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Guillaume Almeras

Les banques ne devraient pas condamner leurs DAB trop vite. Au contraire !

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- - PHILIPPE HUGUEN / AFP

Moins rentables, concurrencés par le mobile, les distributeurs automatiques de billets sont de moins en moins nombreux.

L’affaire parait entendue : le développement de la banque sur mobile va toujours plus limiter les besoins en cash et les DAB (Distributeurs Automatiques de Billets) ou (GAB (Guichets Automatiques de Banque), malgré les quelques opérations qu’ils permettent de réaliser en plus des retraits d’argent, comme la consultation de comptes, sont inévitablement condamnés à voir leur nombre réduit et même à disparaître. Un peu comme les cabines téléphoniques, dont la dernière, en France, a été démontée cette année.

Déjà, dans de nombreux réseaux, ce sont près d’un quart des machines qui ne sont plus rentables. De fait, si les banques transforment leurs agences, leurs automates, eux, ont très peu évolué ces dernières années (notamment depuis la baisse de la commission interbancaire liée à leur utilisation). Pourtant, de nouveaux modèles sont apparus. Mais limités à l’essentiel (GAB fonctionnant sans carte, sans clavier et même sans écran). N’y aurait-il pas bien mieux à faire ?

La question doit d’abord être posée en termes de management de l’innovation. Pour des entreprises importantes et installées comme les banques, en effet, trois fautes sont particulièrement pénalisantes (mais très courantes !). La première consiste à croire au changement instantané des comportements de ses clients, dès lors que de nouvelles offres ou de nouveaux outils leur seront proposés. La deuxième est de n’innover que sur un ou quelques aspects. Et la troisième revient à être suiveur, en rendant accessible avec retard ce que d’autres ont déjà proposé, sans marquer de vraie différence.

Supports prioritaires d'innovation

De ces trois erreurs, on peut tirer a contrario trois principes vertueux. S’il ne s’agit pas de croire au changement instantané des comportements sous l’impact d’une innovation, il convient aussi bien de ne pas obliger au changement, en ne proposant notamment les nouvelles offres que sur un seul canal. Deuxième principe : s’il convient de ne pas innover sur un ou quelques aspects seulement, il faut s’efforcer de refondre l’ensemble de la relation client. Enfin, on évitera de paraître suiveur en capitalisant sur ses propres atouts, en les faisant évoluer de manière prioritaire. Tout cela peut paraître théorique mais, concrètement, cela plaide pour que les banques utilisent leurs GAB comme supports prioritaires d’innovation.

Les comportements financiers comptent en effet parmi ceux qui changent le plus lentement. Aujourd’hui, en France, nettement moins d’un quart des clients en moyenne utilisent couramment l’appli de l’établissement qui tient leur compte principal. Bien sûr, experts et consultants font miroiter le point de bascule, toujours proche à les entendre, à partir duquel l’adoption des nouveaux outils deviendra exponentielle. Mais, en fait, les comportements financiers présentent une étrange particularité : quand une nouvelle offre est proposée, elle s’ajoute généralement aux précédentes plutôt qu’elle n’en réduit fortement l’usage. C’est ainsi qu’en France, aujourd’hui, on fait toujours beaucoup plus de chèques que ce que les prévisions ont régulièrement annoncé depuis plus de trente ans, suite à la mise à disposition de nouveaux moyens de paiement.

Les comportements ne changeront pas d’un seul coup ainsi et la fin de l’utilisation des GAB n’aura pas lieu dès demain. Certes, leur réseau doit être rationalisé – pourquoi pas à travers des rapprochements interbancaires d’ailleurs, comme ABN Amro, ING et Rabobank viennent de le décider aux Pays-Bas ? – tandis que les fonctions qu’ils proposent sont trop limitées. Or, à l’heure de l’omnicanal et des architectures ouvertes, les GAB ne pourraient-ils pas permettre de renouveler et d’élargir l’expérience client ? Les banques capitaliseraient ainsi sur l’un de leurs atouts. Car leurs automates, délivrant en de très nombreux points (on en compte en France moins que de feux rouges mais plus que d’abribus !) un service très simple et sécurisé, sont certainement un atout. En fait, ce sont même les premières vitrines des banques, que celles-ci valorisent finalement assez peu en tant que telles.

Relais urbains de proximité

Sachant que la banque digitale se développe, tandis que les GAB continueront à être utilisés, même à une moindre fréquence, comment les clients ne seraient-ils pas désagréablement surpris de ne pas trouver de continuité entre les deux ? Comment les automates pourraient-ils ne pas être ainsi des canaux de communication interactifs (par exemple à travers la visioconférence), des interfaces personnalisées, offrant bien plus de prestations, comme dans d’autres pays ? Sous ces conditions, les automates pourraient décharger les agences de nombre de demandes de guichet que, sous leurs nouveaux formats, elles ne sont plus à même de traiter efficacement. Véritables relais urbains de proximité, ils pourraient également délivrer des services multi-enseignes – accompagnant des clientèles spécifiques (touristes par exemple), en certains lieux. Bref, au moins pour plusieurs années encore, l’utilisation des automates pourrait certainement être rehaussée.

Mais il faut aller plus loin et s’étonner, en termes de management de l’innovation, que les banques aient pu se priver à ce stade de leur principal canal de contact pour diffuser leurs nouveaux modes de relation clients ! Car s’il s’agit aujourd’hui d’adapter les automates aux applis mobiles, le cas de figure inverse – les automates habituant à utiliser les applis mobiles – n’aurait-il pas dû intervenir ? Les banques ne se privent-elles pas ainsi d’un puissant relais de conquête et de fidélisation face aux nouveaux acteurs capables de leur faire concurrence ?

Relation client

C’est qu’il y une objection de taille sans doute : est-il bien raisonnable d’investir dans les GAB aujourd’hui ? Cependant, sachant que les automates bancaires ne vont pas disparaître à court terme et qu’ils doivent donc de toute manière évoluer pour tenir compte des nouveaux comportements digitaux, la question est plutôt de savoir s’il ne serait pas finalement moins onéreux de les rentabiliser en développant leurs fonctionnalités et usages, plutôt qu’en les restreignant.

Car, si l’on interroge les spécialistes qui travaillent sur ces sujets, les coûts de développement seraient en fait assez limités. « Sans changer beaucoup les machines elles-mêmes, il suffirait de développer une simple couche applicative qui les transforme en kiosques de services, y compris ceux de partenaires extérieurs au besoin, en adaptant à leur ergonomie propre des fonctions accessibles sur d’autres supports numériques », explique ainsi Thierry Crespel d’Auriga SpA.

S’il faut retenir pour principes d’innovation un enrichissement d’ensemble de la relation client, offrant des solutions originales, prioritairement sur les principaux canaux de contact, les GAB se prêtent particulièrement à une telle évolution. D’autant qu’un autre principe, d’expérience, peut encore être ajouté, qui revient à compter que la plupart des établissements, malgré les meilleures intentions mais parce qu’elles permettent d’agir au plus court, au plus simple, en remettant le moins en cause les routines et les circuits de décision, reproduiront assez inévitablement les trois erreurs d’appréciation mentionnées ci-dessus. Lesquelles peuvent seules vraiment expliquer qu’à ce stade, les GAB aient encore si peu évolué.

Guillaume ALMERAS