenante maturité. Nous en présenterons un exemple la semaine prochaine. Un exemple patent mais qu’il nous a fallu dénicher.

Guillaume ALMERAS