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Philippe Crevel

Droits de succession : une question trop sérieuse pour la laisser aux politiques ?

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Deux courants d’idées s’opposent sur la question des droits de succession. Emmanuel Macron a décidé de ne pas ouvrir le débat.

La question de l’héritage est de longue date un sujet sensible avec lequel la plaisanterie n’est pas de mise. La question des droits de succession fait l’objet d’éternelles polémiques au point que le Chef de l’État a demandé au patron de La République en marche, Christophe Castaner, de ne pas ouvrir de débat sur autour de ce sujet, contrairement aux souhaits de ce dernier.

Deux thèses s’affrontent depuis des lustres. D’un côté, les tenants de droits de succession élevés mettent en avant leur efficacité pour réduire des inégalités. Ces droits limiteraient la concentration naturelle du capital et permettraient sa mobilité. Les tenants de la taxation élevée des successions se retrouvent essentiellement à gauche de l’échiquier. Des libéraux peuvent également épouser la thèse des droits élevés.

L’individu doit se réaliser par lui-même et non à travers le bénéfice d’un capital transmis. Par ailleurs, des successions importantes conduisent à une mauvaise allocation des actifs et à des gaspillages. Le financement par le marché est plus efficient du fait de la meilleure intégration dans la chaîne de production du prix de l’argent. De l’autre côté, les partisans d’une taxation mesurée sont, en règle générale, plutôt à droite. Ils mettent en avant la transmission des fruits d’une vie aux enfants ou aux petits-enfants. Ils soulignent que les entreprises familiales sont plus pérennes et plus respectueuses de leur environnement social que les entreprises capitalistiques.

L’héritage, nouvelle gestion patrimoniale de la retraite

L’héritage a changé de fonction avec l’allongement de l’espérance de vie. Les successions interviennent de plus en plus tard. Les enfants héritent de leurs parents quand ils sont eux-mêmes à la retraite. Autrefois, si l’héritage pouvait servir d’apport pour acheter sa résidence principale ou créer son entreprise, aujourd’hui, il entre avant tout dans une logique de gestion patrimoniale de la retraite.

Si l’héritage constitue un sujet sensible en France, cela n’a pas empêché le législateur, au fil des décennies, d’adopter des taux d’imposition très élevés. Mais, France oblige, le régime des droits de succession se caractérise par l’existence de plusieurs niches fiscales permettant d’alléger la facture. Le système est, de ce fait, complexe et peu compréhensible par le commun des mortels.

En France, l'impôt sur les successions comporte plusieurs barèmes progressifs selon la somme héritée, avec des tranches allant jusqu'à 60 % en cas de lien de parenté éloigné. Selon les liens de parenté, des abattements atténuent le montant des prélèvements. Le taux en ligne directe s'élève lui à 45 % pour une part nette supérieure à 1,8 million d'euros. En ligne directe, ce taux est un des plus élevés d’Europe. Les ascendants et enfants disposent d'un abattement maximum de 100 000 euros, soit l'un des plus faibles d'Europe. Au niveau mondial, seuls le Japon avec un taux d'imposition en ligne directe de 55 % et la Corée du Sud, avec 50 %, taxent plus lourdement les successions que la France.

Une taxe abandonnée par plusieurs pays

Quinze des trente-six pays de l'OCDE n'imposent pas les successions. Le Portugal a abandonné la taxation des successions en 2004, la Russie en 2005, l'Autriche en 2008, la République Tchèque et la Norvège en 2014. La Suède a également mis un terme à la taxation des transmissions. L’objectif de ces pays est d’éviter l’expatriation des entrepreneurs.

En Allemagne, le taux marginal d'imposition en ligne directe s'élève à 30 % lorsque la valeur de l'héritage dépasse les 26 millions d'euros. L'abattement s'élève à 500 000 euros pour le conjoint et 400 000 euros pour les enfants. En Italie, les successions en ligne directe sont taxées à hauteur de 4 % et l'abattement atteint un million d'euros. En Suisse, la fiscalité peut varier d'un canton à un autre, mais ne dépasse pas 10 %.

Selon l’INSEE, l’âge moyen de la transmission du patrimoine entre générations a augmenté de huit ans entre 1980 et 2015. Cette situation favorise la concentration du capital au sein des seniors. Elle se traduit par une augmentation de l’aversion aux risques et ralentit la mobilité des biens immobiliers et mobiliers. Les pouvoirs publics semblent hésiter sur le chemin à suivre en matière de fiscalité. Si sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un allégement des droits de succession et des droits de donation avait été mené. Ces mesures avaient été, en grande partie, annulées par François Hollande. Ce dernier avait, par ailleurs, décidé de relever le taux marginal de taxation pour les successions en ligne directe. Les Français sont, dans leur grande majorité, favorables à l’adoption de mesures de réduction des droits de donation. Ils demandent tout à la fois un accroissement de l’abattement, une diminution des droits et la possibilité de réaliser en franchise de droits des donations plus fréquemment. Le Président de la République, Emmanuel Macron, ne souhaite pas, pour le moment, ouvrir ce chantier même si plus des trois quarts des Français souhaitent une amélioration du régime des donations (76 % - sondage 2017 Cercle de l’Épargne – Amphitéa).

Philippe CREVEL