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Les régimes de retraite : une histoire de France (partie 1)

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- - Gérard Julien - AFP

Les régimes de retraite ont une histoire particulière et alimentent sans cesse les débats dans notre société. Vincent Touzé vous la raconte en 4 parties. Voici la première.

Notre système contemporain de retraite s’inscrit dans une longue histoire. A l’origine, la retraite n’était pas vue comme un droit à ne plus travailler à partir d’un certain âge, mais principalement comme la conséquence de l’âge qui rendait inapte à travailler. Avant notre époque moderne, la perspective de vivre vieux était réservée à peu d’individus en raison des conditions de vie difficiles et des connaissances médicales encore très insuffisantes. En l’absence d’institutions collectives pour mutualiser le risque vieillesse, la survie matérielle d’une personne âgée reposait alors souvent sur trois éléments : son aptitude à avoir épargné lorsqu’elle était plus jeune (ou sa chance d’avoir hérité), le soutien de ses enfants (solidarité familiale) et la charité privée.

Des premières pensions pour les anciens agents de l’Etat

Colbert, alors ministre des finances de Louis XIV, crée en 1673 un premier régime de retraite pour les marins de la Royale (Caisse des Invalides de la marine royale). Ce régime est réservé aux marins blessés ou invalides. Le régime est cofinancé par l’Etat et à l’aide de retenues sur les traitements des marins. L’objectif recherché est d’attirer et fidéliser les meilleurs marins au service de la marine militaire. Ce régime est ensuite étendu en 1709 aux marins de la flotte commerciale qui constituent une réserve de force mobilisable en cas de conflit maritime. La monarchie poursuit à partir de 1768 l’extension de ce dispositif en le proposant plus largement à ses agents : militaires gradés, administration royale, personnel des Maisons royales, clergé et fermiers généraux (représentants du roi en charge de prélever l’impôt).

La Révolution de 1789 apporte une réorganisation du système de pension notamment en supprimant des pensions qui n’auraient pas été méritées et en réduisant celles qui seraient excessives (Thiveaud et al., 1995). La loi d’août 1790 crée le premier régime des fonctionnaires de l'Etat qui englobe pensions civiles, ecclésiastiques et militaire. La période qui suit conduit l’Etat dans un embarras financier grandissant, avec d’un côté l’attribution de nouvelles pensions à un nombre croissant d’anciens agents de l’Etat et d’un autre côté, une hausse sensible du nombre d’emplois publics. La défaillance des finances publiques et l’inflation élevée vont considérablement réduire le pouvoir d’achat des pensions attribuées.

Très rapidement, les fonctionnaires s’organisent par eux-mêmes en créant, en parallèle, des caisses autonomes de retraites financées par une cotisation sur leurs traitements. Sous la Monarchie de juillet, en 1831, un régime spécifique des pensions militaires est créé. Plus tard, le 8 juin 1853, l’empereur Napoléon III promulgue une loi pour unifier les régimes des fonctionnaires rémunérés sur le budget de l’Etat. Cette loi sur les pensions civiles institue un droit à la retraite à partir de 60 ans, et à partir de 55 ans en cas d’emploi pénible. Les agents publics territoriaux en sont exclus et continuent à bénéficier de pensions versées par des caisses de retraite des collectivités locales.

Travailleurs du secteur privé : un développement lent 

Avec l’industrialisation naissante, le XIXème siècle est aussi celui de la question de la retraite ouvrière. Des formes collectives de retraite se développent lentement et sont peu généralisées. Elles s’appuient sur des sociétés de prévoyance (mouvement mutualiste) et des régimes d’entreprises. Différents régimes spéciaux naissent ainsi pour les employés des compagnies de chemin de fer (à partir de 1850, régime unifié en 1909), les mineurs (1897), les travailleurs de l’armement et des arsenaux (1909) ainsi que les salariés des entreprises du secteur de l’énergie (gaz puis électricité).

En parallèle, il faut aussi noter la mise en place, par quelques patrons « philanthropes », de régimes de protection sociale internes à leurs entreprises. Jean-Baptiste Godin, propriétaire de la fonderie éponyme, incarne bien ce mouvement : « avant de penser à faire participer les employés aux bénéfices, il faut leur assurer une position décente et assurer leur lendemain et celui de leur famille ». Pour ses salariés, il va créer, à partir de 1859, un système de protection sociale en cas de maladie, d'accidents du travail et ouvrant droit à une retraite aux plus de 60 ans.

Un premier régime de retraite par capitalisation obligatoire

En 1905, une loi prévoit l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables sous la forme de secours en espèces et d’une hospitalisation gratuite. Cette loi permet d’apporter un financement national supplémentaire aux caisses locales en charge de cette mission.

En 1910, une loi sur les retraites ouvrières et paysannes est votée. Il s’agit d’un premier régime de retraite par capitalisation obligatoire pour les salariés. La loi prévoit un droit à la retraite à partir de 65 ans. Cet âge tardif est très en dessous de l’espérance de vie des travailleurs. A l’époque, de nombreux acteurs politiques et sociaux dénoncent un système de « retraite pour les morts ». En 1912, l’âge de liquidation est abaissé à 60 ans. En l’absence d’une véritable obligation d’adhésion, beaucoup de travailleurs sont exclus de ce système de retraite. Ces régimes seront pénalisés par l’inflation et les pertes en capital consécutives à la première guerre mondiale.

Bibliographie

Hélène Chaput, Katia Julienne, Michèle Lelièvre (2007), « L'aide à la vieillesse pauvre : la construction du minimum vieillesse », Revue française des affaires sociales, pp. 57-83.

Confédération française des retraités (2008), « Les grandes lignes de l’histoire de la retraite ».

Gannon Frédéric, Le Garrec Gilles, Touzé Vincent (2018), « Réformer le système de retraite : pourquoi, comment ? », L’économie française 2019, La découverte, coll. Repères, 86-97.

Vivier Bernard (2010), « L'histoire des retraites : les grandes dates », Institut supérieur du travail.

Thiveaud Jean-Marie, Mérieux Antoine, Marchand Christophe (1995), « Le régime des retraites des fonctionnaires civils avant la loi de budgétisation du 8 juin 1853 », Revue d'économie financière, pp. 273-303.

Vincent TOUZE