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Guillaume Almeras

Les nouvelles stratégies bancaires sont-elles vraiment pertinentes ?

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S'il faut étudier cette question, c'est bien au travers du cas du financement de l’immobilier.

Les experts en stratégie bancaire s’accordent à dire que le modèle classique de développement de la banque de détail a vécu. Fondé sur la collecte de dépôts et l’équipement en moyens de paiement, puis sur la distribution de crédits, ce modèle ne correspond plus à un marché qui voit chaque jour apparaître de nouveaux acteurs plus agiles, qui concurrencent les banques (fintechs, néobanques) ou qui pourraient le faire (GAFA). Et ce modèle ne répond pas aux attentes des clients les plus jeunes.

Dès lors, que faut-il faire ? A suivre ce que préconisent les experts, les banques doivent renforcer leurs capacités digitales et s’efforcer de renouveler l’expérience qu’elles offrent à leurs clients. Cette expérience doit être bien davantage personnalisée, à travers l’exploitation des données. Cela parait incontournable dans la mesure où, pour chacun de leurs besoins, les clients trouvent désormais une multitude de fournisseurs, rivalisant d’ingéniosité et pratiquant des coûts imbattables. Dans ces conditions, les banques ne pourront résister qu’à travers un recentrage sur les besoins et attentes de leurs clients, particulièrement dans les moments clés de vie.

Ce discours est devenu dominant. Au moins au sein des cabinets de conseil. Car les banquiers, eux, se montrent souvent plus réservés. Non que ces orientations stratégiques, en elles-mêmes, ne soient pas pertinentes. Le problème est plutôt qu’elles tiennent assez peu compte de la réalité !

Le cas du financement immobilier

Quelles sont en effet les principales caractéristiques du marché de la banque de détail si l’on regarde les choses en face ? Une forte inertie marque les comportements des clients. De plus, il est difficile, notamment au plan réglementaire, de satisfaire largement leurs attentes sans accroître fortement les risques, y compris opérationnels. Enfin la concurrence qu’exercent les nouveaux acteurs demeure faible. Qu’on le veuille ou non, ces trois constats sont incontournables et les exemples qui les illustrent sont nombreux. En France, ainsi, le paiement sans contact commence à se généraliser. Il aura fallu dix ans.

Les plateformes de financement alternatif, qui promettaient, hors des banques, un accès facilité au crédit ne totalisent pas, toutes ensemble, le volume d’engagements de quelques agences bancaires. Quant aux banques en ligne et néobanques, bien moins de 10% des Français y détiennent leur compte principal. Depuis vingt ans (et à l’exception notable de la Chine), aucun nouvel acteur, nulle part, n’est venu sérieusement concurrencer les banques traditionnelles sur plus d’un de leurs métiers. Bien sûr, cela ne signifie pas que les choses ne vont pas changer. Mais il est difficile de ne pas en tenir compte. Quoique les recommandations stratégiques ignorent la plupart du temps ces différents constats.

Prenons plus précisément le cas du financement de l’immobilier. Cela fait des années que, dans ce domaine crucial pour elles, les banques, comme de nombreux nouveaux acteurs, ont déployé des outils digitaux innovants. Une idée s’est en effet très vite imposée : pour faciliter le parcours client, il conviendrait de coupler recherches immobilières et demandes de financement. Répondre de manière rapide, voire instantanée, aux demandes permettrait en effet d’orienter et d’affiner les recherches des clients, aussi bien que de faciliter leurs décisions. Différents outils et dispositifs ont ainsi été proposés.

De l’introduction de carnets de recherche dans les applis bancaires jusqu’à permettre à des plateformes immobilières d’intégrer (au moyen d’API) les capacités d’emprunt de leurs visiteurs, pour mieux les orienter. En passant par les véritables places de marché immobilières qui ont pu être montées, le plus souvent en partenariat, par différentes banques. A quelques rares exceptions près, toutefois, nulle part à ce stade ces initiatives n’ont suscité un vif intérêt. Pire, les clients qui y ont recours les jugent souvent décevantes. Sans doute parce qu’elles réduisent singulièrement les possibilités qu’ils pensaient offertes à eux ! Face aux réalités du marché immobilier, cependant, les banques ne peuvent pas faire de miracles.

Face à la hausse des prix immobiliers, ainsi, ne sont apparus que des dérivatifs. Le recours au Shadow Banking (multiplié par 3 aux Etats-Unis depuis dix ans) ou l’allongement des durées de prêts jusqu’à 50 et même 100 ans (notamment au Japon). On compte par ailleurs quelques solutions de garanties pour les clientèles qui accèdent difficilement au crédit immobilier (en France, seulement 1,7% des salariés en CDD et 6% des non-salariés) ou même à la location (mais les solutions s’assimilent souvent dans ce cas à une garantie contre les impayés de loyer facturée aux locataires).

En France, comme dans beaucoup d’autres pays, le marché immobilier, désormais, est mité. La demande se concentre en quelques endroits, où les prix flambent. Tandis qu’ils s’effondrent ailleurs. Les notaires parlent d’une fracture entre deux France. En 2018, les prix des appartements anciens ont augmenté de 9,7% à Amiens et ont chuté de 7,3% à Nancy. Ils ont gagné 7,7% à Tours et perdu 6,3% à Bourges. Au total, en volume, les crédits immobiliers se concentrent sur moins de vingt départements.

C’est que sur les vingt dernières années, dans la quasi-totalité des pays de l'OCDE (à l'exception du Japon, de l'Allemagne et de l'Italie), la pierre a grimpé nettement plus vite que les salaires par tête. Même en intégrant la baisse des taux d'intérêt à long terme, le prélèvement total sur le revenu lié à l'acquisition d'un logement a progressé plus vite que les rémunérations. Cela signifie que, sauf dans quelques villes (Paris, New York, Moscou, Singapour ou Bombay), où les revenus réels continuent à progresser davantage que les coûts du logement, l’immobilier n’est plus vraiment pour les banques un marché porteur, sinon de manière de plus en plus cantonnée. L’an dernier, leur production de crédits immobiliers s’est d’ailleurs réduite de 20%.

Or, il en va exactement de même pour les nouveaux acteurs dont les offres, finalement assez limitées et très ciblées, s’adressent prioritairement, bien plus qu’aux emprunteurs, aux gérants et aux investisseurs. Solutions de financement participatif (comme Anaxago, Crowdstreet) ou de crowdbuying (comme Stayhome sur le marché des emprunteurs en difficulté – il y a en France 15 000 saisies immobilières par an). Facilitation des actes notariés (MyNotary, FoxNot) ou vérification des dossiers locataires (Locatio). Gestion de multilocations (Deposify). Etc.

De nouveaux dispositifs d’écoute et d’interaction

Dans le même temps, une demande générale et de plus en plus anxieuse chez les jeunes d’accès à la propriété ou tout simplement au logement devient difficile à satisfaire. Or, à cet égard, personnaliser les offres représente certainement une orientation intéressante mais n’est pas en soi la solution. Comme l’illustrent les courtiers immobiliers en ligne, qui en dix ans ont su peser sur le marché immobilier, l’enjeu est plus proprement de parvenir à définir de nouveaux dispositifs d’accompagnement des clients susceptibles d’être généralisés, tout en présentant, compte tenu de l’inertie des comportements tant que les attentes réelles ne sont pas traitées, un retour sur investissement suffisamment rapide. Les banques y travaillent actuellement en révisant leurs process et en s’attachant à en effacer les « points de douleurs ». En mettant en place de nouveaux dispositifs d’écoute et d’interaction. Mais aussi en rendant leurs critères de sélection plus transparents et en favorisant les solidarités générationnelles et familiales.

Cela conduit à formuler deux constats stratégiquement essentiels. Dans les conditions qui prévalent sur un marché comme celui de l’immobilier aujourd’hui, seules des banques suffisamment universelles ont la taille et les moyens de jouer pleinement un rôle d’assembleur de solutions nouvelles, notamment à travers des partenariats. Dès lors, si cela fait vingt ans qu’on nous ressasse que de nouveaux acteurs vont supplanter les banques (il n’y a que les nouveaux acteurs qu’on destine à ce rôle qui changent), il serait peut-être temps de renouveler les discours pour apercevoir que la menace la plus immédiate pour les banques – c’est le second constat – est plutôt de voir certains de leurs marchés clés se resserrer. Le marché immobilier est en train d’évoluer en ce sens. Et le fait que, sur les dix dernières années, la croissance du PNB des banques françaises dans leur ensemble ait été inférieure à l’inflation est un signal d’alerte important.

Pour dire les choses plus clairement, la principale menace tient à une exacerbation des inégalités de revenus, ayant pour conséquence l’érosion des classes moyennes. Que celles-ci se restreignent ou se retrouvent de plus en plus exclues d’un marché comme celui de l’accession à la propriété, en effet, et les banques paraîtront vite disproportionnées et bien trop nombreuses. Les stratégies qui négligent ce point ne peuvent être vraiment pertinentes.

Guillaume ALMERAS