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Guillaume Almeras

La politique de la BCE vis-à-vis des banques est-elle cohérente ?

La BCE a décidé de maintenir à un niveau particulièrement bas non seulement les taux d’intérêt des opérations principales de refinancement, mais aussi ceux qui concernent les facilités de prêt marginal et de dépôt.

La BCE a décidé de maintenir à un niveau particulièrement bas non seulement les taux d’intérêt des opérations principales de refinancement, mais aussi ceux qui concernent les facilités de prêt marginal et de dépôt. - Daniel Roland - AFP

Le discours de la BCE fait plutôt consensus, pour dire que le secteur bancaire a bénéficié des « largesses » de la BCE (taux bas, refinancements directs) et que sa faible rentabilité actuelle n’est imputable qu’à lui-même.

Alors que, fin mars, la Banque centrale européenne s’était montrée ouverte à une évolution de son dispositif de taux négatif, qui frappe les réserves excédentaires que les banques conservent dans ses livres – ce qui avait fait bondir les valeurs bancaires en bourse – Mario Draghi, le Gouverneur de la BCE, s’est montré beaucoup plus réservé la semaine dernière. La BCE va se contenter d’étudier la possibilité de faire évoluer ce dispositif. Par ailleurs, a-t-il été annoncé, seront prochainement précisées les conditions de la troisième série d’opérations ciblées de refinancement des banques à long terme (TLTRO III), qui interviendront à partir de septembre prochain. Personne ou presque n’a relevé que les deux annonces sont assez contradictoires. Pourquoi est-il nécessaire de refinancer les banques dans des conditions particulières, si elles ont tant de réserves qu’il faut leur appliquer un taux de dépôt négatif pour les réduire !?

Les banques ont proposé à la BCE d’introduire des paliers, leur permettant de ne payer des intérêts négatifs sur leurs réserves excédentaires qu’au-delà de certains seuils. Pour le moment, cette solution restera à l’étude, leur a répondu Mario Draghi et, de manière générale, les commentateurs ont salué son attitude. La BCE n’a pas pour mandat d’assurer la profitabilité des banques, a-t-on rappelé.

Le discours de la BCE fait plutôt consensus, pour dire que le secteur bancaire a largement bénéficié des « largesses » de la BCE (taux bas, refinancements directs) et que sa faible rentabilité actuelle n’est imputable qu’à lui-même. On a pu lire, une nouvelle fois, que « regorgeant de liquidités », les banques les « laissent dormir » à la BCE plutôt que de les injecter dans l’économie. En ce sens, le taux négatif qui frappe leurs réserves excédentaires n’a d’autre but que de les inciter à prêter.

Quelle est en fait la situation ? Les banques se refinancent auprès de la BCE à 0% (0,25% à très court terme). Aux réserves « excédentaires » (ie : excédentaires par rapport aux réserves qu’elles doivent réglementairement constituer) qu’elles déposent à la BCE est appliqué un taux négatif de -0,4%. Cela représente une facture de 7,5 milliards d’euros annuelle, supportée à 60% par les banques allemandes et françaises. Or, bien entendu, une telle situation parait assez paradoxale. Les banques, plutôt que prêter – ce qui est leur métier – les liquidités qu’elles peuvent trouver à la BCE et qui ne leur coûtent rien, préfèrent-elles en effet perdre de l’argent en les laissant dormir à la Banque centrale ? Soit les banquiers font preuve d’une rare et incompréhensible incohérence. Soit il y a autre chose qui n’est pas suffisamment pris en compte.

Dire que les banques refusent de financer l’économie ne tient pas. D’ailleurs, ne s’est-on pas inquiété récemment du niveau d’endettement des entreprises comme des ménages français ? De 2007 à 2017, les encours de crédit des banques françaises ont augmenté de 74% dans l’ensemble. Mais, l’année dernière, un point de saturation semble avoir été atteint (la production de crédits à l’habitat a baissé de 20%).

Quand les banques prêtent moins ou ne prêtent plus, c’est que la demande est faible, ou bien que les marges appliquées aux crédits ne couvrent pas les risques estimés. Et les deux phénomènes peuvent se conjuguer. C’est effectivement le cas entre les banques elles-mêmes : incertitudes sur les risques (les montants de créances en souffrance portées par les banques sont de nouveau en hausse dans la zone euro) et demandes de refinancement largement satisfaites auprès de la BCE aux meilleures conditions. De sorte qu’avec le taux négatif qu’elle applique aux réserves excédentaires, la BCE parait reprendre d’une main ce qu’elle donne de l’autre. Ce taux ne représente finalement que le véritable loyer des liquidités qu’elle distribue. Sans réel impact sur le financement de l’économie, néanmoins, puisque ces réserves sont surtout la conséquence d’un marché interbancaire que les interventions de la BCE réduisent.

Ce n’est là qu’une dissonance de plus, parmi celles que l’on entend dans beaucoup de discours tenus sur les banques. On veut favoriser l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché bancaire. Le Premier Ministre, Edouard Philippe, a récemment déclaré que la montée en puissance des fintechs pourrait signifier plus de pouvoir d’achat pour les ménages et les entreprises, en réduisant, avec les frais bancaires, leurs dépenses contraintes. Mais d’un autre côté, on se soucie que les banques soient suffisamment solides pour relayer les politiques monétaires et, dans des économies peu désintermédiées, donc très largement financées par les banques, on redoute une restriction du crédit.

La réglementation barrière représente une massive barrière à l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché bancaire. Mais, dans le même temps, elle fragilise les banques en les obligeant à accumuler des fonds propres (ils ont quasiment doublé en dix ans) de moins en moins bien rémunérés (en France, les ROE bancaires sont passés de 12,4% en 2005 à 6,5% en 2016. Et les banques françaises ne sont pas les plus à plaindre. Pour l’ensemble des banques de la zone euro, on est passé de 16,4% à 1,4% sur la même période).

Avec des taux très bas, le rendement des actifs bancaires est de plus en plus faible (le ROA moyen des banques de la zone euro est passé de 0,63% en 2005 à 0,09% en 2016). Mais on applique des taux négatifs.

Les banques, dit-on volontiers, doivent changer de modèle. Cela semble inévitablement passer par une baisse des coûts. On commence même à assister à une surenchère entre établissements en matière de fermetures d’agences. Est-on prêt néanmoins à supporter les impacts pour les territoires et sur l’emploi, si les banques devaient rapidement réduire leurs effectifs d’un quart et leurs agences d’un tiers, comme vient de l’annoncer la Commonwealth Bank australienne ?

Lors de sa dernière communication, Mario Draghi a une nouvelle fois appelé à des concentrations bancaires. Il estime que le système bancaire européen est « surpeuplé ». Cependant, la politique monétaire menée rend aujourd’hui tout à fait incertaines les perspectives de développement des banques. De sorte que l’on pourrait en fait se retrouver avec des banques nettement affaiblies, moins capables de financer l’économie et, à la différence de pays comme les Etats-Unis, sans réelles solutions alternatives.

Guillaume ALMERAS