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Guillaume Almeras

Deutsche Bank et Commerzbank : Quel pari derrière l'éventuelle fusion?

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Depuis de longs mois, les annonces contradictoires se succèdent concernant un rapprochement de ces deux grands établissements financiers allemands.

Se fera, se fera pas ? De manière générale, les commentateurs se montrent sceptiques quant à l’opportunité d’une fusion entre Deutsche Bank et Commerzbank, deux banques en perte de vitesse et qui connaissent toutes deux des parcours boursiers difficiles (pour employer des euphémismes). Soyons clairs, pour la plupart des observateurs, il ne s’agit que de sauver une Deutsche Bank dont le risque d’effondrement systémique ne peut être pris à la légère. Et, de ce point de vue, l’apport possible de Commerzbank parait pour le moins incertain. Mais si le pari derrière une telle fusion était en fait tout différent ?

On a souligné que l’idée de cette fusion a été particulièrement portée et défendue par le fonds d’investissement américain Cerberus Capital Management. Après avoir acquis 5% de Commerzbank, il a également pris 3% du capital de Deutsche Bank en novembre 2017. Il en est désormais le quatrième plus important actionnaire.

Or Cerberus ne cache rien : les banques allemandes l’intéressent. Mal gérées, souffrant, comme toutes les autres banques, des taux bas et portant de nombreuses créances en souffrance, elles sont très peu chères en effet (les actions de Deutsche Bank valent à peine le quart de la valeur comptable de ses actifs nets). Pourtant, elles ont engagé des efforts de restructuration. Elles conservent un poids considérable dans la première économie d’Europe. Et les taux ne resteront pas éternellement aussi bas, explique le fonds. "Nous n'acceptons tout simplement pas l'idée que les banques allemandes ne peuvent pas gagner leur coût du capital", a déclaré le patron de Cerberus.

De plus, le fonds possède une expertise décisive. Avec plus de 35 milliards de dollars d'actifs, il se concentre principalement sur les titres et les actifs en difficulté. C’est un spécialiste du rachat des créances en souffrance. Une solution qui permet aux banques d’améliorer considérablement leurs bilans.

Avec le régime de renflouement des banques européennes introduit en 2015 et encouragé par des dispositifs publics comme le système GACS italien, tout un marché des créances bancaires en souffrance s’est développé ces dernières années. Avec 264 milliards d’euros d’encours non performants fin 2017, l’Italie est le premier pays européen concerné. Ces actifs dépréciés, redoutés, dont le niveau représente la première source d’appréhension des investisseurs vis-à-vis des banques - de sorte que celles-ci sont prêtes à les céder avec de larges décotes - sont devenus pour la même raison des placements recherchés, mobilisés par des fonds spécialisés, qui prennent également en charge leur recouvrement. Cerberus est l’un de ces principaux fonds spécialisés.

Cerberus pousse

Constatant que les cours boursiers des banques de la zone euro se sont effondrés en 2018, Natixis Research a souligné dans une note récente l’attitude « très irrationnelle » des investisseurs. Car la situation des banques européennes, estime Natixis, est plutôt saine : la situation financière des entreprises de la zone euro est très bonne et un ralentissement cyclique de la croissance aurait peu d’effets sur leur taux de défaut. Il n’y a pas eu, de 2010 à 2018, de bulle sur l’immobilier résidentiel de la zone, continue Natixis, ce qui exclut le risque d’une forte hausse des défauts des ménages, d’autant plus que les taux d’intérêt à long terme restent très faibles. Enfin, la prise de risque par les banques de la zone a beaucoup diminué depuis 10 ans et leurs fonds propres ont beaucoup augmenté.

On ne peut cependant oublier plusieurs incertitudes, comme les impacts du Brexit ou, précisément, la situation alarmante de la Deutsche Bank, qui pèsent lourdement sur l’appréciation du secteur bancaire européen. Toutefois, si ces incertitudes sont levées, le rebond boursier sera conséquent, raisonne simplement Cerberus. Et d’autant plus profitable pour lui, si la solution passe par le rapprochement de deux établissements dont il est actionnaire. Quoique dans de récentes déclarations, le dirigeant de Cerberus ait pu indiquer que cette fusion n’était pas à ses yeux impérative.

En attendant, non sans soulever certaines critiques de la part des autres actionnaires, Cerberus a engagé une mission de conseil au sein de la Deutsche Bank pour l’aider à mieux maîtriser ses coûts et à renforcer ses bénéfices.

En l’occurrence, ainsi, le pari est bien plus que simplement boursier. Il consiste à considérer que si le risque que portent les banques peut-être soulagé d’une manière qui répond aux exigences réglementaires, alors, sur leur marché, la taille des établissements va redevenir la variable essentielle, provoquant d’autres rapprochements.

De grandes incertitudes

Ce qui est intéressant est qu’un tel scénario n’avait guère été prévu. Sans doute parce que, focalisé sur les nouveaux acteurs technologiques susceptibles de faire concurrence aux banques, on ne prend pas assez en compte, comme acteurs tout aussi décisifs, les actionnaires des banques eux-mêmes et leur logique d’investissement : Cerberus est devenu le quatrième actionnaire de Deutsche Bank, derrière un autre fonds d’investissement (BlackRock), la famille royale qatarie et le groupe chinois HNA (qui pourrait céder sa participation).

De tels acteurs ont une logique de valorisation financière certes mais, contrairement à ce que l’on pense souvent, ils voient à moyen terme. Cela les conduit à s’occuper prioritairement du traitement des risques pour restaurer les comptes et à envisager des opérations capitalistiques.

Bien sûr, une telle approche, de bilan bien plus que de métier, est soumise à de nombreux aléas : acceptation de la cession des prêts par les clients, capacités effectives à les recouvrer, inclusion des couvertures et dérivés, possibilité de maîtriser les coûts sans dégrader fortement ou mettre en péril l’activité, … Et les incertitudes ne sont pas moindres : si l’on suit ce qu’écrit Natixis, par exemple, on comprend mal les montagnes de créances en souffrances qu’ont accumulées les banques européennes. Quant aux cessions d’actifs fragiles, elles évoquent inévitablement la titrisation des crédits subprime qui, elle aussi, passait pour une solution miracle…

Ce n’est donc qu’un pari et non une martingale ! Mais si ce pari réussit, l’impact sera considérable sur la finance européenne. Car Cerberus, qui n’est guère habitué à investir dans des sociétés cotées, a décidé de jouer très gros.

Guillaume ALMERAS