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Guillaume Almeras

La crise sonne la fin du mythe des fintechs remplaçant les banques

Nombre de fintechs et de néo-banques n'ont pas de véritable business model.

Nombre de fintechs et de néo-banques n'ont pas de véritable business model. - Pixabay / Pexels

La crise a accéléré la dégradation des résultats de jeunes pousses de la finance et de néo-banques en mal de business model. Les banques traditionnelles, elles, sont toujours solidement installées. Décryptage de notre expert Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

On désigne comme "fintechs" les jeunes entreprises technologiques innovantes qui œuvrent dans le secteur financier. Mais si le terme est devenu d’un emploi courant, c’est qu’il sous-entend un certain nombre d’autres choses: que la technologie va changer la banque, que l’innovation est essentiellement technologique et qu’à ce compte la plupart des banques traditionnelles ne pourront pas suivre face à de nouveaux acteurs bien plus agiles. Peut-on encore croire tout ceci cependant?

Alors qu’on pouvait attendre que le confinement propulse leur offre 100% mobile à des prix imbattables, la crise pandémique a été sévère avec beaucoup de fintechs. Particulièrement avec celles qui concurrencent directement les banques, ces néo-banques qui pour beaucoup, comme Monzo, dont la capitalisation s’est effondrée de 40%, ont dû avoir recours au chômage partiel. En France, la crise a précipité la fermeture de Morning, de Ditto, de C-Zam…

Mais la crise, en l’occurrence, n’a fait que souligner dans bien des cas le caractère intenable d’un business model qui conduit nombre de nouveaux acteurs à proposer, très loin de la forte innovation attendue, pratiquement la même chose que les banques. En parallèle, les fintechs proposent beaucoup moins de choses que les banques en termes de produits et notamment de crédit.

Des comportements qui évoluent lentement

Commun à beaucoup d’entreprises innovantes depuis de nombreuses années, le modèle de développement que retiennent généralement les fintechs repose en effet essentiellement sur l’appel à des investisseurs, qu’il faut convaincre de payer l’avenir en reportant à plus tard la rentabilité et en s’efforçant, quitte à travailler à perte, de gagner en taille pour devenir incontournable sur son marché.

Il est assez étrange que ce schéma de développement, commun dans le monde des start-ups, ait été largement retenu sur le marché bancaire. Car, sur ce marché, les évolutions de comportements des clients sont lentes. Et les nouveaux acteurs affrontent des banques très installées et capables de proposer rapidement la même chose qu’eux. D’autant plus que la course à la taille et aux investisseurs oblige ces nouveaux acteurs, par souci de lisibilité, à prendre peu de risques et à s’en tenir à une offre simple mais restreinte – des comptes et moyens de paiement pour l’essentiel – et rapidement banalisée. Il suffit de considérer à quelle vitesse ont notamment été copiés les comptes pour voyageurs d’abord proposés par N26 et Revolut, qui faisaient lors de leur lancement la spécificité de ces deux néo-banques parmi les plus conquérantes en Europe.

Ainsi, la disruption tant attendue a largement été sacrifiée. Les néo-banques pour les indépendants et les professionnels sont désormais assez nombreuses par exemple. Mais s’il s’agit de répondre aux principales difficultés qu’affrontent indépendants et professionnels (irrégularité des revenus, décalages subis de trésorerie, incertitudes, …) force est de constater que les banques traditionnelles, depuis quelques années, innovent davantage que des néo-banques qui, pour beaucoup, n’offrent même pas de solution de découvert.

Des ressources par client qui baissent

Dans ces conditions, la fragilité des résultats des néo-banques – telle que la souligne une récente étude de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – n’est pas surprenante. Le nombre de leurs clients augmente mais le PNB (produit net bancaire) moyen réalisé par client baisse: de 106€ en 2016 il est passé à 99€ en 2018. Peu de clients sont actifs, en effet. La quasi-totalité des résultats se concentre sur 20% d’entre eux. Le coût d’acquisition des nouveaux clients, pourtant, est ruineux, notamment avec les montants versés pour le parrainage.

Et quant à l’agilité, quant à la maîtrise technologique des néo-banques, on lit dans l’étude de l’ACPR : "il est à noter que cette étude s’appuie sur une collecte de données statistiques ad hoc dont on peut déplorer la mauvaise qualité pour une majorité d’établissements interrogés, ce qui peut surprendre de la part d’acteurs du digital, dans la mesure où la maîtrise de la donnée et de la connaissance client constituent des éléments-clés du développement stratégique et de la rentabilité".

Bien entendu, les "fintechs" ne vont pas toutes disparaître. Loin de là. D’autant que si la crise a plutôt fragilisé les néo-banques non-adossées à un grand groupe bancaire, elle a favorisé certaines fintechs, nous allons le voir. Par ailleurs, de nouveaux acteurs comme l’anglaise Starling Bank – une néo-banque portée par une vision réellement ambitieuse – ont montré une réactivité assez remarquable dans le contexte du confinement.

Nous n’annonçons donc pas la disparition des nouveaux acteurs que l’on regroupe comme "fintechs". Nous voulons seulement souligner que ce dernier terme ne parait plus réellement pertinent s’il correspond à l’attente que, face à des banques dinosaures, d’agiles jeunes pousses, sans réelle connaissance du marché mais douées d’une forte créativité technologique, inventent une banque toute nouvelle et performante, à des prix imbattables. Une telle vision, énième version du combat des Anciens contre les Modernes, parait désormais bien trop limitée, comme la crise que nous traversons invite à le considérer.

Apprendre à fonctionner en dehors de leur réseau bancaire

Car si certaines néo-banques ont été malmenées ces derniers mois, d’autres fintechs ont au contraire tiré parti de la crise. Ce sont notamment les spécialistes des paiements en ligne comme Klarna, Adyen ou Transferwise. Deux stratégies de développement distinctes apparaissent ainsi parmi les nouveaux acteurs. Les uns, néo-banques en tête, veulent à l’instar des banques traditionnelles bâtir leur développement autour d’une relation client privilégiée et durable. Cela commence forcément par l’ouverture d’un compte et cela emprunte désormais prioritairement les canaux digitaux tout en s’ouvrant de plus en plus à une dimension de banque plateforme, élargissant les offres à travers des partenariats.

Pour d’autres acteurs, cependant, l’ouverture de compte est bien moins prioritaire que la conquête d’un réseau de distribution élargi par rapport auquel l’établissement financier peut très bien intervenir en marque blanche, en Bank as a Service – en banque "invisible". Pour élargir ensuite son offre, comme Klarna par exemple avec le paiement fractionné.

Cette approche suit un constat décisif, dont la crise va accélérer la prise de conscience: pour l’essentiel, les banques commercialisaient leurs offres à travers leurs propres circuits de distribution, dont les agences représentaient les maillons essentiels. Désormais, l’enjeu pour elles n’est pas tant de basculer ce qui intervenait en agence sur les canaux digitaux que d’apprendre à fonctionner sur des réseaux de distribution non propriétaires, comme cela a déjà lieu avec le crédit à la consommation. Les plus grandes banques américaines l’ont compris, qui se rapprochent des GAFA, dont on croit à tort qu’ils vont se transformer en banques et concurrencer frontalement ces dernières, alors qu’ils vont bien plus probablement devenir des distributeurs exigeants de produits financiers.

Les deux approches – banque plateforme ou banque invisible, pour faire court - ne s’opposent pas. En Asie, une banque comme DBS a commencé à conjuguer les deux de manière très intéressante. Mais ces deux approches n’opposent pas les banques aux fintechs. Les unes et les autres doivent relever ces nouveaux enjeux, de sorte que continuer à les opposer strictement parait assez factice. Parce qu’elle est l’une des toutes premières en France à avoir choisi d’explorer la stratégie de banque invisible, nous avons pu présenter dans un précédent article Banque Casino, créée en 2001, comme la vraie néo-banque française.

Au total, s’il faut parler de la fin des fintechs, c’est donc pour souligner le remarquable développement de licornes comme Klarna, Adyen, Transferwise et quelques autres. C’est pour marquer que, sur de nouveaux territoires, ces opérateurs ont su dépasser un business model qui, pour être celui de la plupart des acteurs de la tech, parait bien trop limité dans le domaine financier. De sorte que c’est finalement inviter à considérer que la mise en concurrence réelle des banques classiques ne fait que commencer.

Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor