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Guillaume Almeras

Le marché immobilier est-il vraiment tiré par la baisse des taux ?!

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La baisse des taux des crédits alimente la demande sur le marché immobilier: telle est l'explication amplement ressassée. Mais le net déclin -peu médiatisé- de la production de crédit par les banques, vient mettre à mal cette belle théorie...

Dans sa dernière publication, sur le financement de l’habitat en 2018, l’ACPR annonce que "dans un environnement de taux d’intérêt durablement bas, le marché de l’immobilier résidentiel a été très dynamique en 2018: le nombre de transactions a atteint un nouveau pic historique de 970.000 ventes, bien au-delà de la moyenne de 788.000 observée depuis 2000, tandis que l’indice INSEE des prix dans l’ancien a progressé de 3,2% en métropole (+4,2% en Île-de-France et +2,8% en Province)". Une constatation qui n’a rien de surprenant. Elle correspond à ce qu’on entend et lit un peu partout, y compris pour le premier semestre 2019: le marché immobilier affiche un solide dynamisme et, avec la faiblesse des taux d’intérêt, les transactions battent des records. Mais alors, dans ces conditions, comment expliquer qu’en 2018, selon les chiffres fournis par l’ACPR, la production de crédits bancaires à l’habitat… ait baissé de plus d’un quart (26%) !

Si les prix montent, portés par un nombre croissant de transactions, elles-mêmes dynamisées par d’excellentes conditions d’emprunt, le volume de crédits devrait lui-aussi augmenter. Or c’est le contraire ! L’ACPR explique que "la production annuelle de crédits à l’habitat s’est élevée à 203 milliards d’euros en 2018, un chiffre toujours nettement supérieur au montant moyen annuel depuis 2003 (145 milliards d’euros), bien qu’en baisse par rapport à 2017 (-26%). Ce retrait s’explique par la chute des rachats de crédits externes (-67%), qui sont passés de 23,6% de la production annuelle en 2017 à 9,5% en 2018 et se maintiennent à ce niveau au premier trimestre 2019". Les choses, en d’autres termes, ne sont pas du tout aussi simples qu’on l’admet généralement !

Si l’on considère le tableau suivant, on constate effectivement une forte hausse de la production de crédits de fin 2014 à l’été 2017:

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Ensuite, néanmoins, comme on le lit dans la publication de l’ACPR, la demande de crédits à l’habitat a nettement chuté. Les taux continuaient pourtant eux aussi à baisser.

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En fait, si l’on examine les chiffres de près, l’activité des banques en termes de crédits immobiliers ne semble pas aussi dynamique qu’on pourrait le croire. Les rachats et renégociations de crédits, plutôt que le financement d’acquisitions, ont représenté 41,6% de la production total en 2017. Et le développement du marché semble être pratiquement le fait d’un seul acteur, le Crédit Agricole :

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Au total, si l’on parle volontiers d’un fort dynamisme du marché immobilier, il ne se constate pas réellement dans les activités des banques dont, depuis plusieurs années et quels que soient les profils d’acquisitions, l’activité est en fait plutôt plate :

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Si l’on raisonne en termes d’emprunteurs, le constat est encore plus frappant. Il y a de moins en moins de nouveaux entrants (les achats dans l’ancien sont réalisés par des secondo-accédants à 58% et par des acquéreurs appartenant aux CSP+ à 59%). On regarde le niveau des taux mais les prix sont de toute manière devenus trop élevés pour beaucoup de foyers primo-accédants. De sorte que la politique monétaire de taux bas ne parvient pas à élargir le marché. Selon l’Observatoire des crédits aux ménages, en 2012, 31,4% des ménages portaient un crédit immobilier, dont le taux moyen atteignait 3,9% (au premier trimestre). Or, en 2017, alors que le taux moyen sur le premier trimestre était tombé à 1,46%, en proportion moins de ménages (30,8%) portaient un crédit immobilier.

Le marché immobilier est-il vraiment tiré par la baisse des taux ainsi ? En 2011, 1,436 million de foyers ont souscrit un crédit immobilier, contre 1,285 en 2017. Dans le même temps, pourtant, les taux moyens applicables aux crédits immobiliers ont été divisés par plus de 2 ! Apparemment, le marché se renouvelle de moins en moins et est porté par des segments spécifiques, comme l’immobilier de luxe, dont les transactions ont bondi de 34% en 2018. En tous cas, l’élasticité de la demande à l’évolution des taux ne parait pas automatique.

Dès lors, comment expliquer la hausse globale des transactions ? Cette hausse est incontestable, même si elle appelle apparemment quelques réserves, à lire la dernière Lettre de conjoncture des Notaires de France: "avec 1.020.000 transactions réalisées sur douze mois à fin juillet 2019 (+7% sur un an), le volume annuel des transactions confirme le dynamisme exceptionnel du marché immobilier. Il est supérieur à celui cumulé sur un an le trimestre précédent (984.000 à fin mars), ainsi qu’à celui constaté un an plus tôt (953.000). Néanmoins, pour autant que ce record historique ait valeur d’étalon dans les années à venir, la proportion de ventes reste équivalente aujourd'hui à celle du début des années 2000, si on la rapporte au stock de logements disponibles qui augmente d’environ 1% par an". Les notaires parlent d’une demande qui ne cesse de se développer et d’une augmentation constante du nombre d’acquéreurs. Mais pas d’emprunteurs ?

On trouve, ici et là, quelques informations éparses qui permettent d'envisager que l’acquisition immobilière, désormais, se finance moins à crédit. Ceci tenant notamment au fait que des acquéreurs de plus en plus âgés (17% des acquéreurs ont plus de 50 ans, contre 11% il y a cinq ans) sollicitent moins de financements (ainsi, 13,9% des acquéreurs aujourd'hui sont des retraités, qui financent à crédit seulement 65,2% de leurs investissements immobiliers, contre 78% pour l’ensemble de la population). Mais, d’un autre côté, la durée des prêts bancaires, comme la faiblesse des apports personnels, atteignent des niveaux historiques.

Bref nous n’avons pas d’explication. Mais de ne pas avoir trouvé de réponse nous surprend moins... que de n’avoir vu nulle part ailleurs la question posée !

Guillaume Almeras