BFM Business
Guillaume Almeras

Beaucoup de fintechs mais combien d’entrepreneurs ?

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Une multitude de fintechs se ressemblent aujourd'hui et cultivent pour beaucoup d’entre elles une mono-idée aux perspectives de déploiement étriquées.

On a désormais tendance à l’oublier : entreprendre n’a rien de simple ni de facile ! Le dire peut paraître évident. Pourtant, tout un discours s’est développé qui prône une sorte d’innovation permanente et générale. A chacun d’être un entrepreneur/intrapreneur créatif et disruptif dans la « startup nation ». En réaction, un jeune entrepreneur, Charles-Henri Gougerot-Duvoisin, a récemment publié un article remarqué : « Entreprenez ! Mon cul. » Complainte d’un startuper désenchanté ? Non, paroles d’entrepreneur. Dans le monde de l’innovation financière, c’est finalement assez rare et cela nous a donné envie d’en savoir un peu plus.

Charles-Henri Gougerot-Duvoisin ne mâche pas vraiment ses mots : « Les plus fervents défenseurs de l’innovation et de l’entrepreneuriat sont maintenant ceux qui le sont le moins, et là réside le danger. Il est aisé de tenir de grands discours pour motiver les troupes à aller au charbon lorsque l’on est confortablement assis sur une montagne de billets. Là, je parle des grands groupes, qui multiplient les initiatives et autres joyeusetés (concours, trophées, hackatons, et j’en passe). Je ne vais pas y aller par quatre chemins : je vois plus cela comme du fond de teint pour cacher les rides de structures vieillissantes et qui peinent à rester dans la course à l’innovation qu’une réelle envie de faire bouger les choses et d’insuffler un renouveau économique. »

Il faut reconnaître que, calés sur quelques modèles, les discours sur l’innovation et l’entreprenariat se sont très vite stéréotypés et normés. Les processus de sélection et d’appels aux financements, aussi bien, ont rapidement pris des allures scolaires (passage devant un jury, concours, prix). Pour aboutir à des présentations ne dépassant pas quelques minutes. Seulement, devant des sélectionneurs pressés et peu intéressés (ou se fiant jusqu’à l’aveuglement à leurs capacités d’expertise et de jugement), qui attendent de dénicher le prochain PayPal en deux minutes, l’emporte un marketing d’images à la mode, de profils bien comme il faut et de business plan préformatés. Avec pour résultat une multitude de fintechs se ressemblant un peu toutes et cultivant pour beaucoup d’entre elles une mono-idée aux perspectives de déploiement étriquées. Avec le seul espoir d’un rapide rachat par une banque.

Aussi, à tous les discours lénifiants et envahissant sur l’innovation, Charles-Henri Gougerot-Duvoisin oppose-t-il les servitudes, les périls et surtout, surtout, le bonheur d’entreprendre ! Un bonheur sans lequel rien ne peut vraiment être entrepris mais qui n’est pas fait – contrairement à ce que les discours peuvent laisser croire – pour tout le monde.

Notre jeune entrepreneur est le co-fondateur d’Obvy, qui propose un moyen de paiement sécurisé entre particuliers pour toutes leurs transactions sur les sites de petites annonces ou les réseaux sociaux. En fait, l’idée va beaucoup plus loin : il s’agit de généraliser l’usage de comptes séquestres, lesquels peuvent servir à prévoir, partager et régler des dépenses dans une multitude de circonstances. « Alors que les Paytechs se concentrent sur le paiement lui-même, nous nous intéressons plutôt aux services que l’on peut bâtir autour. A terme, nous pourrions être une véritable Caisse des dépôts digitale, ouverte à tous les publics et à toutes les activités. »

Mais nous en sommes encore loin. Le concept en est à ses débuts. Dans quelques pays, des Escrow Accounts commencent à être utilisés pour proposer aux clients de nouveaux services de paiement et de règlement de charges et factures automatisés, délégués ou encore partagés. ABN Amro tente même de développer cette fonctionnalité sur une blockchain. En France, cependant, ces services sont encore pratiquement inusités.

Pour Obvy, il faut donc non seulement convaincre mais encore expliquer – « il nous a fallu dix mois pour trouver le bon discours, pour être compris lorsque nous exposons notre concept. » Il faudra aller pas à pas. Innover, cela demande du temps. Et il faudra évoluer. Avec l’environnement. Pour atteindre rapidement ses objectifs, les besoins seraient énormes à l’échelle d’Obvy – « imposer un service grand public en France, c’est au moins 10 millions d’euros ». Il faudra donc faire sans. Au moins pendant encore un moment. Mais il y a d’autres voies. Définir un standard. Travailler en architecture ouverte en liant la solution à d’autres offres, celles de banques et de néo-banques. Et en la proposant à des sites partenaires.

En bon entrepreneur, Charles-Henri Gougerot-Duvoisin n’est pas du genre à gémir. Les financements de départ ? « Les trouver n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué ». L’hébergement ? Obvy est à Bordeaux. « Pour les startups, l’environnement en Province est souvent très favorable. Nous sommes très bien hébergés par une pépinière d’entreprises. » Et s’il fallait cesser l’activité ? « Ce serait pour la faire repartir ! On est engagés financièrement et surtout émotionnellement. On ne peut pas lâcher. »

Paroles d’entrepreneur. Au total, une vision originale et véritablement innovante, porteuse de services et d’usages nouveaux. Car Obvy ne propose pas simplement, en effet, de substituer à une ou des pratiques existantes une solution plus commode ou moins chère. Et son concept ne cesse de s’enrichir. Derrière, on trouve chez ses promoteurs une détermination très forte. En même temps que beaucoup de souplesse et d’opportunisme dans l’approche. Et un grand nombre d’incertitudes. De celles qui vous rongent au quotidien. Ce qui durera encore un moment sans doute. Car tout ce que nous venons de dire rentre difficilement sur un PowerPoint.

Guillaume ALMERAS