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Guillaume Almeras

« Ma banque et moi » : Quand les Français sont invités à débattre de l’argent et des banques

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Le Crédit Coopératif a lancé dans six grandes villes des débats entre clients et responsables bancaires afin de comprendre leurs attentes et leur rapport à l'argent.

Quand on est spécialiste des évolutions financières et bancaires, il est assez pénible d’avoir à se demander si l’on ne s’est pas complètement trompé depuis des années. C’est cependant bien la question que nous nous sommes posé en assistant à l’un des débats que le Crédit Coopératif vient de lancer dans six grandes villes sur le thème « Ma banque et moi ». Car, à entendre les gens parler de leur rapport à l’argent, des projets qui leur tiennent à cœur et de ce qu’ils attendent de leur banque, l’impression n’est même pas que les établissements financiers satisfont mal leurs attentes mais tout simplement qu’ils perçoivent mal ces dernières. Au point d’en venir à proposer, en s’efforçant de répondre à ce qu’ils croient être ce que le public réclame, à peu près le contraire de ce que celui-ci espère !

Commençons néanmoins par faire la part des choses. Bien sûr, le public que réunit le Crédit Coopératif à travers ces débats n’est pas représentatif au sens statistique du terme. Cependant, il ne s’agit pas de ses seuls clients. Les débats sont ouverts à tous. Par ailleurs, en prélude à cette démarche, plus de 300 jeunes ont été interrogés pendant plusieurs semaines dans toute la France. Et bien sûr, faut-il aussi bien souligner, beaucoup de jugements et d’attentes du public se fondent sur de larges mécompréhensions. En fait, dans l’ensemble, le simple fonctionnement d’une banque ne semble tout simplement ni connu, ni compris. Mais peu importe. Ces échanges veulent saisir un ressenti. Qu’il s’agit donc de prendre comme tel. Or le constat s’impose : la distance entre ce qui est fait par les banques et ce qui est perçu par le public parait un petit peu plus qu’abyssale !

Il ne s’agit donc pas tant de discuter de la représentativité des personnes réunies que de se demander comment un tel écart a pu se creuser entre ce que disent les banques et ce qu’est à même d’entendre le public.

Les banques sont soucieuses d’afficher leur modernité, de répondre à la demande d’outils digitaux qu’elles pensent très forte chez les jeunes. Les participants au débat, plutôt jeunes dans l’ensemble, parlent déjà, eux, du bon vieux temps. Quand les banquiers n’avaient pas encore été remplacés par des machines. Un participant : « désormais, on n’attend plus d’un banquier qu’il ait du courage ! »

Les banques s’efforcent de diversifier leurs offres. Plusieurs participants estiment que les banques ne devraient pas même vendre des assurances. « Elles essaient seulement ainsi de profiter de la situation ! »

Les banques ajustent leurs réseaux à une fréquentation de leurs agences qui a singulièrement baissé. Les participants au débat, eux, s’étonnent que les banques ferment des agences. Comme si, focalisées sur les marchés financiers, elles se désintéressaient des territoires.

Les banques s’efforcent de définir des parcours clients sans friction. Les participants déclarent eux ne souvent rien comprendre à ce que les chargés de clientèle leur expliquent et s’inquiètent de l’argent qu’ils laissent en dépôt. Cela devient-il l’argent de la banque ? Quel contrôle a-t-on sur notre argent ?

Un vrai dialogue de sourds ! Qui met en question les mètres-cube d’études clients et de tendances que commandent les banques et qui ne remontent pourtant que très mal ce qui ressort pour l’essentiel et immédiatement du débat auquel nous avons assisté : les transformations que les banques s’efforcent d’engager, par peur de perdre leurs clients, semblent vécues comme anxiogènes par une bonne partie d’entre eux.

Jean-Louis Bancel, le Président du Crédit Coopératif – un Président qui ne craint pas de co-animer des débats où on l’interpelle assez vivement sur le montant de sa rémunération - nous résume les points principaux qui ressortent des échanges. En premier lieu, la demande d’humanité. Adjectif ou substantif, « humain » est en effet de loin le terme qui revient le plus fréquemment. Les banques y sont bien sensibles cependant. Laquelle ne propose-t-elle pas aujourd’hui « le meilleur du digital et de l’humain ? » Mais peut-être ne comprennent-elles pas exactement ce que réclame cette demande d’humanité. Car un autre trait particulièrement frappant, souligne Jean-Louis Bancel, est de voir « à quel point le public imagine les banques toutes-puissantes ! Sans aucune conscience des contraintes réglementaires qui pèsent sur elles et encadrent leurs activités. »

Ce point est très important. Ce qu’on demande en fait d’humain, c’est surtout une reconnaissance. Un rapport d’égal à égal face à des banquiers dont on redoute à la fois la puissance et l’indifférence. Un participant : « avec son banquier, il est important qu’on se rencontre, qu’on se connaisse. Après, l’essentiel peut se faire par téléphone ou autrement ». Une participante : « sur mon appli bancaire, je renseigne toutes mes dépenses. Pour me souvenir. Si j’achète un cadeau pour une amie, je note : cadeau pour X. Mon banquier sait tout de ma vie, ainsi. Mais lui, qui est-il ? Je ne le connais pas vraiment. Je ne le vois, je ne lui parle pratiquement jamais. » S’exprime ainsi la crainte d’être ignoré, voire méprisé, par un banquier « qui en refusant de financer un projet, peut décider d’une vie ! » Pire encore : apparaît le cauchemar d’être jugé par les obscurs algorithmes d’une machine. Sans aucune possibilité d’appel.

Cette asymétrie mal vécue de la relation bancaire, cette psychologie sensible sont rarement mises en avant. Elles paraissent cependant déterminantes et il faudrait sans doute les rapprocher d’une peur du déclassement social dont les sociologues soulignent la prégnance dans nos sociétés. En conséquence, les participants au débat imaginent que les comités de crédits pourraient être ouverts aux clients, qui auraient ainsi leur mot à dire. Cela recoupe finalement d’autres réclamations référendaires actuelles et cela souligne que l’anxiété est forte et que les banques qui l’ignoreront (ne sachant pas trop comment la traiter), risquent de se retrouver en déphasage complet avec le public et de perdre toute crédibilité. Or si, dans d’autres pays, soumises aux mêmes problématiques les banques s’efforcent de rendre plus, voire largement, transparentes leurs méthodes de scoring, réalisant que les clients ne veulent plus se retrouver face à une boite noire lorsqu’ils demandent un crédit, en France l’idée ne progresse encore qu’à très petits pas.

Pourtant, c’est la perspective même d’une stratégie bancaire qui devient problématique si l’on n’y intègre pas ces ressentis. Toute une dimension humaine qui, en premier lieu, est d’abord un problème, tant les réclamations vers plus d’humanité se nourrissent – inévitablement - de mécompréhensions, d’attentes naïves et de vœux irréalistes. Il s’agit néanmoins d’en faire quelque chose. Non pas tant en attendant des demandes précises, directement applicables, qu’en rendant d’abord possible une expression collective. Pour l’entendre. Et à partir de laquelle tout un management de l’avenir est à réinventer. A cet égard, la démarche du Crédit Coopératif parait particulièrement intéressante.

Lorsque l’établissement a décidé de lancer ces débats, il ne pouvait deviner qu’interviendrait quelques semaines plus tard le Grand Débat initié par le gouvernement, avec lequel il a été jugé préférable de ne pas interférer. Pour autant, il s’agit bien également non pas de sonder les clients du Crédit Coopératif et de recueillir leurs avis mais de susciter une prise de parole très large, citoyenne. Il s’agit de donner la parole aux « gens » (ce terme très générique est celui qui convient) sur leurs rapports à l’argent et aux banques. Sachant qu’en regard, en se fixant un horizon stratégique à sept ans, le Crédit Coopératif ne s’interdit aucune piste de réflexion. « Nous n’avons aucun ADN qui nous retiendrait d’évoluer, qui nous empêcherait de devenir plus qu’une banque. En 2025, nous serons peut-être avant tout une coopérative de données », nous confie Jean-Louis Bancel.

D’emblée de grandes orientations stratégiques se sont dégagées : l’animation des territoires, l’intelligence collective comme champ d’innovation. Jean-Louis Bancel y ajoute ce qu’il nomme le « certifié humain. » Avoir la certitude que les choses se font et surtout se décident dans le cadre d’une relation humaine et non selon une logique d’algorithmes. « Il y a 125 ans, le Crédit Coopératif s’est fondé sur un vide, entre ce que proposaient les banques et ce dont beaucoup de gens avaient besoin. Aujourd’hui, c’est un vide comparable qui pointe à travers nos débats. Y répondre, de manière participative, c’est tout à fait l’esprit coopératif. »

Peut-être est-ce effectivement plus facile de développer une telle approche pour une banque très ancrée dans l’économie sociale et solidaire, comme le Crédit Coopératif. Une banque à part. Pas très connue mais, dans le paysage bancaire français, celle qui affiche sans doute le plus fortement une personnalité. Une banque en marge mais qui, à travers sa démarche stratégique, a choisi de se placer au cœur des enjeux actuels de la relation bancaire.

Guillaume ALMERAS