BFM Business
Guillaume Almeras

Colocations, cagnottes, vacances... Les banques s'adaptent aux nouvelles "coexistences"

-

- - Pexels

Alors que les individus se retrouvent de plus en plus autour de solutions partagées, les banques tablent sur ce principe de la mise en commun pour développer de nouveaux services. Un nouveau marché que notre expert, Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor, qualifie de celui de la "coexistence".

C’est une tendance de société qui n’a pas encore vraiment de nom. On parle "d’économie du partage" mais cela n’en représente qu’un aspect. Nous préférons donc parler de "coexistences" pour désigner le fait que la mise en commun devient un style de vie.

Or cela concerne particulièrement les banques, même si peu d’entre elles le réalisent encore. Ce n’est qu’une tendance, en effet, qui suscite des initiatives isolées. Des initiatives suffisamment nombreuses, toutefois, pour faire sentir – exactement comme dans le cas de l’accompagnement des touristes, que nous avons déjà présenté – que le passage au digital peut ouvrir aux établissements financiers de nouveaux segments de marché. En l’occurrence, à travers des offres groupées, communes à plusieurs individus autonomes. Une petite révolution dans la banque de détail.

La tendance en question mêle deux aspirations : on veut partager des usages, des moments, des projets ou même sa vie entière. Mais l’on veut en même temps conserver son autonomie. Ni fusion, ni séparation : de nouveaux régimes de coexistence. Rien ne l’illustre mieux que l’évolution du partage d’argent dans les couples.

Le partage, un véritable mode de vie

En France, un gros tiers des couples font comptes à part. Ce n’est donc pas une généralité mais c’est une tendance de fonds et un mode de vie qui prend de plus en plus d’importance. La France est d’ailleurs l’un des pays les plus avancés à cet égard en Europe.

Traditionnellement, les revenus sont totalement mis en commun. L’argent est "l’argent du ménage", également accessible aux deux conjoints et disponible aussi bien pour leurs dépenses communes que pour leurs dépenses personnelles. En Europe, cela concerne encore partout plus de 70% des couples, sauf en Finlande (53%), ainsi qu’en Autriche et en France (63%). Aucune explication évidente n’apparaît quant à savoir pourquoi ces trois pays se distinguent ainsi.

Les divorces, que l’on invoque à cet égard, provoquent certes une gestion de revenus séparée, laquelle est ainsi fréquente dans les familles recomposées. Mais la France présente un taux de divorce exactement dans la moyenne européenne.

Il semble toutefois que la séparation de revenus ne peut que tendre à se développer. Elle est d’autant plus forte en effet que les membres des couples ont tous les deux un emploi, qu’ils sont plus diplômés et qu’ils sont plus aisés. De sorte que le partage de revenus semble lié à un modèle, dépassé, où l’homme était la seule ou la principale source de revenu (quoiqu’on ne sache pas exactement quel modèle est le plus suivi lorsque la femme a le plus haut revenu, ce qui est le cas de plus d’un quart des couples en France aujourd’hui).

On peut donc prévoir que l’on va vers la généralisation de formules de gestion commune partielle et donc vers la possession de trois comptes courants par couple : deux comptes individuels et un compte joint, permettant de centraliser certaines dépenses sans se substituer aux deux premiers. Avec pour aboutissement une généralisation de l’approche que concrétise déjà le Pack Famille des Banques Populaires : des comptes distincts, y compris ceux des enfants, sous une seule relation bancaire. Demain, l’ouverture de comptes individuels ne sera-t-elle plus qu’une exception ?

A l'aube d'usages financiers originaux?

Ce dernier exemple montre que, face aux coexistences émergentes, les banques ne sont pas seulement concernées. Avec leurs outils digitaux, elles sont à même de les faciliter directement ! Cela a commencé avec les cagnottes en ligne, les solutions de dépenses communes, les applis facilitant les vacances à plusieurs. Le principe est le même : des individus autonomes regroupés par une solution partagée.

Et ensuite ? Certains croient aux succès des tontines, venues d’autres continents, qui ont effectivement été lancées sous forme digitale en Europe et en France. Mais les banques se sont plus naturellement tournées vers les colocataires pour leur proposer des applis de partage de frais, de suivi commun des dépenses individuelles, des services divers. Or ce mode de coexistence se développe et, loin de se limiter aux étudiants ou aux jeunes actifs, est en train de devenir un style de vie. Il est notamment en test pour les seniors. BNP Paribas Real Estate vient de lancer une plateforme dédiée au coliving en général.

Ces nouvelles coexistences généreront-elles des usages financiers originaux? C’est ici qu’apparaît "l’économie du partage". Aux Etats-Unis, Ford en a fourni l’un des premiers exemples avec Ford Credit Link. Un crédit-bail sur 24 mois pour l’acquisition d’une voiture neuve, qui peut être partagé entre 3 à 6 emprunteurs, auxquels une appli devait également permettre d’en gérer en commun l’usage et l’entretien. Mais la formule n’a pas pris. En matière de crédit, les formules de partage se cherchent encore. Le principe de solidarité entre emprunteurs paraît contraignant. D’autant que la formule d’une acquisition partagée est surtout intéressante sous la perspective d’une dépense ajustée précisément à l’usage, soit pour des personnes qui ont besoin par exemple d’un véhicule mais pas à temps plein. Or les expériences en ce domaine montrent que beaucoup d’emprunteurs potentiels estiment mal leurs besoins réels.

La formule devra donc être mûrie. Une assistance sera sans doute nécessaire. Et, déjà, l’idée de donner une dimension multi-individuelle aux offres bancaires classiques fait apparaître de nouvelles pistes, comme celle de mobiliser de manière beaucoup plus large les solidarités familiales. Au Royaume-Uni, pour faciliter l’accès à la propriété des jeunes actifs, Nationwide a ainsi voulu favoriser l’hypothèque d’un bien au profit d’un proche (parents ou grands-parents en faveur de leur descendance, en l’occurrence).

Un rôle proactif à jouer

Au total, à la rencontre d’une tendance sociétale de fonds, notable mais non massive, les initiatives demeurent exploratoires et souvent non-coordonnées au sein d’une même banque. Les établissements financiers peuvent néanmoins jouer là un rôle proactif. Sur des territoires où ils rencontrent peu de concurrents extérieurs. Lesquels - comme Uber, qui vient de lancer Uber Money - les challengent beaucoup plus sur leurs services les plus classiques, comme les paiements.

On peut donc considérer que la banque de demain s’invente ainsi, de manière décisive, à travers de nouvelles offres et sur de nouveaux segments de marché, bien plus qu’à travers la simple transformation digitale de services traditionnels. Cela implique cependant de rompre avec un marketing essentiellement orienté produits et de suivre de manière fine les tendances. Plus qu’une petite révolution.

Guillaume Almeras, fondateur de Score Advisor