BFM Business
Christophe Bourgois Costantini

La vertu des contraintes, ou comment sortir renforcé d’une épreuve

Une manifestation de gilets jaunes - Image d'illustration

Une manifestation de gilets jaunes - Image d'illustration - Charly Triballeau - AFP

Alors que le gouvernement fait face à une crise sans précédent, il serait bon que ses membres réfléchissent à la formidable opportunité qu’elle offre pour l’avenir de notre pays.

Nous sommes en 1948, aux Jeux Olympiques de Londres. Voici venir la discipline du tir rapide à 25 mètres au pistolet. L’argentin Valente, le favori, voit s’avancer vers lui la silhouette d’un participant. Il le reconnaît, d’autant qu’il manque à l’homme une partie de son avant- bras droit.

- Que…que fais-tu là ? bafouille Valente, surpris.

- Je viens… apprendre, répond sagement l’homme au visage émacié, les yeux noirs, les pommettes saillantes et les cheveux de jais ramenés sur l’arrière.

Quelques heures plus tard, l’infirme remportait la médaille d’or, pulvérisant au passage le record du monde de dix points. En tenant son pistolet de la main gauche.

Karoly Takacs est un Hongrois né en 1910. Militaire de carrière, il montre de réelles dispositions au tir au pistolet, au point qu’il devient en 1936 l’un des meilleurs de la planète en tirant avec son bras le plus naturel… le droit car il est né droitier.

Les jeux Olympiques de Berlin avancent à grand pas et il représente une grande chance de médaille. Mais le sort lui réserve un premier mauvais tour : les militaires magyars ont édicté une règle inique qui impose que les représentants aux Jeux Olympiques dans cette discipline soient des officiers. Simple sergent, Karoly Takacs se voit donc privé de la plus belle des compétitions sportives. Il continue malgré tout de s’entraîner.

Bien lui en prend puisque la Hongrie abroge ce règlement absurde. Il peut donc rêver de l’olympiade suivante au Japon, en 1940. Mais le mauvais sort s’acharne : lors de manœuvres militaires en 1938, une grenade défectueuse emporte sa main droite. Il passera un mois à l’hôpital, dans d’atroces souffrances. N’importe qui aurait abandonné. Il s’entraîne dans le plus grand secret à tirer de la main gauche au point de remporter le titre national et de largement contribuer au titre mondial par équipe en 1939.

A lui les Jeux Olympiques et la médaille d’or ! Mais le sort n’en a pas fini. La guerre embrase l’Europe et emporte les rêves d’olympiades de 1940 et 1944. Takacs combat brillamment sur le front et les communistes voient en lui un porte-drapeau idéal de leur propagande.

Finalement, il se présente aux Jeux de Londres qu’il remporte contre le favori de l'époque, l'argentin Valente. L’histoire ne s’arrête pas là. Il participera également aux Jeux d’Helsinki en 1952 et il sera de nouveau médaillé d'or.

Karoly Takacs symbolise au mieux la vertu des contraintes.

Depuis l’école nous sommes formatés pour suivre en règle générale une trajectoire rectiligne, laquelle obéit à des lois assez simples : si on travaille à l’école, qu’on passe son bac, qu’on fait des études, on réussit dans la vie.

Que c’est bon de se tromper !

En théorie. Mais on nous a surtout appris à ne pas avoir le droit à l’erreur. Pire, avec une seule intelligence prégnante, la mathématique algorithmique, on ne nous a pas forcément donné les clés d'une adaptabilité face aux difficultés. Nos élites trouvent tout de suite du travail à la sortie de leurs écoles. Ils ne sont jamais en position de danger et n’ont pas appris à se remettre en question.

Et pourtant, que c’est bon de se tromper ! Que c'est sain de comprendre que la volonté à elle-seule ne peut pas tout. Que c’est salutaire d’innover face à une contrainte, de puiser dans ses intelligences multiples pour réinventer ou tout simplement inventer son grand style.

La vertu des contraintes c’est devenir l’alchimiste de sa vie, c’est transformer un écueil en or. C'est accueillir le problème et trouver des solutions jusqu’à lors inenvisageables.

Winston Churchill était bègue. Comment a-t-il pu ainsi devenir la figure tutélaire du Royaume-Uni ? Conscient de son handicap, il préparait avec beaucoup d'attention ce qu’il avait à dire lorsqu’il s’exprimait en public. Il marchait en long en large dans son bureau tandis qu’il élaborait en bégayant la première version de son exposé. Ensuite, la secrétaire tapait à la machine le texte dicté. Churchill le remaniait et le soumettait à sa femme Clémentine.

Celle-ci formulait parfois des remarques et Churchill modifiait le texte en conséquence. Il indiquait aussi les pauses qu’il comptait faire. Celles-ci étaient nombreuses. La plupart du temps, les phrases étaient découpées en segments de quatre cinq mots. Churchill s’efforçait ensuite de mémoriser son texte tandis qu’il le lisait à haute voix, apportant de nouvelles corrections.

Point de bascule

Enfin, ayant pris place à la tribune, il prononçait son discours, ses notes sous les yeux. Il parlait lentement et d’une voix grave qui prenait racine dans ce corps épais, procédait à des courtes pauses. C’est ainsi que le 13 mai 1940 il se présenta à la chambre des communes pour ce qui restera dans l’histoire comme un modèle magistral de prise de parole. "Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur". Sans la contrainte du bégaiement, aurait-il été aussi convainquant au point d'emporter tout le pays avec lui ? Il y a de fortes probabilités que le destin de la guerre ait basculé à cet instant.

La crise actuelle, qui voit le crépuscule du modèle de l’organisation du travail, l’OST et ses limites algorithmiques, est perçue comme une contrainte. Elle offre au contraire une matière formidable pour se réinventer, pour aller chercher la part heuristique, créative, innovante chez l'individu et dans les organisations.

Présentée comme une opportunité, elle peut devenir un ciment sociétal, fédérer une équipe, vous faire prendre conscience du véritable chemin de votre vie.

Neuf intelligences

Je me souviens avoir coaché une femme en peine. Elle venait d’être licenciée d’un laboratoire pharmaceutique dans lequel elle occupait le poste de directrice des achats. L’essentiel de son travail reposait sur la logique des chiffres. Son mari, mécontent de la situation, n’avait de cesse que de la pousser à retrouver un job équivalent, au prétexte que les traites étaient encore nombreuses sur le dos du couple. Elle envoyait donc des CV pour être acheteuse dans d’autres sociétés, en vain.

Ce qui me frappa lors de notre première rencontre fut la manifestation d’une intelligence qu’elle ignorait posséder : l’intelligence spatiale, logée comme neuf autres dans le cerveau. Les intelligences multiples. Nous avons capitalisé sur cette aptitude sur quelques séances. Puis une autre intelligence est apparue, là aussi enfouie depuis l’enfance : elle avait le don de nouer des relations, soit une intelligence relationnelle hors norme, elle aussi logée dans le cerveau.

Finalement, elle a envoyé un seul CV, à l’attention d’un opérateur majeur dans la vente de biens immobiliers atypiques qui correspondait idéalement à la prise de conscience de ses aptitudes. Et elle a été prise. Elle est désormais heureuse.

Le reflet du miroir 

La vertu des contraintes, c’est de vous faire comprendre à un moment clé de votre vie que l’essentiel n’est pas de réussir dans la vie mais de réussir sa vie. De prendre du recul et de chercher à savoir si vous devez votre poste actuel à votre seule initiative ou dans le simple but de rester dans le droit fil d'un choix parental.

La vertu des contraintes c'est affronter un nouveau problème, laisser murir ses réflexions, puis de lâcher prise afin de favoriser l'émergence de l'intuition, du latin Intuitio, ce qui vient de l'intérieur, du subconscient, et qui jaillit vers l'extérieur à point nommé.

La vertu des contraintes, lorsque vous êtes confrontés à un tiers qui vous met des bâtons dans les roues, c’est de vous poser sans cesse la question : mais qu’est-ce que je vois chez l’autre que je n’aime pas chez moi ? De comprendre qu'il agit comme un miroir de vous-même. Et ainsi de remercier la vie d'avoir mis cet obstacle devant vous, qui vous permettra de grandir, de mesurer le chemin qui vous reste à parcourir pour être libéré des contraintes.

Alors que le gouvernement fait face à une crise sans précédent, il serait bon que ses membres réfléchissent à la formidable opportunité qu’elle offre pour l’avenir de notre pays.

Christophe BOURGOIS-COSTANTINI