BFM Business
Guillaume Almeras

L’intelligence artificielle va-t-elle vraiment transformer la banque ?

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Autant le dire d’emblée : la réponse est oui ! Oui, mais...

Dans tous les domaines, il faut désormais accepter la perspective que l’IA va bousculer et remodeler nos modes de travail, d’apprentissage et d’organisation. Mais, comme lors de tous les grands bouleversements technologiques, sans doute moins rapidement que prévu et, surtout, autrement. C’est pourquoi tous les discours qui fleurissent depuis quelques mois sur l’incroyable impact que l’IA générerait d’ores et déjà dans la distribution des produits bancaires doivent être pris avec une certaine circonspection. Il est même permis de soupçonner qu’ils ne sont pas exempts de quelques mythes. De vieux mythes.

On nous explique en effet que l’IA, dès demain si ce n’est déjà aujourd’hui, permettra de toucher les clients au plus près, non seulement de leurs attentes et de leurs besoins mais au moment même où ils seront les plus réceptifs. En tenant notamment compte en temps réel de leurs sentiments et émotions, même à peine formulés mais que des algorithmes sauront détecter. Les robots apprenants seront capables de comprendre les envies des clients mieux qu’eux-mêmes en fait et d’en déduire leur propension exacte à acheter tel produit ou service. Ils sauront extraire, des données massives que collectent les banques, le Graal de tout vendeur : le client attentionné et parfaitement disponible. Saisi au bon moment. Avec le bon discours déjà automatiquement formaté. S’ouvre ainsi sous nos yeux, nous dit-on, l’ère de l’hyperpersonnalisation commerciale. Et certains envisagent déjà une baisse drastique des coûts de mise en marché. Il ne sera plus besoin, en effet, de campagnes de publicité massives. D’actions de marketing direct aux taux de transformation ridiculement bas. Et, bien entendu, tout cela aura lieu pour le plus grand profit du client, dont l’expérience de marque sera formidablement enrichie.

Le retour en force du behaviorisme

Une chose est particulièrement surprenante en l’occurrence : à quel point tous ces discours sont vieillots ! On croirait réentendre ceux qui accompagnèrent les premiers pas de la publicité de masse. L’entreprise, cela a l’air d’aller de soi, possède d’excellents produits, parfaitement capables de combler ses clients. Il ne s’agit donc que de capturer ces derniers. Et, dans les années 1950, on croyait ainsi très fort à l’invincible pouvoir de suggestion de la publicité sur le consommateur. A présent, on compte sur l’IA pour tout savoir de ses pulsions d’achat. Dans les deux cas, on considère les clients passifs, transparents. Béats. Et si l’enjeu était plutôt, avec l’IA, de complexifier un peu cette vision, encore très rudimentaire, de la relation client ?

Au cours des mêmes années 50, la psychologie anglo-saxonne était entièrement dominée par le behaviorisme, qui avait pour principe, en étudiant les comportements humains, de ne jamais interroger les sujets soumis aux expériences. La conscience était réputée une boite noire et l’on se bornait strictement à analyser les actions. Comme pour les machines et les animaux, auxquels cette approche réduisit souvent les hommes. Jusqu’à l’aberration. Et l’on dirait qu’elle revient en force. Dans une de ses filiales étrangères, ainsi, une grande banque française teste actuellement un système qui, en analysant les conversations d’un centre d’appels avec ses clients, déduit pour chacun de ces derniers un indice de satisfaction. Si le test est jugé probant, il serait envisagé d’utiliser la même méthode en vidéo et en analyse des expressions faciales pour jauger les sentiments des clients face aux transformations dans les agences. D’apprendre ceci nous a fait réaliser, nous qui sommes clients de cette grande banque depuis vingt ans, que pas une seule fois, en vingt ans, nous n’avons été interrogé quant à nos besoins, attentes ou satisfactions.

"On ne peut pas trouver plus c… qu’un robot !"

Enfin, il y a encore le (très) vieux mythe de la machine plus intelligente que l’homme et capable de réaliser comme par magie tout ce que celui-ci n’a jamais pu faire jusque-là. Un vieux rêve face auquel un éminent spécialiste de ces questions rappelait justement encore tout récemment que, par définition, on ne peut pas trouver plus c… qu’un robot ! Et que les algorithmes, surtout, reproduisent trop volontiers les préjugés et biais de jugement de leurs programmeurs.

Effectivement, c’est notamment cela que découvrent les établissements les plus engagés dans l’application de l’IA. D’où notamment des démarches très intéressantes développées par Capital One, aux Etats-Unis, en matière d’IA éthique. Mais en matière d’automatisation des décisions de crédit, aussi bien, certains établissements se heurtent à un biais qui, jusqu’ici, ne les préoccupait nullement : ils n’ont au fond jamais contre-testé leurs modèles d’octroi. A travers ses taux de défaillance, en effet, une banque peut mesurer en quoi ses critères pour accorder des crédits sont insuffisants mais elle n’a guère les moyens de savoir en quoi ils sont erronés pour justifier ses refus. Ces exemples soulignent que, sauf à se laisser bercer de mythes, l’IA soulève, comme toute nouvelle technologie, plus de questions qu’elle n’apporte immédiatement de réponses satisfaisantes.

Mais nous sommes sans doute trop sévères ! D’ores et déjà les algorithmes accomplissent des prouesses en matière de personnalisation des offres et l’IA avance à pas de géant. A tel point, par exemple, qu’on peut imaginer que tôt ou tard, une plateforme de ventes en ligne bien connue réalisera qu’il est assez peu utile, lorsqu’on lui achète un livre, de nous suggérer au cours des semaines qui suivent que le même livre pourrait nous intéresser.

Guillaume ALMERAS