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Guillaume Almeras

Pourquoi l'open banking peine encore à convaincre les banques

Les banques réinventent leurs relations clients avec les professionnels

Les banques réinventent leurs relations clients avec les professionnels - AFP

Le partage d'une partie des données avec les concurrents, incité par une directive européenne, est censé ouvrir de nouvelles perspectives pour les utilisateurs. Mais les établissements freinent des quatre fers... Décryptage de notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Pour les banques, l’heure est à l’Open banking, lit-on dans la presse économique, en conclusion du Fintech Forum qui vient de se tenir à Paris. De quoi s’agit-il ? De l’agrégation de comptes (la possibilité de consulter tous ses comptes, ouverts chez différentes banques, à partir d’une seule application bancaire) et, au-delà, de l’élargissement des offres et des services bancaires à travers des plateformes, en architecture ouverte. Ceci, sous l’impulsion de la seconde Directive européenne relative aux services de paiement (DSP2). Pourtant, à ce stade, le moins que l’on puisse dire est que cette Directive, entrée en vigueur depuis près de deux ans, n’a pas beaucoup fait avancer l’Open banking. En fait, on peut même se demander si elle n’en a pas ralentit le développement. Pourquoi donc ?

Nous avons souligné dans un précédent article que le public demeure assez rétif à l’agrégation de comptes[1]. Par ailleurs, une réponse complémentaire est fournie par le récent témoignage du fondateur et ex-CEO du Crédit Agricole Store[2]. Premier site d’applications bancaires co-créées, le CA Store compte parmi les toutes premières démarches d’Open Innovation bancaire, en France comme à l’International.

Diversifier les attentes

Lancée dès 2012, c’est une plateforme ouverte pour que des développeurs (les "digiculteurs") créent des applications qui sont proposées aux clients de la banque en plus des services de celle-ci. Le Store mène un audit fonctionnel et de sécurité des applications ainsi développées et les digiculteurs sont rémunérés si leurs créations trouvent des utilisateurs parmi les clients du Groupe. Cinq ans plus tard, 70 applications avaient ainsi été développées par 220 digiculteurs. Parmi elles, 50 étaient toujours en force et une dizaine étaient régulièrement utilisées.

C’est donc une offre de services non négligeable qui a ainsi été produite, beaucoup plus rapidement que pour les développements internes (il faut généralement trois ans pour réaliser une application mobile bancaire). Et, à travers la floraison de services proposés, l’établissement s’ouvre l’opportunité de répondre bien plus précisément aux attentes des clients.

Le fondateur du CA Store souligne qu’à l’origine de cette démarche, il y avait la vision d’un renouvellement radical des services bancaires. La possibilité tout à la fois d’un repositionnement comme tiers de confiance digital et d’un renouvellement de la relation client, permettant le choix comme à la carte, à travers une plateforme, de services ajustés aux besoins particuliers. Dans ces conditions, le Groupe n’hésitait pas à partager ses données clients avec ses digiculteurs partenaires, via des API, ces interfaces de communication entre applications dont la DSP2 a souhaité la généralisation entre les banques et les nouveaux acteurs spécialisés du paiement.

Ouvrir les données aux tiers

Au total, le Crédit Agricole paraissait donc particulièrement bien positionné lorsqu’est entrée en vigueur, en 2018, cette Directive. Afin de favoriser la concurrence et l’innovation dans le domaine des paiements, la DSP2 oblige toute entreprise qui, comme les banques, fournit et conserve des informations de paiement sur des comptes clients, de rendre ces dernières accessibles à des tiers, ce qui inclut bien sûr les nouveaux acteurs sur le marché des paiements, sous réserve que le client leur en donnent l’autorisation.

La DSP2 organise ainsi une concurrence frontale vis-à-vis des banques mais elle offre également à ces dernières – c’est ce qui a été avancé pour justifier sa mise en place - l’opportunité de constituer tout un écosystème, à partir des données clients et via des APIs, permettant aux établissements financiers de développer et d’enrichir leurs services. Cela suit finalement un modèle dont le CA Store a été l’un des premiers précurseurs.

Les banques traînent des pieds

Pourtant, au fil de réunions de travail, l’ex-CEO du CA Store confie s’être rendu compte que les banques françaises n’étaient pas du tout disposées à entrer dans ce nouveau jeu. Pour protéger leurs données clients, elles ont multiplié les obstacles autour des accès qu’elles étaient réglementairement tenues de fournir, affirme-t-il. Et elles ont soigneusement évité d’associer des fintechs au processus de spécification de leurs APIs. Le résultat, reconnait l’initiateur du Store, est qu’à ce jour aucune des innovations que l’on pouvait attendre de la mise en offre de la DSP2 n’a encore été lancée. Il faudra sans doute une DSP3 !

Ce témoignage désenchanté a le mérite de nommer clairement les difficultés qui entravent la mise en place de l’Open banking. Des difficultés que l’on peut sans doute imputer au conservatisme, ainsi qu’à un manque d’ambition de nombreuses banques. Cependant, il faut également souligner que le modèle économique de l’Open banking demeure, à ce stade, particulièrement incertain. Et que, dans ces conditions, les dispositions de la DSP2 paraissent plutôt problématiques dans la mesure où, à leur source, l’intention est pratiquement affichée de soumettre les banques à une concurrence non seulement forte mais même – on peut oser le mot – assez déloyale !

Un conservatisme bancaire?

Certes, il est toujours facile d’incriminer l’immobilisme des banques. Toutefois, si dans d’autres secteurs, on obligeait les entreprises à rendre librement accessibles leurs bases de clients, afin que de nouveaux acteurs concurrents puissent proposer directement à leurs clients des offres comparables aux leurs mais moins chères, il semble peu probable que les réactions seraient très différentes. Même si, dans les faits, la concurrence est loin d’être aussi féroce. En attendant, le Crédit Agricole vient d’acquérir Linxo, le principal outil d’agrégation et de suivi des comptes utilisé sur le marché français…

Or le paradoxe est que, si l’on considère l’orientation prise dès 2012 avec le CA Store, on peut se demander si la DSP2 n’a pas arrêté ou ralenti pour un bon moment une évolution vers l’architecture ouverte que certains établissements avaient d’eux-mêmes engagée.

[1] https://bfmbusiness.bfmtv.com/experts/apres-le-temps-de-la-restructuration-l-heure-du-rebond-pour-le-financement-participatif-1846170.html#page/contribution/index

[2] https://blog.axway.com/industries/banking-insurance/open-banking-advantages

Guillaume Almeras, fondateur de Score Advisor