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Guillaume Almeras

Et si les banques osaient davantage parler… d’argent ?

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Dans une récente enquête remarquée, NonFiction Research s’est attaché à sonder le rapport angoissé que nombre d’Américains entretiennent avec l’argent. Ainsi que les difficultés qu’ils éprouvent à en parler à leur banque. Des difficultés que les banques s’efforcent pourtant aujourd’hui de diminuer…

Que beaucoup de gens – sans doute une majorité – aient un rapport anxieux à l’argent et se plaignent d’en manquer peut difficilement passer pour une grande découverte. L’enquête de NonFiction Research, The Secret Financial Lives of Americans and the Future of Financial Services, n’en fournit pas moins des chiffres étonnants. 52% des répondants confient ainsi avoir déjà été en larmes face à leur manque d’argent – dont 41% parmi ceux qui gagnent plus de 200 000 $ par an. Faute de pouvoir se payer à manger, 37% reconnaissent s’être couchés le ventre vide. Tandis que la faim a poussé 5% des sondés à faire les poubelles…

Selon l’enquête, les choses ne font qu’empirer. Sous l’effet notamment des prix immobiliers, ainsi qu’à travers les réseaux sociaux, sur lesquels il faut afficher son aisance (voyages, marques,…). 28% des Millenials reconnaissent y tricher, pour donner l’impression d’être plus à l’aise qu’ils ne sont. Et au total, dépenses immobilières et ostentatoires sont ruineuses : le taux d’épargne national est au plus bas, 47% des Américains n’ont pas de compte d’épargne retraite et 44% d’entre eux seraient incapables de faire face à une dépense urgente de 400 $.

Dans ces conditions, on peut facilement comprendre qu’une majorité de personnes sont en demande de conseil et d’assistance en matière de finances et même simplement de confiance. Cependant, souligne l’enquête, la plupart ont l’impression que leur banquier est la dernière personne à qui ils puissent en parler !

Discrets avec l'argent

Car les gens voudraient pouvoir parler d’argent ! Savoir d’abord s’ils sont suffisamment payés, par rapport à leur qualification et à l’emploi qu’ils occupent ; 64% soupçonnent que non – et le pourcentage est nettement plus élevé pour les femmes. Combien ils peuvent espérer gagner à terme et combien ils devraient épargner. Et comment font les autres, ceux qui leur ressemblent, pour gérer leur budget. Pourtant, seulement 14% des répondants ont eu l’occasion de parler de leur retraite avec leur banquier. Et seulement 20% de leur activité professionnelle.

Nous ne connaissons pas d’étude vraiment comparable pour la France mais peut-on croire que les choses y sont très différentes ? Alors que les coachs sont de plus en plus partout de nos jours – sait-on ainsi que le roman le plus vendu en France l’année dernière a été de très loin Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une de Raphaëlle Giordano, coach en développement personnel ? – une demande d’assistance en matière d’argent est patente. C’est l’une des clés de la banque de demain. Mais qui saura y répondre ? Les banques ?

Parmi celles que NonFiction Research a interrogées dans le cadre de son enquête, certaines reconnaissent qu’elles ont tendance à spécialiser de plus en plus leurs forces de vente, ce qui les rend de moins en moins aptes à appréhender la situation d’ensemble de leurs clients. D’autres répondent que ce n’est de toute façon pas leur métier de s’en occuper.

C’est en effet l’une des orientations actuelles de la banque digitale : considérer que les décisions peuvent être prises à travers le traitement automatisé de certaines données, les aspects techniques et administratifs ne restant plus ensuite qu’à régler ; éventuellement à travers un contact humain, qui ne s’impose pas forcément. Il suffit néanmoins de renvoyer aux rapports émotionnels à l’argent soulignés ci-dessus, pour comprendre pourquoi la banque purement digitale se diffuse si lentement : pour beaucoup, elle parait fortement anxiogène !

La relation client au coeur des mutations

Cela, nombre de banques l’ont compris. D’ailleurs, échanger sur la situation de leurs clients a toujours fait partie du métier des chargés de comptes. Mais de manière informelle, sans supports organisés et – comme l’indiquent les chiffres ci-dessus – pas avec tous leurs clients. Néanmoins, depuis dix ans, les banques, ainsi que d’innombrables fintechs, s’efforcent de développer des outils de Personal Finance Management qui intègrent des fonctions d’assistance et de conseil (coach d’épargne, affichage d’un reste à dépenser tenant compte de dépenses futures ou d’objectifs, peer reviews, …).

En somme, les banques ont parfaitement saisi que les relations avec leurs clients devront être de plus en plus personnalisées, pour tenir compte des attentes et des vécus individuels. Cela recouvre de nouveaux éclairages, des fonctions d’assistance, l’évolution des tarifs en fonction d’impondérables et bien d’autres choses encore. D’ailleurs, on ne parle plus que de « centricité client ». Mais, pour y parvenir, les banques comptent essentiellement sur des solutions automatisées.

Cela peut tout à fait se comprendre. Parler d’argent est toujours difficile. Une partie de la clientèle ne s’y prête pas volontiers et cela demande aux chargés de comptes un tact et une patience qu’ils n’ont pas toujours et qui, s’ils les déploient, ne sont pas forcément récompensés. Pourtant, les outils de PFM peinent à convaincre plus qu’un nombre restreint de clients et figurent, toutes catégories confondues, parmi les applis les plus rapidement abandonnées. C’est sans doute qu’ils devraient pousser les banques, en complément de leur usage, à infléchir certaines de leurs pratiques. Ce qui a rarement lieu. Pourquoi donc ?

Les relations bancaires trop moralistes ?

Il y a quelques années, BBVA Compass (la filière américaine de BBVA) a mis en place une ligne spécialisée à travers laquelle ses clients qui allaient avoir des problèmes pour honorer leurs échéances mensuelles étaient invités à simplement le signaler et, s’ils le souhaitaient, à en parler à un conseiller. Un peu plus tard, BBVA Compass s’apercevait que son taux d’impayés (et ses frais de recouvrement) avait significativement baissé. Que s’était-il passé ? La situation des clients ne s’était bien entendu pas améliorée ainsi. Mais n’étant plus culpabilisés, cessant d’être considérés comme s’ils étaient en faute en cas de difficultés, les clients se montraient bien plus coopératifs. Traitées plus en amont, bien des difficultés devenaient alors faciles à éviter.

Cet exemple invite à se demander si, sous bien des aspects, les relations bancaires ne sont pas empruntes d’un moralisme plus ou moins conscient et souvent non-dit. Certains frais bancaires n’ont-ils pas ainsi un côté punitif ? De sorte que c’est lorsque leurs clients rencontrent des difficultés d’argent que les banques deviennent intraitables et leurs frais les plus élevés ! Les banques diront plutôt que leurs frais sont dissuasifs. Mais cela ne revient-il pas à pénaliser ou à vouloir redresser de mauvais comportements, qu’il s’agirait plutôt de prévenir ? Pour cela, des outils automatisés peuvent certainement être utiles mais ils ne suffisent pas. Il faudrait perdre certaines pudeurs d’un autre âge et modifier certaines pratiques en conséquence, pour parler plus facilement… d’argent.

Guillaume ALMERAS