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Guillaume Almeras

Banques : Pourquoi les stress tests paraissent-ils insuffisants ?

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Depuis leur récente publication, les résultats des stress tests 2018 pilotés par l’Autorité bancaire européenne (EBA), soulèvent des critiques. Y compris, ce qui est nouveau, de la part des autorités bancaires européennes elles-mêmes.

Au début du mois, ont été publiés les résultats des tests de résistance auxquels 48 banques européennes (dont 33 de la zone euro), portant 70% des engagements bancaires sur le continent, ont dû soumettre leurs bilans à fin 2017. Selon l’EBA, a ainsi été mesurée la résistance des principales banques européennes à des scénarios de stress économique sévère : une chute de 2,7 % du PIB européen entre 2018 et 2020, accompagnée d’une montée du taux de chômage de 3,3%, de risques économiques liés au Brexit ou encore d’une chute des prix de l’immobilier (l’exercice intègre de plus l’impact de la nouvelle norme comptable IFRS 9).

Le verdict ? En gros, tout va bien ! Même soumises à de tels éléments de stress, les 48 banques affichent toutes un ratio de fonds propres durs sur engagements supérieur à celui de 5,5%, requis a minima. Rien d’alarmant donc. Toutefois, la Banque centrale européenne, dans le cadre du processus de revue et d’évaluation SREP, va par prudence demander à un certain nombre des établissements du panel de renforcer leurs fonds propres, pour viser, sous les mêmes conditions, un ratio de 9%. Parmi les Françaises, BNP Paribas et Société Générale sont concernées.

De manière générale, la presse a repris ces éléments de langage et certains commentateurs ont pointé les différences de capitalisation qui apparaissent, notamment, en faveur des banques françaises, comparées à leurs homologues britanniques et allemandes.

Pourtant, comme pour les trois précédentes éditions de ces tests de résistance, les réserves et critiques ne manquent pas non plus. Et, le moins qu’on puisse dire, est que la démarche appelle en effet un certain nombre de remarques :

- Les hypothèses les plus « sévères » (une chute de 28% de l’immobilier résidentiel, par exemple) peuvent paraître en fait assez confortables par rapport aux situations qui ont pu être réellement rencontrées ces dernières décennies.

- Traduire des données macroéconomiques, comme une baisse du PIB, en impacts précis sur le compte de résultats des banques (notamment en termes de risques) représente un exercice très périlleux dont on aimerait mieux savoir sur quels éléments il se fonde.

- La disponibilité réelle des fonds propres durs considérés n’est pas prise en compte, ce qui peut pourtant paraître le plus essentiel. L’exercice s’attache plutôt à évaluer comment des revers économiques sont à même d’affecter les résultats des établissements et leur contribution au renforcement de leurs fonds propres.

Au total, on peut se demander pourquoi, au lieu de stresser directement certains indicateurs clés (risques, coûts de refinancement, …) l’EBA a élaboré une démarche complexe, dont les résultats sont très difficiles à décrypter dans le détail. Mais, surtout, on ne peut manquer de se demander pourquoi les Autorités réglementaires s’en tiennent à considérer prioritairement et presque exclusivement les fonds propres des banques et le ratio de solvabilité qui les rapporte à leurs engagements. Quiconque connait un peu les réalités bancaires sait pourtant, en effet, qu’un tel ratio ne garantit en rien qu’une banque ne fera pas défaut mais peut seulement lui permettre de surmonter – comment ? jusqu’où ? c’est justement ce que les tests de résistance n’indiquent pas clairement – un épisode difficile qui pourrait la mettre en défaut.

Une banque qui fait faillite, c’est une banque qui ne peut pas se refinancer, ou qui ne peut le faire à des conditions qui ne grèvent pas complètement sa rentabilité (Dexia). C’est une banque qui affronte une défiance générale des prêteurs (Lehman) ou la fuite de ses déposants (les banques islandaises en 2008, par exemple). Ceci, parce que l’incertitude est trop forte quant aux risques réels qu’elle porte (cas de plusieurs banques espagnoles après la crise) ou quant à sa capacité à générer des résultats suffisants pour combler les défaillances qu’elle enregistre sur ses crédits (Monte Paschi). Pourquoi les tests de résistance de l’EBA, cependant, n’en tiennent-ils pratiquement aucun compte ?

A l’origine, la surveillance réglementaire des fonds propres des banques, mise en place au XIX° siècle, poursuivait plusieurs buts sous un même objectif : limiter la croissance en taille des banques, pour éviter les faillites d’ampleur, les distorsions de concurrence et obliger les banques à conserver suffisamment de réserves pour faire face, jusqu’à un certain niveau, à des retraits précipités de leurs déposants. Ensuite, au XX° siècle, cette surveillance a davantage été utilisée comme un instrument d’encadrement du crédit. Ce qu’elle est d’ailleurs demeurée, quoique de manière indirecte et non désirée de nos jours, empêchant les banques de pleinement jouer un rôle contra-cyclique (ce qu’il a fallu compenser par une baisse des taux, jusqu’à rendre ceux-ci négatifs), dès lors que le ratio de solvabilité, dépendant lui-même d’engagements évalués par classes de risque, fonde encore pour l’essentiel la réglementation prudentielle bancaire.

Dans ces conditions, la réglementation peut paraître aujourd’hui insuffisante ou, plus exactement, en partie inadaptée. Toutefois, tout élargissement pour prendre davantage en compte la fragilité réelle des banques, obligerait à qualifier leur management et en premier lieu les moyens dont disposent les équipes dirigeantes des plus grands établissements pour piloter et maîtriser la diversité et de la complexité de leurs activités.

On en est loin et il n’est pas la peine, pour en rendre compte, de soupçonner quelques manœuvres du lobby des banques. Il n’existe tout simplement pas de modèle suffisamment étoffé et crédible pour conduire un contrôle aussi délicat. Il serait peut-être bien d’y songer néanmoins car, à défaut, l’EBA donne assez l’impression d’un garagiste qui, devant faire passer le contrôle technique, annoncerait qu’il a choisi de regarder les amortisseurs mais pas les freins, tout en expliquant à ses clients, pour les rassurer, que même si les freins lâchent, après tout, cela n’empêchera pas la voiture de rouler.

Guillaume ALMERAS