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Guillaume Almeras

Les mutations du conseil aux clients: vers l'avènement de la "banque-nounou" ?

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La banque de demain sera sans doute fort différente de celle que nous connaissons encore. Mais de quelle façon? L'avis de notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

On l’imagine généralement sous la forme de projections technoïdes, avec toutes sortes de fonctions instantanées, dopées au machine learning, dans un monde hyper-connecté. Une telle vision n’est pas forcément inappropriée sans doute. Cependant, il conviendrait d’aller un peu plus loin. Car quel rôle rempliront alors les établissements financiers ?

On le mesure encore très mal mais, à suivre quelques tendances actuelles, ce rôle pourrait évoluer en réponse à des attentes des clients de plus en plus… puériles. Au sens propre, sans connotation péjorative, d’une demande de prise en charge et de surveillance de plus en plus complète. Et si demain les banques devaient prendre en compte le profil psychologique de leurs clients ? Et si elles étaient obligées de le faire ?

La BBC vient de publier le témoignage d’une jeune femme, Amanda Whiteman, qui disposant de 28 000 £ sur son compte courant, suite à une vente immobilière, a tout dépensé et de manière si futile qu’elle ne se souvient même pas de la plupart de ses dépense. Cela est normal, estime-t-elle, car elle est bipolaire. De sorte que la jeune femme met en cause sa banque, qui aurait dû le savoir et en tenir compte. Pensez donc, quand elle souhaitait retirer son propre argent, sa banque le lui donnait sans sourciller ! La propension des bipolaires à dépenser sans compter est pourtant bien connue.

Sauver des vies

On aurait tort de juger cette plainte excentrique et anecdotique. Elle recoupe en fait – certes de manière sans doute assez excessive – une véritable tendance en matière de relations bancaires.

D’ailleurs, le Money and Mental Health Policy Institute britannique a invité les banques à redoubler d’efforts face à leurs clients aussi psychologiquement que financièrement vulnérables. Et à le faire avec tact. Car il s’agit de les alerter au bon moment. Amanda Whiteman le reconnait : en pleine phase de dépenses compulsives, elle n’aurait supporté aucune restriction de sa banque !

Face à l’Institut, quelques banques ont bien plaidé qu’une surveillance de ce genre supposerait au minimum qu’elles aient une vision complète de tous les comptes dont leurs clients peuvent disposer chez différents établissements. Mais l’objection a été balayée. Les banques ne s’en tireront pas si facilement. Il s’agit de sauver des vies ! L’Institut a en effet souligné que 100 000 personnes endettées font des tentatives de suicide chaque année en Grande-Bretagne.

Avec de tels arguments, est-il tout à fait impossible d’imaginer qu’une obligation d’assistance psychologique finisse par apparaître dans la réglementation bancaire ?

Un consensus s’est installé pour dire que la banque digitale renforce l’autonomie des clients. Ce n’est cependant qu’un aspect des choses. Car, avec la banque sur mobile, se développent de nouvelles fonctions (épargne automatisée, gestion prévisionnelle de trésorerie pour éviter les découverts, alertes sur les dépenses, …) qui répondent à une demande d’assistance et de surveillance de leurs comptes de la part de nombreux clients. Le désir d’une véritable délégation de gestion budgétaire, permanente et automatisée, qui représente une mutation considérable de la fonction de conseil traditionnellement attachée à la relation bancaire.

Garde-fous

Certains acteurs l’ont bien compris, comme Monzo, l’une des (rares) néo-banques qui décollent et qui innovent véritablement. Monzo, qui s’est empressée de suivre les recommandations du Money and Mental Health Policy Institute, propose des garde-fous anti-addiction. Ses clients peuvent en effet choisir de bloquer leurs propres dépenses auprès de sites de jeux ou de paris en ligne.

Sur 3 millions de clients, 140 000 ont déjà choisi cette option et moins de 5% sont revenus sur leur décision – de sorte que Monzo envisage d’étendre ses garde-fous à d’autres types de dépenses comme la junk food, l’alcool ou le tabac.

A notre connaissance, une telle approche comportementale est unique. Cependant, elle pourrait bien ne pas demeurer singulière. Elle correspond en tous cas à une orientation des services bancaires que très peu d’établissements ont à l’esprit, alors même que beaucoup développent pourtant de nouvelles fonctions digitales qui y correspondent tout à fait.

Monzo ne veut jouer ni les censeurs, ni les pères-fouettards. Et pas davantage se positionner en banque "nounou" de ses clients. Si la néo-banque estime être en devoir de s’efforcer de détecter dans les données qu’elle recueille ceux parmi ses clients qui souffrent d’une addiction dangereuse (pour leur santé financière, voire pour leur santé tout court), elle se contente de leur en parler le cas échéant. A eux de prendre la responsabilité de lutter contre leur propre "self-exclusion" sociale. C’est ainsi que Monzo a nommé son service.

Une telle approche tient notamment compte du fait que, psychologiquement, culpabiliser ceux qui souffrent de travers addictifs ne sert pratiquement à rien. Dès lors, comment faire ? Il y a quelques années, la plateforme mexicaine de prêts en ligne CreditLikeMe a fourni à cet égard une piste étonnante.

Dès sa création en 2012 la plateforme, ciblant les millennials, se heurtait à des taux de défaillance énormes et compromettant tout développement possible (jusqu’à 64% des crédits n’étaient pas remboursés aux échéances prévues ou pas remboursés du tout !) Comment faire ? Pour y avoir joué toute leur jeunesse, les fondateurs connaissaient bien la puissance d’engagement des jeux en ligne et ils ont choisi de développer quelque chose d’équivalent. Les clients sont ainsi devenus des "players".

Mieux ils se comportent, en tant qu’emprunteurs, plus ils augmentent leur niveau de jeu et plus ils améliorent le taux d’intérêt auquel ils peuvent emprunter. La plateforme distribue en effet des crédits de faibles montants et vise un fort renouvellement des demandes de la part des… joueurs. Ceux-ci disposent d’une option de "pause". Ils peuvent suspendre le jeu. Concrètement, ils peuvent différer le remboursement de leur prêt d’un mois sans aucune pénalité. Et chaque joueur dispose de deux "vies". S’il les perd, notamment du fait de retards de paiement, il est pénalisé. Enfin, des "badges" et des "trophées" sont distribués.

Fidéliser et se faire connaître

Les objectifs de Creditlikeme étaient évidemment d’abaisser son taux de défaillance mais également de fidéliser ses clients et de se faire facilement connaître. Dix-huit mois après avoir mis en place cette approche, les retards de paiement de plus de trente jours étaient passés de 45% à 12% des encours, le taux de renouvellement des demandes de 70% à 92% et 90% des joueurs recommandaient la plateforme. Par ailleurs, à travers les différents niveaux de confiance distinguant les joueurs, des segments de clients "fiables" et fidèles ont pu être dégagés.

Bien entendu, un tel exemple, comme les précédents, peut laisser une assez forte impression d’inconfort. Très décalés par rapport aux pratiques courantes, ils introduisent des orientations psychologiques peu acclimatées dans l’univers bancaire. Et ils conduisent à se poser toutes sortes de questions délicates. Mais, d’un autre côté, de tels exemples soulignent qu’on a peut-être un peu trop tendance aujourd’hui, étrangement, à considérer qu’innover est facile, normal et pas si dérangeant.

Guillaume Alméras