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Calcul de la pension retraite : prestations ou cotisations définies ?

Image d'illustration maison de retraite

Image d'illustration maison de retraite - Georges Gobet - AFP

Outre le principe d’unicité du régime d’affiliation, le nouveau régime de retraite par répartition qui s’annonce va engendrer un changement majeur avec la généralisation de la pension de retraite à points, qui s’apparente à un dispositif à cotisations définies.

Dans sa configuration actuelle, le système de retraite français combine une pension de base versée par la CNAV à prestations définies (la pension versée est proportionnelle à un salaire de référence brut) et une pension complémentaire versée par l’AGIRC-ARRCO à cotisations définies (les cotisations retraite permettent d’acheter des points pendant l’activité et la pension retraite est calculée sur la valeur liquidative de ces points).

L’objectif principal recherché par un régime à prestations définies est d’afficher, voire de garantir dans la mesure du possible, un taux de remplacement du revenu du travail. Pour préserver la solvabilité financière du régime de retraite par répartition –de facto vulnérable au vieillissement–, la réalisation de cet objectif de taux de remplacement nécessite une hausse régulière des taux de cotisation.

Toutefois, la hausse du taux de cotisation est limitée. Pour la CNAV, le taux de remplacement apparent de 50% du salaire annuel moyen (SAM) a pu aussi être préservé en modifiant la notion de salaire de référence. Une première baisse s’est opérée dans les années 1980 en indexant les salaires portés au compte (c’est-à-dire ceux qui sont intégrés dans le calcul du salaire moyen de référence) sur les prix au lieu du salaire moyen, ce qui est clairement moins avantageux. Une seconde baisse a eu lieu avec la réforme Balladur de 1993 qui a conduit à calculer progressivement le salaire moyen sur les 25 meilleures années de salaire au lieu des 10 meilleures, ce qui est également moins favorables.

Ces deux mesures combinées ont contribué à baisser très nettement le niveau de la pension finale sans modification du taux de remplacement de référence. Par la suite, d’autres réformes ont obligé (recul progressif de l’âge minimal de 60 à 62 ans) ou encouragé (système de malus en cas de nombre de trimestres insuffisants ou de bonus en cas de trimestres supplémentaires) l’allongement de la durée d’activité.

Pour les régimes à cotisations définies, l’objectif premier est différent : il s’agit avant tout de satisfaire l’équité actuarielle : la pension finale va dépendre de chaque euro cotisé pendant l’activité. Ce type de régime permet également une meilleure compréhension de ses droits grâce à la connaissance exacte et en temps réel du nombre total de points accumulés. Dans ce type de régime, le niveau de la pension va dépendre de la valeur liquidative du point retraite. Lorsque le taux de cotisation est laissé inchangé, la valeur liquidative dépend seulement de l’évolution de la masse salariale (niveau du salaire moyen x nombre de travailleurs) par rapport à celle de la masse de points retraite liquidés (nombre de retraités x nombre moyen de points accumulés). Pour éviter des ajustements trop brusques du niveau des pensions dans un contexte où le taux de cotisation retraite est déjà très élevé et peut difficilement être augmenté, le régime de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO a accumulé des réserves financières pour faire face au vieillissement de la population.

Si ces modes de calcul des pensions reposent tous deux sur le principe de contributivité (il faut cotiser pour bénéficier d’une pension), il n’en demeure pas moins que la généralisation de régime à cotisations définies peut avoir un impact sur le niveau du mode la pension finale. En effet, le système de base actuel permet d’effacer 17 mauvaises années cotisées sur 42, ce qui protège les carrières à trous (aléa de carrière entraînant une baisse transitoire de salaire) ou favorise les carrières ascendantes (les débuts de carrières difficiles avec des salaires faibles ne comptent pas).

Pour illustrer cette propriété, prenons l’exemple de deux anciens travailleurs aux carrières salariales différentes :

Le premier (retraité 1) perçoit une retraite de base de 1 000€ (= 50% x un salaire moyen brut mensualisé de 2 000€ sur 25 ans) et une retraite complémentaire de 360€ (= valeur mensuelle du point AGIRC-ARRCO de 0,1049 € x 3432 points). Au total, ce retraité 1 perçoit 1 360€ par mois.

Le second (retraité 2) perçoit également une retraite de base de 1 000€ car la valeur de son SAM sur les 25 meilleures années est identique au retraité 1. En revanche, il perçoit une pension complémentaire de 324€. Cette pension complémentaire est de 10% plus faible que le retraité 1 car sa carrière a connu une baisse d’activité (17 années sur 42 ans avec un travail à 80%), ce qui l’a conduit à accumuler 10% de points en moins (son activité moyenne en équivalent temps plein sur 43 années est seulement de 90%). Au total, ce retraité 2 perçoit donc 1 324€ par mois, soit une pension plus faible d’environ 2,6% que celle du retraité 1.

L’adoption d’un régime en points généralisé signifie que l’ensemble de la carrière va compter. Faisons l’hypothèse que le nouveau mode de calcul n’affecte pas la pension totale du retraité 1 : sa carrière sans creux assure la neutralité du montant de sa pension finale au mode de calcul (prestations définies ou cotisations définies). Ce dernier perçoit donc toujours 1 360€

En revanche, pour le retraité 2, le nouveau mode de calcul a un impact important. Désormais, le niveau de la pension totale est le reflet de sa carrière intégrale avec des baisses d’activité. Si le retraité 2 a cotisé 10% de moins que le retraité 1, alors sa pension est 10% inférieure, soit 1 224€ par mois, soit une baisse de 7,5% par rapport au précédent calcul.

  • Cet exemple illustre donc une propriété du régime de base à prestations définies qui induit une redistribution de revenu entre les carrières salariales plates et sans aléa (montant total de cotisations relativement plus élevé sur 42 années) et les carrières ascendantes ou les carrières avec baisse d’activité (montant total de cotisations relativement plus faible sur 42 années).

En pratique, la généralisation du régime en points ne produira pas de tels effets dès 2025.

Tout d’abord, le nouveau mode de calcul ne s’appliquera intégralement qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail en 2025 et donc aux pensions retraite versées au minimum 43 années plus tard, soit en 2078.

  • Ensuite, des attributions spécifiques de points pourraient permettre de compenser certains creux de carrière (par exemple, chômage, maternité, maladie) et donc de jouer un véritable rôle d’assurance sociale contre certains aléas de la vie.

De plus, avec un système à points, il n’est plus nécessaire de dépasser un plafond annuel de salaire pour valider des trimestres. On ne cotise jamais à perte.

Enfin, l’instauration d’un régime à points généralisé est aussi l’occasion de préserver la solidarité en renforçant le filet de sécurité que constitue la pension minimum de retraite contributive. Actuellement, ce dispositif est rempli par le minimum contributif qui garantit une retraite de base de 637€ par mois pour une carrière complète. Un autre socle de la solidarité est réalisé par l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Cette prestation est versée sous condition de ressource et elle vise à garantir un revenu mensuel minimum de 868,20€ (hors allocation logement).

Vincent TOUZE