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Guillaume Almeras

L’avenir des conseillers bancaires en question

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Face à l'émergence des outils digitaux, le rôle des conseillers bancaires est de plus en plus remis en question. Pour autant, les banques ne pourront se dispenser d’une relation personnelle directe et forte avec leurs clients, observe notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

On les nomme "conseillers", "chargés de comptes" ou d’autres façons encore. Et dans un pays comme la France, où la bancarisation dépasse 98% de la population, chacun les connaît. Bien qu’ils ne soient quasiment jamais amenés à s’exprimer dans les médias.

Evitons de qualifier de "banquiers" (terme qui les assimilerait aux banquiers d'affaires et autre traders) ces conseillers – ces conseillères plutôt, car ce sont majoritairement des femmes – qui, au cœur de l’économie très réelle et au quotidien, en voient de toutes les couleurs et sont souvent fort utiles à tout un chacun. Pourtant, depuis quelques années, leur rôle et même leur existence sont en question.

Comment travailleront demain les conseillers bancaires ? Seront-ils toujours dans des agences ou bien, regroupés dans des plateaux d’appels, deviendront-ils itinérants, à la rencontre des clients ? Existeront-ils encore, surtout, tels que nous les connaissons aujourd'hui ? Beaucoup de scénarios ont été et sont imaginés : pools de conseillers, itinérants ou non. Avec un portefeuille de clients attitrés ou non. Certains spécialisés sur les grands moments de vie (mariage, divorce, succession…) ou par ligne de produits (immobiliers, épargne…) et d’autres demeurant généralistes. Ou bien disparition de ces derniers. Beaucoup de formules sont à l’étude et en test. Avec des orientations différentes et mêmes opposées, soulignons-le, entre les établissements. Car si certaines banques se demandent si elles doivent encore compter sur des conseillers, d’autres veulent particulièrement les conserver et certaines entendent même leur donner plus d’autonomie, les remettre au centre du jeu. Par ailleurs, de nouvelles options apparaissent: experts indépendants, conseillers multi-secteurs, agences franchisées…

À travers une enquête récente, le cabinet Deloitte a demandé aux clients des banques s'ils seraient prêts à payer le conseil que leur dispensent les conseillers. La réponse est ouverte, quoique encore indécise. Mais rien n’est clair dans l’affaire !

Les clients se plaignent tout à la fois - ce qui n’est pas sans contradiction - du manque de compétence croissant des conseillers en face d’eux et du fait que ces conseillers changent beaucoup trop souvent. Mais, au fait, le rapport direct à un conseiller concerne-t-il tous les clients ? Des analyses menées en agence montrent qu’une bonne partie d’entre eux ne rencontrent pratiquement jamais un conseiller. Que si plus de 80% des clients déclarent avoir un chargé de comptes attitré, la moitié ne se souviennent pas de son nom ! D'ailleurs, les clients sont-ils autant en demande de conseil qu’on l’estime a priori ? Selon une étude d’OpinionWay pour l’EC Forum (juin 2017), 82% des 20-35 ans "souhaitent pouvoir compter sur un conseiller en chair et en os". Mais, selon l’Observatoire Ipsos Banques Assurances 2016, 16% seulement des Français disent avoir besoin de l’expertise de leur banquier et 50% s’accommodent de ne jamais le voir en personne. La même année, Wells Fargo, l’une des premières banques américaines, constatait que parmi ses clients âgés de 25 à 35 ans, seuls 16% avaient recours à un conseiller.

Finalement, la question doit d’abord être posée aux banques elles-mêmes. Quelle utilité prêtent-elles aujourd'hui à leurs conseillers ? Allons plus loin : ne s’efforcent-elles pas, même involontairement, de "déshumaniser" la relation client ? Le terme peut paraître fort mais la plupart des banques ne sont-elles pas notamment passées d’un modèle où, pour un crédit, l’évaluation du risque reposait essentiellement sur les conseillers, sur leur expérience et leur connaissance du terrain, pour adopter de plus en plus un scoring sur ratios statistiques ? Une boite noire dont les conseillers hésitent à s’engager sur la décision finale qui en sortira. Ce qui conduit bien sûr leurs clients à se demander à quoi ils servent !

Pourquoi une telle orientation au sein des banques ? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. D'abord l’obligation de réduire les coûts, alors que la profitabilité de beaucoup de banques ne cesse de s’éroder. Ensuite, des évolutions sociétales fortes: la fréquentation des agences a complètement changé, les clients demandent plus d’autonomie, les manières dont ils s’informent et les modalités du conseil financier sont en pleine mutation. Et puis, à l’âge des réseaux sociaux, les relations personnelles deviennent à la fois plus instantanées et plus distantes.

Pourtant, cela n’explique pas tout. Il faut y ajouter que beaucoup de responsables bancaires sont aujourd’hui convaincus que l’automatisation est l’avenir et qu’elle va les sauver. Alors que nous lui demandions pourquoi il ne mettait pas en place telle disposition commode qui ne pourrait que satisfaire ses clients, le responsable de l’innovation d’une grande banque française nous répondait récemment que cela était certes intéressant mais quasi impossible à faire rentrer dans un algorithme !

Cela a commencé avec le CRM et c’est l’IA aujourd’hui : depuis deux décennies un nouveau miracle technologique est annoncé à peu près tous les cinq ans qui permet aux banques de croire qu’elles vont pouvoir continuer… à ne rien changer sur le fond. Car, si l’on regarde bien, sur la même période, peu de choses ont réellement évolué quant à l’accès au crédit ou quant au renforcement de la relation client. De sorte qu'aujourd’hui, comme nous l’avons souligné dans notre précédent article, les banques affrontent surtout le problème d’une demande qui faiblit et qu’elles n’ont pas su renouveler. Ce qu’elles pensent cependant pouvoir faire en s’appuyant sur des outils digitaux plus que sur leurs conseillers, que beaucoup destinent à devenir surtout des spécialistes d’appoint. Comme si, tels que nous les connaissons encore, ils avaient fait leur temps.

C’est là, d’un point de vue stratégique, un constat très étonnant. Parce qu’enfin, pour quiconque – néobanque ou GAFA – voulant concurrencer les banques, la barrière à l’entrée n’est pas la maîtrise des technologies digitales que celles-ci peuvent posséder ! Alors que l’adoption des nouveaux outils digitaux est bien plus lente que prévue, ce qui fait d’eux à ce stade, sauf exceptions, de très médiocres canaux de vente, la barrière à l’entrée tient bien plutôt - outre les exigences réglementaires - à l’existence des réseaux de proximité dont disposent les banques. À travers lesquels celles-ci peuvent directement toucher des clients très fidèles (la durée moyenne d’une relation bancaire est en France de 20 ans ; 42% des Français n’ont jamais changé de banque ; 57% des moins de 25 ans sont clients de la même banque que leurs parents). Ceci, en s’appuyant sur des conseillers dont le niveau de compétences, malgré tout, est certainement l’un des plus élevés dans toute l’économie des services.

Or pourquoi cela compte-t-il particulièrement ? Pour des raisons dont on ne parle jamais ! Parce que peu de personnes n’ont jamais de problèmes de trésorerie. De sorte que les possibilités d’arrangement au cas par cas, fondées sur une relation personnelle, peut-être peu fréquente et non forcément physique mais directe et suivie, sont essentielles dans la relation bancaire. Parce que la banque est l’un des derniers commerces où les prix peuvent être négociés. Ce qui correspond d’ailleurs et tout à la fois, à une marge de responsabilité de plus en plus rognée pour les conseillers et, de la part des clients, a une demande de plus en plus forte (on le voit particulièrement avec les crédits immobiliers) ! Une demande d’autonomie, de reconnaissance, de personnalisation, qu’il serait finalement assez simple de retenir pour faire évoluer de nombreuses offres dans le cadre d’une relation de confiance à long terme et de fidélisation.

Toutefois, en l’état actuel des choses, il est peu probable qu’une telle orientation soit retenue. Elle irait certes tout à fait dans le sens de cette mobilisation pertinente des données individuelles que les banques s’efforcent de développer avec leurs nouveaux outils digitaux. Mais elle ne pourrait se dispenser d’une relation personnelle directe et forte… qu’il est difficile de faire rentrer dans un algorithme !

Guillaume Alméras