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Les régimes de retraite : une histoire de France (Partie 4)

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Les régimes de retraite ont une histoire particulière et alimentent sans cesse les débats dans notre société. Vincent Touzé vous la raconte en 4 parties. Voici la dernière.

Les années 2000 : l’accélération des réformes

Au début des années 2000, les premiers babyboomers s’approchant de la soixantaine, le rythme des réformes va s’accélérer.

En 2003, la réforme Fillon augmente progressivement la durée de cotisation de 40 à 42 ans et fixe un objectif de décote de 1,25% par trimestre manquant. Cette augmentation s’applique à tous les régimes (y compris celui des fonctionnaires mais à l’exception des régimes spéciaux). Cette réforme prévoit aussi un dispositif temporaire « carrières longues » afin de récompenser ceux qui ont commencé à travailler très jeunes et qui ont déjà cotisé pendant 42 ans. Ces derniers ont alors le droit de liquider leur retraite à taux plein à partir de 56 ans au lieu de 60 ans. La loi de réforme des retraites de 2003 aboutit aussi à la création d’un régime additionnel de la fonction publique (RAFP). Ce nouveau régime obligatoire par capitalisation et par point prélève une cotisation de 10% (5% salariés, 5% employeur) sur les primes des fonctionnaires.

En 2007, le gouvernement Fillon réforme les régimes spéciaux (SNCF, RATP et EIG) avec un alignement progressif de leur durée de cotisation sur celle du secteur privé.

La crise économique et financière conduit à un important déficit du régime de retraite qui n’était pas prévu avant 2020. Dans ce contexte, Eric Woerth, ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique, décide de relever progressivement l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, à partir de 2011. Il prévoit aussi, à partir de 2016, un relèvement progressif de 65 à 67 ans de l'âge du taux plein. Il s’agit de l’âge à partir duquel le mécanisme de décote (règle de réduction du taux de remplacement de 1,25% par trimestre manquant) ne s'applique plus.

En 2012 et 2013, le gouvernement Ayrault adopte une nouvelle série d’ajustements. Il prolonge d’abord le dispositif carrière longue pour permettre une retraite à partir de 60 ans pour ceux qui ont travaillé jeune et qui ont déjà tous leurs trimestres. Il augmente également progressivement le taux de cotisation de 1,1 point ainsi que la durée de cotisation qui passe de 42 à 43 années pour les générations nées après 1973.

Face à des difficultés majeures de financement, les régimes de retraites complémentaires AGIRC-ARRCO ne sont pas en reste : la pension est gelée depuis 2013, le taux de cotisation augmente ; une décote est prévue en cas de liquidation lorsqu’un actif remplit les conditions du taux plein au régime de base.

Dans la fonction publique, des moyens d’équilibre financier plus discrets sont aussi mis en place. Depuis 2007, le quasi-gel de la valeur du point du traitement indiciaire des fonctionnaires a deux effets favorables sur les finances publiques : à court terme, il réduit la hausse de la masse salariale ; à plus long terme, il réduit la progression du dernier traitement de référence pour calculer les pensions.

La fin de l’histoire : la France est-elle prête à l’unification des régimes ?

En 2018, le système français de retraite voit cohabiter de nombreux régimes. Cet éclatement du système en de multiples régimes crée une complexité nuisible à sa lisibilité voire à son acceptabilité sociale (Gannon et al., 2018). Les réformes passées ont certes conduit à des effets bénéfiques en termes d’équilibre financier, mais des ajustements futurs seront très vraisemblablement nécessaires.

Le président Macron a annoncé une réforme majeure du système de retraite en 2019. Le projet s’inscrit sur un principe : « 1 euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ».

Un tel principe prône pour la convergence des systèmes de retraite vers un régime unique. L’idée est également d’adopter une forme de calcul de la pension retraite qui ressemble à celle utilisée aujourd’hui par l’AGIRC-ARRCO : les cotisations versées permettent d’accumuler des points ; à la retraite, la valeur de ce capital en points est convertie en rente viagère.

La réussite de ce projet de réforme va dépendre la capacité de nos gouvernements à organiser la transition entre l’ancien et le nouveau système. Plusieurs défis sont posés (Gannon et al., 2018) :

  1. Les droits déjà acquis : comment les valoriser dans le nouveau système ?
  2. L’assiette de cotisation : Pour les fonctionnaires, les primes hors traitement ouvriront-elles aussi des droits ? Quel sera le plafond de prélèvement ?
  3. Taux de cotisation : vers quel niveau les taux des secteurs privé et public devront-ils converger et à quel rythme ?
  4. Droits non contributifs : à quel niveau, le minimum retraite sera-t-il garanti ?
  5. Droits familiaux : avoir eu des enfants ouvrira-t-il toujours des droits supplémentaires ? Comment les pensions de réversion seront-elles calculées ?
  6. Pouvoir d’achat des pensions : quel sera l’indice de revalorisation ?

Des premiers éléments de réponse ont été apportés :

  • Le taux de cotisation cible sera de 28% ;
  • Le plafond sera de 10.000 euros mensuels (3 fois le plafond du régime de base actuel tandis que le régime complémentaire peut prélever aujourd’hui jusqu’à 8 plafonds) ;
  • La convergence sera lente : les primes des fonctionnaires ne seraient pas intégrées immédiatement ; les non-salariés pourraient faire l’objet d’un traitement particulier ; un projet de loi est prévu pour fin 2019 ; le nouveau régime serait mis en place en 2025 ; la réforme ne toucherait pas les salariés à 5 ans de leur retraite ; l’étalement de la réforme pourrait se réaliser sur 5, 10 ou 15 années.

Les questions restent encore nombreuses quant à la mise en place technique de la réforme et son impact sur les niveaux futurs de pension. Les débats à venir s’annoncent donc très intenses.

Bibliographie

Hélène Chaput, Katia Julienne, Michèle Lelièvre (2007), « L'aide à la vieillesse pauvre : la construction du minimum vieillesse », Revue française des affaires sociales, pp. 57-83.

Confédération française des retraités (2008), « Les grandes lignes de l’histoire de la retraite ».

Gannon Frédéric, Le Garrec Gilles, Touzé Vincent (2018), « Réformer le système de retraite : pourquoi, comment ? », L’économie française 2019, La découverte, coll. Repères, 86-97.

Vivier Bernard (2010), « L'histoire des retraites : les grandes dates », Institut supérieur du travail.

Thiveaud Jean-Marie, Mérieux Antoine, Marchand Christophe (1995), « Le régime des retraites des fonctionnaires civils avant la loi de budgétisation du 8 juin 1853 », Revue d'économie financière, pp. 273-303.

Vincent TOUZE